Poursuivi pour diffamation, Grégoire Perra, opposant de la pédagogie de Rudolf Steiner et de la biodynamie, vient de gagner son procès.

Il est la bête noire de l’anthroposophie et des écoles Steiner-Waldorf, nébuleuse fondée par l’occultiste et polygraphe Rudolf Steiner (1861-1925).

Ancien professeur dans ces établissements alternatifs, Grégoire Perra était poursuivi pour diffamation par la fédération des écoles Steiner-Waldorf, comme par une enseignante de l’école de Verrières-le-Buisson (Essonne), sous contrat avec l’État.

En cause, des articles de son blog dénonçant la médecine anthroposophique, ou encore une sortie scolaire servant à promouvoir la biodynamie sous couvert de sciences.

Grégoire Perra vient d’être relaxé par le tribunal correctionnel de Strasbourg, qui lui reconnaît sa bonne foi. 

Le Point lui avait donné la parole, comme à Nicolas Tavernier, ancien élève des écoles Steiner-Waldorf qui défend, lui, cette pédagogie.

Nous avons une nouvelle fois interrogé Grégoire Perra quelques heures après cette victoire juridique qui lui reconnaît sa liberté de parole.

Le Point : Vous venez de remporter votre deuxième procès contre la fédération des écoles Steiner-Waldorf. Quelle est votre réaction ?

Grégoire Perra : Il y avait deux plaintes contre moi. Une première émanait de la fédération des écoles Steiner-Waldorf contre un article de mon blog intitulé « Mon expérience de la médecine anthroposophique », dans lequel j’évoquais la pseudo-médecine scolaire dans ces écoles. L’autre plainte, individuelle, provenait d’une enseignante de l’école Steiner de Verrière-le-Buisson (Essonne), Virginie Macé. Cette plainte visait un article sur les voyages de classe dans les écoles Steiner. J’ai révélé sur mon blog que cette enseignante a organisé un voyage de classe avec des élèves de sixième, dont le thème était « minéralogie et astronomie ». Mais l’intervenant n’était autre que René Becker, secrétaire général de la Société anthroposophique en France, qui n’a aucune compétence en matière de minéralogie ou d’astronomie. Pour avoir été élève, puis enseignant, en école Steiner, je sais que ces voyages de classe sont des moments particulièrement propices pour endoctriner les enfants à l’anthroposophie. C’est parce que j’ai écrit cela que les anthroposophes m’ont attaqué en justice. Le juge a reconnu ma bonne foi.

Pensez-vous qu’on veuille vous faire taire ?

Oui. Je suis la cible d’un harcèlement. Il y a toujours un troisième procès, une plainte de l’association représentante des médecins anthroposophes (CNP MEP SMA, présidée par le docteur Robert Kempenich, mis en cause par le journal Science et avenir dans le scandale de l’Iscador, ce « médicament anthroposophique anticancéreux » à base de gui fermenté, vendu en France, selon ce même journal, sans autorisation.

Les trois procès m’ont été intentés simultanément, par le même avocat. En tout, les anthroposophes m’ont réclamé 94 000 euros. C’est typique de la manière d’agir d’une secte. Les anthroposophes profitent du fait qu’ils ont des structures apparemment indépendantes les unes des autres, mais ils attaquent de manière coordonnée, en meute. L’objectif : me mettre sur la paille, afin de me forcer à fermer mon modeste blog qui informe les gens sur les pratiques de ces écoles et qui permet à des victimes de comprendre dans quoi ils sont tombés. Pour être sorti de cette secte par mes propres moyens, je sais que ce n’est pas facile. Quitter la nébuleuse de l’anthroposophie, quand on y a fait sa vie, est un tel cauchemar que les victimes, souvent, ont des difficultés à comprendre leur propre passé. La plupart des victimes qui s’adressent à moi, via mon blog, ont, en premier lieu, le besoin de comprendre.

