{{Justice. Le procès pour escroquerie de la secte s’ouvre aujourd’hui à Paris.}}

ONDINE MILLOT

La scientologie française menacée de dissolution ? Si l’on s’en tient au code pénal, c’est bien là l’enjeu du procès qui s’ouvre aujourd’hui à Paris. Certes, ce n’est pas la première fois que l’Eglise de scientologie, considérée depuis 1995 par la France comme une secte, connaît des démêlés avec la justice. «Mais ce n’est que la deuxième fois que la scientologie est poursuivie en tant que personne morale pour des faits d’escroquerie», souligne Olivier Morice, avocat de parties civiles. La première fois, en 2003, elle avait été relaxée du chef d’escroquerie, mais condamnée pour une infraction à la loi sur les fichiers informatiques.

Pendant onze demi-journées d’audience, le tribunal correctionnel de Paris va examiner les plaintes de deux anciennes adeptes, Madame M., gouvernante dans un hôtel, ruinée en quelques semaines par ses «dons» (plus de 21 000 euros) et Madame R., employée d’une agence immobilière dont le patron l’a forcée à suivre des «cours de communication». Trois autres plaintes avaient été déposées. Elles ont été retirées après des transactions financières, méthode habituelle de la scientologie. L’ordonnance de renvoi résumant neuf années d’instruction présente une analyse détaillée de l’ensemble de ces «méthodes». Procédés qui, selon elle, n’ont qu’un «seul but» : «capter la fortune» des adeptes.

{{Recruter des personnes fragiles}}

Madame M. l’a expliqué au juge d’instruction. Après une rupture sentimentale, elle se sent «très fragile psychologiquement» lorsqu’elle est démarchée, dans la rue, en mai 1998, par un adepte qui lui propose un test de personnalité. Les résultats étant jugés «très négatifs», on lui propose immédiatement un premier séminaire de dianétique (une «science de la santé mentale» selon Ron Hubbard, le fondateur américain de la scientologie). Ce séminaire est associé à un programme de «cours de communication et de réparation de vie» pour 4 816 euros.

Madame B., une autre ex-adepte ayant finalement retiré sa plainte, connaissait également de grandes «difficultés personnelles» lorsqu’une femme lui a fait remplir dans un train le même test de personnalité, «sans qu’aucune mention ne soit faite du lien avec la scientologie». Résultats également très mauvais. «Les membres de la scientologie interrogés ont reconnu que dans 80 % des hypothèses, le test donnait des résultats négatifs», précise l’ordonnance de renvoi.

{{Les maintenir dépendants}}

Le premier séminaire de Madame M. à peine achevé, on lui conseille d’acheter pour 1 670 euros d’ouvrages auprès de la Librairie scientologue française (SEL), qui fait partie, avec l’Association spirituelle de l’église de scientologie, des deux personnes morales poursuivies (aux côtés de sept dirigeants). Elle doit ensuite se munir d’un «électromètre», facturé près de 5 000 euros. Cet appareil, qui fait passer un courant électrique dans le corps des adeptes et fournit un résultat chiffré interprété par les scientologues lors de séances de tests «n’est rien d’autre qu’un leurre», a conclu un expert mandaté par l’instruction. Là encore, le résultat des «tests» est toujours négatif, et permet de prescrire l’achat de nouveaux «cours» ou cures de vitamines. Administrées en surdose, ces vitamines associées à d’«interminables» séances de sauna ont pour but de plonger les adeptes dans un état de «fatigue extrême» et de «sujétion», conclut l’instruction.

{{Chèques à gogo}}

En quelques semaines, Madame M. liquide son Codevi, son livret de Caisse d’épargne, son plan d’épargne logement et son assurance-vie. Comme ce n’est toujours pas suffisant, son superviseur, qui comparaît aujourd’hui, lui demande de souscrire un crédit auprès d’un organisme avec lequel il lui dit «travailler régulièrement». Un soir, il la conduit chez elle «pour y récupérer un chéquier afin d’établir, tard dans la nuit et pratiquement sur la voie publique», une série de chèques à l’ordre de l’association. L’instruction a fait le lien entre ces méthodes de «harcèlement» et des consignes internes de la scientologie rédigées par Ron Hubbard : «Faites de l’argent, faites de l’argent, faites plus d’argent, obtenez que les autres produisent plus afin de faire plus d’argent.»

{{Eviter les procès}}

L’ensemble des plaignants disent avoir fait l’objet de pressions et de propositions financières. Pour l’un d’eux, qui s’est finalement rétracté, le montant versé approche les 33 000 euros. La scientologie, qui vise la respectabilité, est prête à tout pour éviter l’opprobre d’un procès. Ici, elle a aussi multiplié les tactiques dilatoires et procédurales. Et failli parvenir à ses fins, puisque, en 2006, le parquet avait requis un non-lieu général. L’instruction a passé outre, mais cette absence de soutien du ministère public a un poids : cet après-midi, dans une salle probablement comble de scientologues, les deux parties civiles restantes craignent de se sentir bien seules.

25.05.09, Libération