Par Cécilia Gabizon

17/03/2010 |

{ {{Directeur d’études à l’École pratique des hautes études, Philippe Portier y dirige le groupe sociétés, religions, laïcités. Il a participé à la commission du HCI comme expert.}} }

LE FIGARO. – {{La laïcité est-elle mise à l’épreuve ces dernières années par de nouvelles revendications religieuses ?}}

Philippe PORTIER. – En réalité, le régime de laïcité a déjà connu des évolutions importantes depuis la loi de 1905. Ce texte fondamental consacre la liberté de conscience, c’est-à-dire de croire ou de ne pas croire. Parallèlement, l’État ne reconnaît ni ne salarie aucun culte. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la laïcité est appliquée à la lettre, avec par exemple l’interdiction des insignes religieux et politiques dans les écoles, ou le refus systématique de subventionner les établissements privés. Dans les années 1950, la laïcité scolaire connaît un processus d’«ouverture» : la puissance publique accorde des bourses aux élèves du privé. En 1959, la droite gaulliste, soutenue par un électorat catholique puissant, fait voter la subvention aux frais de personnels et de fonctionnement des écoles privées malgré la forte résistance du camp laïque : onze millions de personnes s’y opposent dans une pétition. C’est un premier aménagement qui ouvre une période de reconnaissance des religions par le politique.

{{C’est lorsque la pratique religieuse catholique régresse que des avantages sont accordés à l’Église ?}}

À partir des années 1960, de nombreux avantages vont bientôt être accordés aux Églises, et pas seulement à l’Église catholique, en matière notamment de financement des activités sociales et même cultuelles (par un système d’exemptions et de déductions fiscales). La puissance publique au niveau local comme au niveau national va introduire les communautés de croyances dans les cercles de réflexion, comme en 1983, sous la présidence de François Mitterrand, avec l’intégration des représentants des forces spirituelles au sein du Comité consultatif national d’éthique. L’État-providence, en crise, s’appuie aussi sur les religions dans le traitement de la pauvreté. Cette ouverture au religieux repose sur plusieurs facteurs : l’Église catholique est ­désormais moins puissante et acquise, depuis Vatican II, à la démocratie libérale, ce qui a contribué à apaiser les antagonismes. Mais c’est aussi l’émergence d’un nouveau modèle de gouvernement, plus ouvert que par le passé aux institutions de la société civile, à la reconnaissance des identités culturelles et religieuses.

{{La laïcité à la française est-elle en voie de disparition ?}}

D’un côté, les pouvoirs reconnaissent chaque jour davantage les religions, fiscalement, avec des dispositifs qui facilitent la construction des mosquées, symboliquement, comme nous l’avons vu avec les cérémonies religieuses pour les victimes de la tempête Xynthia. La demande de jours fériés non catholiques fait son chemin, tout comme les menus de substitution dans la restauration collective. Mais l’État ne fait pas droit à toutes les demandes. On observe une certaine crispation autour des signes religieux, et notamment du voile et plus encore de la burqa, perçus comme une aliénation de la femme, comme remettant en cause l’égalité des sexes.