À partir du 11 juillet 2019, deux jours après le procès à Strasbourg, j’ai fait l’objet d’une campagne de diffamation avec des accusations infondées, des insultes, des menaces larvées, des dénonciations calomnieuses auprès de mes proches ou de mes soutiens. Ils usent de tous les moyens pour tenter de me faire taire. Ce que les anthroposophes n’ont peut-être pas encore bien compris, c’est que toutes ces attaques ne font que renforcer ma conviction que je dois continuer de tenir mon blog. Car je ne le tiens pas pour moi. Je le fais pour les autres, pour ceux qui sont restés piégés dans les griffes de la secte, et pour qui je continue malgré tout de nourrir une profonde affection. J’y évoque le cas de tous ces enfants à travers le monde que l’on embrigade quotidiennement dans les écoles Steiner, comme l’on m’a embrigadé lorsque j’étais enfant. Je le fais pour tous ces malades du cancer qui ne se « soignent » qu’au gui et à l’art-thérapie, selon les méthodes barbares et obscurantistes de Rudolf Steiner, et qui finissent par décéder dans d’atroces souffrances. J’ai connu, jadis, certains d’entre eux, que j’ai accompagnés jusqu’à ce qu’on appelle, dans la secte, la « prochaine incarnation » : la mort.

Cette victoire juridique, à mes yeux, n’est pas la mienne. C’est celle de toutes les victimes qui ont encore peur de témoigner. J’ai été, en France, la première victime à parler publiquement, mais désormais d’autres commencent à prendre la parole. Je ne suis pas seul. Dans d’autres pays du monde, d’autres associations et d’autres personnes font le même travail. Toutes les associations de lutte contre les dérives sectaires en France mettent en garde contre l’anthroposophie. En Allemagne, en France, en Angleterre, des journalistes signent des enquêtes retentissantes. Je ne porte pas un combat isolé. Nous sommes de plus en plus nombreux à exprimer librement nos critiques et nos témoignages.

À ce propos, il me faut signaler que la journaliste Margaux Duquesnes vient de publier une enquête sur de nombreux cas d’abus sexuels étouffés dans différentes écoles Steiner de la planète. Rien qu’à Verrière-le-Buisson, elle a recensé trois cas.

Les politiques se sont-ils penchés sur la question de l’anthroposophie ?

Dans un courriel, Serge Blisko, ancien président de la Miviludes, m’a écrit : « sur les conseils du cabinet du Premier ministre, nous devons rester en stand-by sur cette question ». Le gouvernement actuel a eu plusieurs liens avec l’anthroposophie.

Françoise Nyssen, ancienne ministre de la Culture, a fondé une école Steiner-Waldorf à Arles, comme l’a révélé l’an dernier Le Monde diplomatique.

Le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume a récemment vanté les mérites de la biodynamie, et un article en faveur de la biodynamie a été publié dans la revue du ministère de l’Agriculture.

En réalité, la biodynamie est une pratique magico-religieuse, liée à la cosmologie religieuse de Rudolf Steiner, avec l’idée que le système solaire tout entier se réincarne, et qu’il faut entrer en contact avec les forces cosmiques ou les entités ultrasensibles comme les gnomes, les elfes ou les ondines pour favoriser les cultures.

Cette agriculture nécessite des rituels et relève du domaine du religieux.

Il faut bien comprendre que « biodynamie », c’est comme « halal » ou « cacher », il s’agit d’une simple codification rituelle, cela ne dit pas si le vin sera bon ou mauvais.

Cela pose donc de sérieuses questions de laïcité au sein du ministère de l’Agriculture.

L’anthroposophie n’est pas une philosophie, une organisation écologiste ou un réseau d’écoles « alternatives ».

Non. C’est une secte.

Je suis très inquiet de la refonte annoncée de la Miviludes, qui cessera prochainement d’être interministérielle et devrait perdre beaucoup de ses prérogatives et de ses moyens d’action.

Le gouvernement ne fait absolument rien pour lutter contre la menace que fait peser l’anthroposophie sur la société.

source :  Propos recueillis par Thomas Mahle rPublié le 02/10/2019 Le Point.fr