Mais les opinions sont faites: pour les uns, il s’agit d’une multinationale élitaire et totalitaire; pour les autres, d’une philosophie religieuse appliquée. Débat contradictoire entre le scientologue suisse de plus haut rang et un expert des sectes.

Pour Jürg Stettler, porte-parole de Scientologie Suisse et Allemagne, c’est clair: la scientologie est une religion, pas une secte. «Le mot secte n’est utilisé que par des adversaires pour exclure des groupes».

Georg Otto Schmid, du Bureau d’information évangélique «Relinfo», voit les choses autrement: «Du point de vue de la structure, la scientologie ressemble à une multinationale, qui est extrêmement bien organisée. Il existe une interdiction absolue de critiques et un élitisme prononcé».

swissinfo.ch: D’où savez-vous que la critique est interdite?

G. O. S. : D’anciens scientologues. Ils racontent que la critique est impossible. Celui qui émet une critique a quelque chose à cacher. La personne se retrouve ensuite dans un contrôle de sécurité et doit suivre un traitement jusqu’à ce qu’elle arrête sa critique.

J. S. : Monsieur Schmid s’investit comme un apologiste contre les religions minoritaires. C’est son job, pour lequel il est engagé par l’Eglise évangélique. Beaucoup de choses qu’il affirme sont fausses.

G. O. S. : Je ne suis pas «engagé par l’Eglise évangélique», mais employé d’une association indépendante qui est soutenue par les Eglises réformées de Suisse alémanique. Notre association s’engage pour la protection des consommateurs au niveau religieux, nous sommes du côté des consommateurs. C’est ainsi, par exemple, que nous conseillons des gens qui veulent sortir de la scientologie. La scientologie est anti-démocratique, raison pour laquelle elle est considérée de manière si critique dans beaucoup de pays.

J. S. : C’est absurde. Nous invitons de plus en plus de gens dans notre Eglise et nous organisons des manifestations où des voix critiques sont présentes. Nous acceptons la critique, elle est souhaitable et absolument pas interdite.

Scientologie

La scientologie a été fondée en 1952 aux Etats-Unis par L. Ron Hubbard (1911-1986).

La scientologie a pour objectif de créer un monde «sans guerre, sans criminels et sans folie».

La scientologie se base sur la dianétique. Elle affirme que l’homme est un esprit immortel dont les potentialités sont affaiblies à cause de traumatismes psychiques ou physiques. La scientologie affirme pouvoir «nettoyer» l’être humain avec des cours et des auditions.

La scientologie est considérée comme une religion dans certains pays (Etats-Unis, Espagne, Italie ou Suède), mais comme une secte dans d’autres (France, Belgique).

{{swissinfo.ch: Quelle reconnaissance la scientologie a-t-elle en Suisse?}}

J. S. : Il ne faut pas enjoliver la situation: la scientologie est controversée, notamment en raison d’un petit nombre de critiques qui ne cessent d’apparaître dans les médias. Mais nous sommes de plus en plus acceptés et nous avons de bons contacts avec les universités et les spécialistes des sciences des religions. Comparativement à la situation il y a quinze ans, nous avons fait de grands progrès.

swissinfo.ch: Il n’y a pas d’organisation qui soit aussi massivement critiquée dans les médias que la scientologie. Comment cela se fait-il?

J. S. : On pourrait retourner cette question aux médias. Certains d’entre eux assurent depuis 30 ans que pratiquement aucune nouvelle positive relative à la scientologie ne paraisse. Par exemple, début octobre, la Cour des droits de l’homme de Strasbourg a statué que la scientologie pouvait être enregistrée en tant que religion à Saint-Pétersbourg. En Suisse, seule l’agence de presse internationale catholique (APIC) a diffusé cette nouvelle.

G. O. S. : Si la scientologie suscite autant l’attention, c’est parce qu’elle dépense beaucoup d’argent pour la publicité et qu’elle fait sa promotion avec des célébrités. Si des gens sortent du premier cercle, ils rencontrent beaucoup d’écho. Par ailleurs, la scientologie n’attend pas la fin du monde, comme les Témoins de Jehovas, mais elle veut prendre le contrôle de ce monde. C’est pourquoi les médias assument, à juste titre, leur tâche de surveillance.

J. S. : Il est certain que nous nous engageons pour un monde meilleur. Mais dire que nous voulons en «prendre le contrôle» est absurde.

swissinfo.ch: Nous n’avons pas trouvé de personnes qui sont sorties de la scientologie et qui étaient disposées à parler, même sous couvert de l’anonymat. On dit qu’elles auraient peur. Comment expliquer cette situation?

