Mardi 27 Octobre 2009

{{JUSTICE. Pour la majorité des députés, le vote du fameux amendement qui permettra à la Scientologie d’échapper à la dissolution illustre la dégradation de la qualité des lois, votées le plus souvent en urgence}}

Si la justice condamne l’Église de scientologie, elle ne pourra pas prononcer la dissolution de la branche parisienne de la secte, comme l’avait requis le procureur de Paris. La faute à un amendement passé inaperçu et glissé dans une proposition de loi dite « de simplification et de clarification du droit ».

Promulgué quelques semaines avant le procès, il prive les magistrats de la possibilité de supprimer une personne morale, association ou société, convaincue d’escroquerie. La disposition biffée par l’Assemblée nationale a certes été rétablie par le Sénat. Mais elle ne pourra pas s’appliquer à l’affaire en cours de jugement.

{{Enquête à l’Assemblée}}

« Franchement, je ne sais pas comment des conneries de ce type peuvent se faire, fulmine un député du Nouveau Centre sous couvert d’anonymat. C’est injustifiable. Je ne crois pas à la bêtise ou au hasard. » Plusieurs mois après la révélation de ce bug, la suspicion reste prégnante sur les bancs de l’Assemblée nationale. D’autant qu’il existe des précédents.

Par le passé, grâce à ses relais au Palais-Bourbon, la Scientologie avait été informée avant tout le monde du contenu alors confidentiel des travaux parlementaires sur les sectes. Au lendemain de la découverte de l’amendement, députés UMP et gouvernement s’étaient renvoyé la responsabilité de ce couac. Chacun accusait l’autre d’en être à l’origine, le texte de loi ayant fait de fréquents allers et retours entre le ministère de la Justice et le Palais-Bourbon. Devant l’ampleur de la polémique, Bernard Accoyer, le président de l’Assemblée nationale, a ordonné une enquête pour retrouver l’auteur du texte, voire son commanditaire. « C’est une simple erreur matérielle qui s’est produite lors d’un malheureux copier-coller. Il n’y a eu aucune manipulation », assure le service de communication de la présidence.

La boulette serait semble-t-il imputable à un administrateur du Parlement que ses supérieurs ne souhaitent manifestement pas accabler. « N’allons pas chercher un complot ou l’existence d’un quelconque réseau souterrain, avertit Jean-Paul Garraud, député UMP du Libournais et membre de la commission des lois. L’affaire est révélatrice de nos conditions de travail. Nous n’avons pas le temps d’examiner et d’analyser des textes qui nous parviennent le plus souvent au dernier moment. »

Président du groupe d’étude sur les sectes au Parlement, le député PS des Ardennes Philippe Vuilque ne valide pas lui non plus la thèse d’une collusion au sein de la commission des lois. « On continue encore à se poser des questions. Après réflexion, je pense que cet amendement obéissait à une tout autre logique. Il répondait à la volonté de la majorité de dépénaliser le droit des affaires. L’article concernait les entreprises. Son auteur n’avait sans doute pas imaginé qu’il pouvait aussi s’appliquer à l’Église de scientologie. »

{{Aucune visibilité}}

Philippe Vuilque est d’autant plus à l’aise qu’avec le groupe socialiste il avait voté contre cette fameuse loi de simplification et de clarification du droit. Plus d’ailleurs pour des questions de forme que de fond. Ce texte fourre-tout concernait un millier de dispositions légales, qu’il abrogeait, complétait ou instaurait. « Ce n’est pas inutile. Mais il comprenait 140 articles n’ayant rien à voir les uns avec les autres et renvoyant à d’autres textes ou articles qui n’étaient pas repris. Il n’y avait aucune visibilité. »

Il y a plusieurs années, une cellule de magistrats, mandatée par la chancellerie, avait été chargée d’une mission dite de « codification ». Il s’agissait de s’immerger dans cette diarrhée législative afin d’ isoler les lois qui doublonnent et se contredisent. La tâche n’a jamais été menée à son terme. « Il faut réformer et simplifier, insiste Jean-Paul Garraud. Mais si on n’intervient pas en amont, on ne donnera jamais de la cohérence à l’ensemble. » Ce que son collègue Philippe Vuilque résume sans fioritures excessives : « On travaille comme des cochons ! »

Auteur : Dominique Richard