Pour libérer la Syrie et la Perse des sultans et des premiers croisés, une secte fit régner la terreur. A leur tête : un mystérieux chef chiite réfugié au sommet d’une montagne.

Le 28 avril 1192, Conrad de Montferrat, le nouveau roi chrétien de Jérusalem, est poignardé par deux Sarrasins dans le port franc de Tyr. Il se murmure alors que le commanditaire du meurtre serait le chef d’une secte musulmane qui vivrait replié dans sa forteresse de Masyaf, située en Syrie, entre la ville de Hama et le littoral. Son nom ? Rashid ad-Din Sinân. Mais ses adeptes l’appellent «le Vieux de la montagne» ou encore «l’Ancien». Ce personnage mystérieux va devenir le pire cauchemar des croisés en Terre sainte…

De lui, on sait peu de choses. Il serait né en 1130. Certains disent qu’il aurait été maître d’école. D’autres qu’il fut un grand alchimiste, formé à Alamut, le fief des Ismaéliens. Sa société secrète aurait compté, au faîte de sa puissance, jusqu’à 60 000 hommes, se répartissant dans une dizaine de places fortes entre la Perse et la Syrie. En l’espace d’un siècle, ses membres ont tué des centaines de dirigeants politiques et de dignitaires musulmans, sunnites ou chiites. Mais avec Conrad de Montferrat, ils viennent de faire leur première grande victime chrétienne. Ces fanatiques se nomment les «Nizârites» et affirment paradoxalement vouloir «promouvoir la paix entre les hommes par l’exaltation du libre arbitre». Très respectueux du Coran, de la tradition et de la loi musulmane, ils croient à l’avènement d’une société nouvelle et juste dirigée par un héritier du prophète Mahomet : l’Imam, celui qui recherche la vérité….

C’est pourtant sous le terme d’Hashashins (devenus en français «Assassins») qu’ils vont entrer dans l’Histoire.
Un surnom que leur donnèrent leurs ennemis, puisque le comportement imprévisible de ces exaltés donnait l’impression qu’ils étaient sous l’emprise du haschich. Leur objectif politique est pourtant parfaitement clair : affaiblir, puis détruire l’ordre sunnite. Leur fondateur, Hassan Ibn al Sabbâh (1050-1124), a consacré déjà trente ans de sa vie à combattre par tous les moyens les Turcs seldjoukides qui se sont imposés en Perse, en Syrie et en Egypte. Ce chef charismatique a élaboré, au fil du temps, un mode de fonctionnement et des méthodes qui font de son organisation une entreprise de terreur planifiée et systématique.

Une secte dont les disciples sont prêts à se sacrifier

Les fils de paysans que recrute la secte — éduqués en arabe, mais aussi en latin et en grec — sont élevés dans le culte de leur chef auquel ils doivent une totale obéissance. Qu’il décide un meurtre, et son ordre est exécuté sur-le-champ. Sur un simple signe de ce représentant de l’Imam, ses combattants sont prêts à se jeter d’une muraille et à périr la tête fracassée sur les rochers. Une telle abnégation découle de la promesse de jouissance éternelle. Par leur sacrifice, ces disciples sont persuadés d’accéder au paradis, décrit comme un jardin extraordinaire offrant tous les délices et les plaisirs. On raconte à l’époque que Rashid ad-Din Sinân aurait créé dans la montagne où il vit replié un jardin secret à l’image de ce paradis promis, avec un décor enchanteur et un harem peuplé d’esclaves prêtes à assouvir tous les désirs. A la veille d’être envoyé en mission suicide, le sujet serait drogué au haschich et transporté dans cette alcôve extraordinaire d’où il reviendrait le matin suivant, persuadé qu’un tel paradis existe et que la mort en martyr lui en ouvrira les portes pour l’éternité ! Un stratagème qui n’est pas si éloigné de la promesse faite aujourd’hui par Al-Qaida ou Daesh à leurs terroristes candidats au suicide et à qui l’on promet soixante-dix vierges après leur trépas…

Pour perpétrer les meurtres qui leur sont dictés, les Hashashins maîtrisent un ensemble de techniques de combat d’une redoutable efficacité. Experts en infiltration et en déguisements, ils s’infiltrent armés de dagues et portent leurs coups en public, si possible le vendredi, jour de la prière, à la sortie de la mosquée, au milieu de la foule des fidèles. S’ils ne meurent pas alors sous les coups de l’ennemi, ils sont immédiatement poignardés par leurs propres frères d’armes…

Saladin, le sultan prit pour cible par les Hashashins

Une personnalité prise pour cible par les Assassins a peu de chance de s’en sortir, à moins de rendre les armes ou de négocier un arrangement. L’acharnement avec lequel ils s’attaquent à Saladin (1138-1193) en est une des preuves : début janvier 1175, alors que le sultan d’Egypte et de Syrie assiège Alep, treize membres de la secte du Vieux de la montagne s’introduisent dans son camp. Heureusement pour le prince arabe, l’un des émirs de Saladin reconnaît des membres de la secte et parvient à sauver in extremis la vie de son maître.

Le 22 mai 1176, le même scénario se répète. Saladin fait alors le siège d’Azaz au nord d’Alep. Quatre Assassins, déguisés en soldats de son armée, pénètrent dans sa tente. L’un d’eux le jette à terre mais Saladin est sauvé par un ancien mamelouk qui parvient à abattre son agresseur. Ses trois autres complices subissent le même sort. Protégé par son casque et sa brigandine, Saladin s’en tire avec une blessure à la joue, alors qu’un de ses émirs périt au cours de l’attaque. Désormais, une palissade en bois sera dressée autour du campement du sultan, et de la chaux répandue tout autour, afin de rendre visibles les intrusions. Difficile pourtant d’échapper à la redoutable détermination de la secte. On rapporte la légende suivante : un messager de Rashid ad-Din Sinân demande une audience privée auprès de Saladin. Le chef sarrasin fait sortir son entourage de sa tente, à l’exception des deux gardes en lesquels il a entièrement confiance. «Je les considère comme mes propres fils». C’est alors que l’envoyé des Assassins leur demande : «Si je vous demandais au nom de mon maître de tuer le sultan, le feriez-vous ?» Réponse des deux mamelouks : «Ordonne ce que tu veux de nous !», comme s’ils étaient hypnotisés. On a d’ailleurs longtemps prêté à ces Assassins des pouvoirs quasi-surnaturels. Mettant en garde le roi de France Philippe VI avant une nouvelle croisade en Palestine, le prêtre allemand Brocardus les a dépeints ainsi en 1333 : «Ils se transforment en anges de lumière, en imitant les gestes, les habits, la langue, les mœurs et les actions de divers peuples.»

Avec les premiers témoignages des croisés, puis ceux de Saladin et Marco Polo, la légende de ces tueurs n’a fait que s’accentuer à travers les siècles, quitte à brouiller la frontière entre fiction et réalité. Aujourd’hui encore, leur souvenir enflamme les esprits… Dans la scène inaugurale du jeu vidéo Assassin’s Creed, lancé en 2007, on y voit un maître assassin descendre du clocher de Masyaf pour se fondre dans la foule, puis se glisser au pied d’une estrade d’où il exécute trois Templiers, avant de disparaître promptement. Le jeu est depuis devenu une saga à succès, preuve que la légende des Hashashins brille toujours d’un sombre éclat.

Article paru dans dans le magazine GEO Histoire d’avril – mai 2020 sur la Syrie (n°50).

https://www.geo.fr/histoire/la-syrie-au-temps-de-la-secte-des-hashashins-201198

Par François Vey 

le 08/07/2020

What do you want to do ?

New mail