Scientologie : en France, un mouvement indélogeable

La rencontre a eu lieu quatre jours avant le début de l’affaire Benalla. Le 14 juillet, Emmanuel Macron reçoit discrètement Tom Cruise à l’Elysée, en marge de la promotion du dernier Mission : impossible, tourné en grande partie à Paris. Après avoir visité le Château avec Brigitte Macron, l’acteur américain et le Président se livrent au jeu des selfies avec des enfants rassemblés dans la cour, mais aucune image officielle ne fuite. «Il s’agissait d’une rencontre privée, insiste-t-on aujourd’hui à l’Elysée. A aucun moment il n’a été question de scientologie.»

«Vague». Révélée par Paris Match, cette entrevue est pourtant loin d’avoir fait l’unanimité au sein du staff présidentiel. Quatorze ans plus tôt, à l’été 2004, la visite du même Tom Cruise à Nicolas Sarkozy, alors ministre des Finances, avait en effet provoqué une violente polémique. A l’époque, plusieurs notes diplomatiques attestaient du lobbying agressif de la scientologie au niveau politique, mais aussi du rôle clé de Tom Cruise dans la stratégie expansionniste de l’organisation, qui a listé des personnalités à rencontrer. L’occasion pour la star de dénoncer les «discriminations religieuses» dont seraient victimes les scientologues en Europe, et en particulier en France, où l’organisation fait alors l’objet de toutes les attentions. Sensible à ces arguments, Nicolas Sarkozy, qui a toujours préféré l’expression de «nouveaux mouvements spirituels»au terme de «sectes», a été le premier à infléchir la politique sur le sujet lors de son passage au ministère de l’Intérieur.

Depuis, le sujet s’est peu à peu effacé du débat public. Symbole de cet intérêt décroissant : la disparition du groupe «sectes» à l’Assemblée nationale et la déliquescence progressive de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), dépourvue de président depuis plus de six mois. A Matignon, on explique que le processus de recrutement doit aboutir «dans les prochaines semaines» à la nomination d’une «personnalité convaincante, compétente et reconnue». Mais les temps ont changé depuis la création de la mission, contribuant à rendre plus flous ses objectifs, alors même que les signalements n’ont jamais été aussi nombreux : 2 800 pour 2018, un record depuis six ans. Les deux mandats successifs de Serge Blisko, catapulté à la tête de la mission en 2012, n’ont pas non plus laissé un souvenir impérissable. «Un refuge plus qu’autre chose», raille un ancien salarié. Même malaise au sein des associations spécialisées, comme l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu (Unadfi), qui voient leur budget fondre d’année en année.

Griefs. Longtemps dans le viseur des pouvoirs publics et objets de plusieurs rapports parlementaires, les mouvements sectaires traditionnels ont surtout été supplantés ces dernières années par la lutte contre l’islamisme radical. «On va être honnête, le sujet de la radicalisation a focalisé l’attention des magistrats et des services de renseignements, concède Anne Josso, secrétaire générale de la Miviludes et patronne de fait depuis la vacance du pouvoir. Cette vague, on la subit très clairement. Ajoutez à ça l’image un peu datée d’une mission sur les sectes à l’ancienne… Effectivement, on est un peu moins écoutés.» Les modes d’emprise ont également été bouleversés par les réseaux sociaux et le développement des théories conspirationnistes, comme les mouvements antivaccins. «On doit sans doute faire mieux sur ces questions, poursuit Anne Josso. Peut-être faut-il que l’on change de vocabulaire.» En dépit de la relative bienveillance des pouvoirs publics, la scientologie doit encore faire face à plusieurs poursuites judiciaires en France. Depuis août 2015, une information judiciaire est toujours en cours pour «harcèlement moral» et «abus de faiblesse»,après une plainte des salariés d’Arcadia. Les dirigeants scientologues de cette entreprise de BTP auraient siphonné les fonds et imposé des méthodes de management humiliantes issues des écrits du fondateur Ron Hubbard. Une instruction se poursuit également contre deux structures scientologues dans l’affaire de l’Institut Aubert, une école de Vincennes accusée d’avoir enseigné des préceptes scientologues à des enfants, à l’insu de leurs parents.

La scientologie aurait même pu être interdite en 2013, après la condamnation définitive de ses deux principales associations pour «escroquerie en bande organisée», «recel aggravé», «extorsion» et «exercice illégal de la médecine». Mais, en raison d’une modification du code civil trois ans auparavant, l’article de loi permettant de dissoudre une association reconnue coupable de tels griefs a malencontreusement disparu du droit français.

Emmanuel Fansten Robin d’Angelo  liberation.fr