C’est par l’assassinat de deux vieillards, probablement trois, que toute cette histoire s’est terminée. Dans son nouveau récit, L’Affaire des Crucifiés, l’historien et auteur gatinois Raymond Ouimet relate les événements ayant mené à ce crime qui a marqué l’Outaouais rural dans années 1930, avant de sombrer dans l’oubli. Son livre, publié aux éditions du Septentrion, sort en librairie le 26 février. LeDroit l’a obtenu en exclusivité.

Dans une salle sombre, éclairée à la chandelle, une vingtaine de «disciples» récitent des prières. À l’avant de la pièce, un homme déguisé entre en transe. C’est le grand prêtre, le maître des Crucifiés. Une jeune femme décédée depuis longtemps prend possession de son corps et interpelle les fidèles qui se prosternent immédiatement.

L’hiver 1932 est dur dans le Faubourg à m’lasse, un quartier ouvrier de Montréal. La crise économique est sans pitié. Le tiers des travailleurs sont au chômage. Le désespoir envahit la population. Certains se tournent vers des organisations politiques d’extrême droite, d’autres vers la religion. C’est une belle époque pour les sectes.

COURTOISIE, COLLECTION SERGE GIRARD

Il fallait être débrouillard pour survivre. Ovila Girard, 29 ans, l’est certainement. Comédien – il connaît un certain succès au Théâtre Saint-Denis – et manipulateur, il mise sur ses talents pour profiter de quelques âmes crédules. Il s’improvisera gourou. Grand maître des Crucifiés. Rien de moins. Dans son appartement, vêtu d’une tunique de lin et chaussé de sabots de bois, il fait des incantations et des cérémonies pseudo-catholiques. Il réussira à attirer 60 disciples dans ses filets. Des femmes surtout. Certaines sont prêtes à dépenser beaucoup d’argent pour lui.

Mais Ovila se laissera prendre à son propre jeu. Il finit par croire qu’il est investi d’une mission. Il commet des erreurs. Il fait d’un père incestueux et pédophile l’un des ses plus proches apôtres. Il va jusqu’à célébrer des mariages parmi ses disciples, un acte illégal qui lui vaudra d’être arrêté deux fois. Sa plus grave erreur bouleversera la fragile existence d’une jeune fille d’à peine 15 ans et conduira à l’assassinat de deux vieillards, vraisemblablement trois, à Namur, dans la Petite-Nation, dans la nuit du 4 au 5 avril 1936. Tout ça se terminera sur la potence, par une pendaison à la prison de Hull, quelques mois plus tard.

Cette erreur, c’est d’avoir cru qu’il pouvait «guérir» son frère aîné, Omer Girard. Un homme dont le dossier criminel est long comme le bras. Éminemment dangereux, il sera qualifié de «psycho-maniaque avec une perversion caractérisée par la méchanceté, la cruauté et la précocité sexuelle anormale» par le surintendant médical de la prison de Bordeau, où Omer sera incarcéré quelques mois dans l’aile des aliénés.

Ovila, dans ses qualités de Grand maître des Crucifiés, mettra son frère aîné sur le chemin de sa plus fervente admiratrice, Irma Gaumond, la fille de ce père pédophile dont il a fait son apôtre. Six jours seulement après sa sortie de prison, Omer violera Irma. Elle n’avait que 15 ans.

Au terme d’on ne sait quelles manigances entre Ovila, son apôtre et son frère aîné, Irma épouse légalement Omer Girard, le 9 avril 1934. Ce même psychopathe qui l’a violée il y a quelques mois à peine. Irma est prise au piège dans le filet d’une bande de manipulateurs et de malades mentaux.

De Montréal à Namur

La crise économique ne se résorbe pas. Les gens de la ville sont nombreux à s’expatrier en campagne avec la promesse d’une vie meilleure. C’est dans cette mouvance que les Crucifiés quittent Montréal pour Namur, en Outaouais, au printemps 1934. Ovila et sa bande n’hésitent pas à se rendre jusque sur le perron de l’église pour recruter de nouveaux fidèles. Son frère Omer et sa jeune épouse Irma viennent les rejoindre à l’automne.

Mais la secte perd des plumes. Les élucubrations du gourou impressionnent moins qu’à Montréal. Ovila en est réduit à se promener de rang en rang avec une boule de cristal et un paquet de cartes à jouer pour prédire l’avenir aux gens. Il lui reste bien quelques admirateurs, mais visiblement, la magie n’opère pas.