J. S. : J’affirme qu’au cours des dernières années, il n’y a vraiment eu aucun nouveau cas problématique de personnes qui ont quitté la scientologie.

G. O. S. : Les gens qui ont récemment quitté la scientologie ont peur de contrarier le mouvement. Ils ont noué des amitiés et ne veulent pas mettre ces amis en danger. Si on ne s’exprime pas de manière critique en public, on peut continuer à avoir des contacts avec des scientologues, même si on a quitté l’organisation.

Il peut aussi y avoir des problèmes lors d’une recherche d’emploi, si quelqu’un parle franchement de son appartenance à la scientologie. Les chefs du personnel d’aujourd’hui préfèrent des gens sans un tel passé, car les membres d’organisations radicales sont considérés – à tort – comme fragiles.

swissinfo.ch: Un membre actif de longue date doit-il signer un accord de confidentialité s’il veut quitter la scientologie?

J. S. : En tant que membre actif, j’ai naturellement signé un accord de confidentialité. Mais cela ne veut pas dire que je n’aurais pas le droit de dire un seul mot sur mon temps passé dans la scientologie. Je ne me laisserais pas faire. Mais je n’aurais pas le droit de parler de données internes confidentielles.

swissinfo.ch: Existe-t-il un scientologue type?

J. S. : Non. Il y a dans cette religion des gens de tout horizon: instituteurs, femmes au foyer, hommes d’affaires, etc. Autrefois, la scientologie était qualifiée de secte de jeunes, comme Hare Krishna. Mais aujourd’hui, l’âge moyen se situe dans les 40 ans.

En Suisse, nous n’avons pas de personnalités de tout premier plan, comme Tom Cruise ou John Travolta. Mais notamment en raison de la controverse entourant la scientologie, il y a des personnes connues qui ne veulent pas être présentées publiquement comme scientologues.

G. O. S. : Les gens qui rejoignent la scientologie ne sont généralement pas des personnes en quête de spiritualité, mais des gens avec des problèmes. La scientologie se vend en prétendant avoir une solution à tout. On suit d’abord un cours de communication, puis on passe l’audit (une sorte de séance de thérapie) et l’on y raconte des choses que l’on n’aurait peut-être jamais dites à quelqu’un – ce qui peut être soulageant. Mais vient ensuite la pression pour augmenter sans cesse le chiffre d’affaires.

swissinfo.ch: La scientologie profite-t-elle des gens faibles et fragiles?

J. S. : C’est encore une fois un cliché. Nous avons beaucoup de gens qui sont établis dans la société, qui ont une famille et qui cherchent un sens à la vie. Vous supposez que ce sont des gens fragiles. Mais je vous le dit: il faut une certaine force de caractère pour être scientologue.

swissinfo.ch: Peut-on suivre ces cours avec peu d’argent?

J. S. : Oui. Nous vivons des contributions pour les cours et l’audit; c’est notre système de financement. Celui qui n’a pas d’argent peut devenir membre à plein temps et travailler pour la scientologie, afin de suivre tous les services gratuitement. On attend de toute façon une contribution – qu’elle soit financière ou sous forme d’un travail.

G. O. S. : Il faut distinguer deux groupes: le staff, c’est-à-dire les collaborateurs, qui obtiennent les cours gratuitement et qui travaillent pour un petit salaire. Ils doivent faire des statistiques chaque semaine et réaliser toujours plus de chiffre d’affaires. L’autre groupe achète ces cours et conserve son métier. Le staff exerce une influence sur ce second groupe pour qu’il s’inscrive à un maximum de cours – même en prenant un crédit.

Mais je connais aussi des scientologues heureux, car résistants à la pression, qui sont dans le mouvement depuis 30 ans et qui suivent peut-être un cours par an.

J. S. : Seulement trois à quatre des 120 membres actifs de Zurich s’occupent des recettes provenant des cours…

swissinfo.ch: Quelles relations des scientologues ont-ils avec les amis ou les membres de la famille qui ne sont pas membres?

J. S. : Il y a de nombreux couples où l’un des deux n’est pas membre. Cela peut fonctionner sans problème, sauf si l’un des partenaires y est radicalement opposé. On ne peut pas obliger un partenaire à être membre – il s’agit de quelque chose de spirituel, pas d’un cours Migros.

G. O. S. : Le contact avec des non membres est permis, tant que ceux-ci ne critiquent pas la scientologie. Les critiques sont qualifiés d’«oppresseurs» et là, le contact n’est plus permis.

J. S. : Ce n’est pas correct. Les critiques ne sont pas automatiquement qualifiés d’oppresseurs.

swissinfo.ch: La scientologie s’engage aussi pour les droits de l’homme, la prévention contre la drogue et dans les écoles. Qu’en est-il?

