Hors de toute clandestinité, un psychédélique, l’ayahuasca, est utilisé pour lutter contre les addictions à la cocaïne, l’alcool ou les opiacés. Cela se passe au centre Takiwasi, en Haute-Amazonie, près de Tarapoto (Pérou). Fondé par le médecin français, Jacques Mabit, en 1992, ce centre adapte un rituel millénaire de guérison, en mélangeant psychologie occidentale et connaissances chamaniques. Exigeant et éprouvant, le traitement avec cette liane psychotrope associée à d’autres plantes dure neuf mois, et donne des résultats.
Toléré dans certains pays, mais classé comme stupéfiant en France depuis 2005, parce qu’il contient du DMT (diméthyltryptamine, un psychédélique), l’ayahuasca, boisson dégoûtante préparée avec deux plantes, se consomme lors d’un rituel d’hallucination collective encadré par des maestros ou ayahuasqueros. «L’ayahuasca est un Concorde dont on a rempli les réservoirs de nitroglycérine et on a intérêt à pouvoir faire confiance au pilote», lit-on dans Lucie dans le ciel, de Tom Verdier (Albin Michel).
Le voyage intérieur est marqué par des visions parfois effrayantes et des vomissements et nausées. «C’était comme être dans une machine à laver pendant trois heures», a expliqué l’anthropologue canadien Jérémy Narby, en contant sa première expérience en 1985 (1) : «Je me suis retrouvé entouré par des serpents énormes et fluorescents, complètement terrifiants, qui se sont mis à m’expliquer dans une sorte de langage télépathique des vérités pénibles à entendre à propos de ma personne. Ils m’ont dit : « Tu n’es qu’un tout petit être humain. »»
La suite ? «Je me suis trouvé précipité en dehors de mon corps et, dans mes visions, je suis arrivé à des kilomètres au-dessus de la planète, qui était devenue toute blanche, toute petite. Et, quand le chamane a modifié son chant, je suis retombé dans mon corps et j’ai commencé à voir des centaines de milliers d’images.» Pour Narby, «on peut prendre de l’ayahuasca avec un praticien pleinement formé – notez bien – et apprendre des choses».
A Takiwasi, l’ayahuasca est aussi délivré lors de «séminaires d’évolution personnelle» de quinze jours. C’est «un outil pour entrer en contact avec notre monde interne», affirme Ghislaine Bourgogne, psychanalyste lyonnaise. Cette proche de Jacques Mabit, qui en a fait un usage personnel au Pérou, prévient : «Ce n’est ni un soin avec un psychotrope ni une prise de drogue, mais une pratique bien précise, et on ne peut pas en faire un usage sauvage. Si on l’isole de son contexte, ça peut créer des dommages.»
Une mode autour de cette «plante sacrée» a généré un «tourisme magique» au Pérou et une consommation incontrôlée en Occident qui comporte des risques. Plusieurs décès ont été déplorés, dont l’acrobate handicapé Fabrice Champion, en 2011, au Pérou. L’ambassade de France à Lima prévient des «conséquences médicales graves, susceptibles d’entraîner la mort». Les personnes cardiaques, psychotiques, sous antidépresseurs ou autres médicaments doivent absolument s’abstenir.
Autre risque, selon Narby, des individus «peu formés» administrent de l’ayahuasca «mal préparée» : «Des Occidentaux ont payé au prix fort leur côtoiement du côté négatif de l’ayahuasca : malaises psychiques et physiques, dépressions aggravées, et même plusieurs suicides.» Un homme a raconté à l’anthropologue : «Je me suis senti réduit en miettes, comme si ma psyché avait été démontée mais pas reconstruite.» Souffrant de dépression chronique, il s’est suicidé. «Les plantes chamaniques sont des outils puissants, il convient de les utiliser avec prudence», insiste Narby.
Les pratiques de Takiwasi dans la lutte contre les addictions sont reconnues au Pérou, mais une association française, Psychothérapie vigilance, l’accuse régulièrement de dérive sectaire. En 2002, Ghislaine Bourgogne et Jacques Mabit ont été mis en examen à Pau (Pyrénées-Atlantiques) pour trafic de stupéfiants et «abus d’une personne en état de suggestion», mais l’accusation ne tenait pas et ils ont obtenu un non-lieu.
Le 12 février, le parquet a requis une amende contre deux psychothérapeutes des Hautes-Pyrénées jugés en correctionnelle à Tarbes pour «provocation à l’usage de stupéfiant» et «présentation d’un stupéfiant sous un jour favorable». Leur tort ? Un lien sur leur site internet renvoyait à celui de Takiwasi. «Ce n’était pas de l’incitation, mais de l’information, comme la dizaine d’ouvrages en vente libre sur le même thème», a plaidé leur avocat, Me Thierry Sagardoytho. Le tribunal l’a écouté et a relaxé les deux prévenus, le 12 mars.
(1) Dans «Toxicomanie et devenir de l’humanité», sous la direction de Claude Olievenstein (Odile Jacob, 2001). On peut aussi lire «Plantes et chamanisme : conversations autour de l’ayahuasca et de l’iboga», de Jan Kounen, Jérémy Narby et Vincent Ravalec (Mama éditions, 2008).
source : Par MICHEL HENRY
Libération