Omer en a assez d’être pauvre. Il apprend qu’un disciple des Crucifiés, Léon Leclerc, héberge chez lui un couple, Alfred Dudevoir et Annie Greenfield, qui cache une bonne somme d’argent. Cela est suffisant pour réveiller ses vieux démons et le transformer en tueur.

Le matin du 5 avril 1936, le tout village de Namur accourt à la maison de Léon Leclerc. Le brasier est intense. Dans les décombres, deux corps calcinés seront retrouvés. Le troisième, celui d’Annie Greenfield, ne sera jamais retrouvé. Omer, lui, s’est enfui à Montréal où il se donne en spectacle avec ses billets de banque. Il dépense beaucoup dans le Red Light. La police ne tardera pas à le retracer. Il sera accusé d’un double meurtre et sera pendu haut et court à la prison de Hull le 26 février 1937.

Ovila meurt en 1965. Irma le suivra en 1984. Mais ce n’est pas la fin de l’histoire.

source :
le 23 février 2013
par MATHIEU BÉLANGER

http://www.lapresse.ca/le-droit/actualites/petite-nation/201302/22/01-4624601-la-secte-des-crucifies-assassinats-et-viol-a-namur.php

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le 23 février 2013

Les secrets de famille de Serge Girard

MATHIEU BÉLANGER

Le Droit

Une boîte à chaussures. Vieillie par le temps. Oubliée depuis longtemps. Serge Girard était loin de se douter que son existence allait être bouleversée en ouvrant cette simple boîte, un jour de janvier 1984.

Sa mère Irma vient de mourir d’un cancer du cervelet. Elle avait 66 ans. Serge, le fils unique d’Ovila Girard et Irma Gaumond, doit vider l’appartement de sa défunte mère et prendre les dispositions pour régler la succession.

La première surprise survient à l’ouverture du testament. Serge apprend que sa mère n’était pas l’épouse légitime de son père, même si ces derniers ont vécu ensemble pendant 25 ans. Il fouille dans le passé de sa mère et découvre que ce mari légitime n’est plus de ce monde depuis longtemps. Pire, c’est un meurtrier qui a été pendu à la prison de Hull en 1937.

Le plus grand choc était encore à venir. La vérité, c’est la boîte à souliers qui la renferme. Dans cette boîte se trouvent des souvenirs, des photos de famille et une lettre.

«Je me souviens très bien de cette journée, raconte au Droit l’homme aujourd’hui âgé de 64 ans. J’étais assis à la table de la cuisine avec ma conjointe quand j’ai lu cette lettre.»

Le document est daté du 12novembre 1949. «Je soussigné Madeleine Cyr que de ma propre volonté j’autaurise (sic) Mr et Mde Ovila Girard à garder mon enfant et à lui donner leur nom et l’élever comme bon leur semblera. Ce qui me permettra de garder ma réputation et de refaire ma vie. Par conséquent je leur promet de ne jamais chercher à leur faire du trouble sur aucun rapport ni à nuire à l’enfant en cherchant à le voir et lui parler sous aucun prétexte. Sans quoi je m’engage à rembourser tous les frais qui sont l’accouchement la layette le trouble maladie de l’enfant et la pension.»

D’autres surprises

Serge Girard a donc été élevé par des parents adoptifs. «Ça m’a beaucoup ébranlé de l’apprendre, dit-il. Mais à ce moment-là, je ne savais encore rien d’eux, de leur passé, de leur vécu, de la secte et du meurtre.»

C’est grâce à l’enquête de l’historien et auteur gatinois Raymond Ouimet que Serge Girard a découvert sa véritable histoire familiale. Jamais son père ne lui avait raconté ses élucubrations de gourou de pacotille. Irma n’a jamais dit à son fils qu’elle avait en réalité épousé un psychopathe qui l’avait violé lorsqu’elle avait 15 ans, un homme qui a fini ses jours au bout d’une corde pour avoir assassiné deux vieillards, probablement trois.

«J’ai été élevé dans un bon foyer, raconte M.Girard. Mon père Ovila était un homme au grand coeur, quelqu’un d’une grande bonté. Il était très facile d’accès. Ma mère était une femme joviale, pas très sévère. Elle préférait se faire obéir par la parole. J’ai été choyé.»

http://www.lapresse.ca/le-droit/actualites/petite-nation/201302/23/01-4624701-les-secrets-de-famille-de-serge-girard.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_vous_suggere_4624601_article_POS2