J. S. : La scientologie s’est toujours engagée pour la société, nous ne sommes pas un club de méditation. Notre but est un monde sans guerre, sans criminels et sans folie.

swissinfo.ch: Il n’y a pas grand-chose à dire contre ça, n’est-ce pas?

G. O. S. : Evidemment, s’engager pour les droits de l’homme est une bonne chose. Cependant, celui qui n’a que les droits de l’homme à la bouche à l’extérieur mais qui ne les accorde pas à l’interne peut être taxé d’hypocrite.

La scientologie veut changer cette société et, par exemple, traiter les homosexuels. Elle ne s’est jamais distanciée de cette position.

J. S. : Jusqu’en 1967, la psychiatrie considérait l’homosexualité comme une maladie psychique. On ne peut donc pas reprocher à la scientologie des déclarations faites dans les années 1950. Dans la Bible, il y a aussi des choses «très brutales». Et puis, il n’y a pas non plus de mariage homosexuel dans l’islam, le bouddhisme, l’hindouisme ou le catholicisme.

swissinfo.ch: Pourquoi est-ce que les parents qui envoient leurs enfants dans les écoles privées ZIEL, en Suisse alémanique, ne sont pas informés du fait qu’elles font partie de la scientologie?

J. S. : Elles ne font pas vraiment partie de la scientologie, même si les principaux enseignants sont scientologues. Les parents sont informés que les méthodes pédagogiques ont été appliquées par L. Ron Hubbard (le fondateur de la scientologie).

G. O. S. : La technique d’étude de Ron Hubbard est une partie de cet édifice et transmet l’image de l’homme propre à la scientologie. Mais ces écoles qui livrent une conception du monde sont permises en Suisse. Il faut simplement être transparent.

La scientologie en Suisse

La scientologie existe en Suisse depuis 40 ans. L’organisation indique compter 300 membres à temps complet qui s’occupent de 5500 scientologues. Il y a en Suisse 5 Eglises de scientologie et 6 missions.

Le Bureau d’informations évangélique relinfo.ch estime de son côté que le nombre de scientologues actifs en Suisse est inférieur à 1000.

En Suisse, la politique religieuse est l’affaire des cantons. La plupart d’entre eux font une distinction entre les Eglises nationales et les simples associations. La scientologie n’est reconnue dans aucun canton comme Eglise nationale (Source: G. O. Schmid).

En Suisse le statut de la scientologie est controversé. Plusieurs autorités et tribunaux la considèrent comme une communauté religieuse, mais l’exonération fiscale accordée aux religions ne lui est jusqu’à présent pas accordée (source: J. Stettler).

swissinfo.ch: La scientologie a-t-elle changé ces dix dernières années?

G. O. S. : A mon avis, rien ou peu de choses ont changé. C’est une organisation incroyablement dogmatique et qui est fidèle ce à ce que L. Ron Hubbard a enseigné dans les années 1950 et 1960. Si vous ne vous éloignez pas d’enseignements dépassés, vous allez devenir tôt ou tard obsolète.

J. S. : On pourrait aussi prétendre que l’Eglise réformée, dont je fais d’ailleurs toujours partie, est restée figée parce qu’elle se base sur la Bible. Chaque religion a ses écrits constitutifs et un fondateur. Vous ne trouverez pas une religion qui change ses dogmes tous les dix ans.

La scientologie en Suisse est certainement devenue plus modérée. Aucun membre critique n’a plus porté plainte depuis des années. Nous sommes aussi devenus plus réticents en matière de crédits. Dans les années 1980 et 1990, il est arrivé ici et là que des gens prennent des crédits qu’ils ne pouvaient pas se permettre.

swissinfo.ch: Pouvez-vous aussi trouver quelque chose de positif dans la scientologie?

G. O. S. : Chaque communauté a ses forces. Les premiers cours de la scientologie peuvent améliorer la confiance en soi. Parler d’expériences accablantes du passé est également positif. L’approche est juste, mais la solution est dépassée.

swissinfo.ch: Y a-t-il des points que vous critiquez dans la scientologie?

J. S. : La transparence doit être améliorée, y compris à l’interne. Nous ne devrions pas nous renfermer sur nous-mêmes, mais davantage informer et devenir plus ouverts.

Par Gaby Ochsenbein et Luigi Jorio, swissinfo.ch
(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)

source :

http://www.swissinfo.ch/fre/la-scientologie–religion–secte-ou-multinationale-/41116410

25. NOVEMBRE 2014 – 11:00