L’archevêque de Lyon a été reconnu coupable de ne pas avoir dénoncé les agressions du prêtre Bernard Preynat sur des enfants.

Le prélat âgé de 68 ans a expliqué n’avoir appris les agressions reprochées au père Preynat qu’en 2014, quand une victime se confia à lui. JEFF PACHOUD / AFP

« Je ne vois pas de quoi je suis coupable », avait déclaré le cardinal Philippe Barbarin lors de son procès à Lyon. Jeudi 7 mars, le tribunal correctionnel l’a finalement reconnu coupable d’une partie des faits de non-dénonciation d’atteintes sexuelles sur mineurs de 15 ans qui lui valaient d’être poursuivi, et l’a condamné à six mois de prison avec sursis.

Il a en revanche prononcé la relaxe des cinq autres prévenus, l’archevêque d’Auch, Maurice Gardès ; l’évêque de Nevers, Thierry Brac de La Perrière ; le prêtre Xavier Grillon ; et les deux laïcs, Pierre Durieux, ex-directeur de cabinet de Philippe Barbarin, et Régine Maire, chargée par l’archevêché de recevoir les victimes de pédophilie.

Symboliquement, les juges retiennent donc la culpabilité du plus haut membre de la hiérarchie catholique, contre lequel l’association La Parole libérée avait porté plainte pour dénoncer le silence de l’Eglise face aux faits de pédophilie reprochés à Bernard Preynat, un ancien aumônier scout de Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône). Cette décision signifie donc que, pour les juges, le cardinal Barbarin a intentionnellement fait entrave à la justice en s’abstenant de dénoncer les faits portés à sa connaissance.

« Une grande victoire pour la protection de l’enfance »

Les avocats du cardinal Barbarin ont immédiatement annoncé qu’ils feraient appel de cette décision. « La motivation du tribunal ne me convainc pas. Nous allons donc contester cette décision par toutes les voies de droit utiles », a expliqué Jean-Félix Luciani, qui estime qu’il« était difficile pour le tribunal de résister à une telle pression avec des documentaires, un film… Ça pose de vraies questions sur le respect de la justice ».

Du côté des plaignants, cette condamnation est considérée comme « une grande victoire pour la protection de l’enfance », selon François Devaux, le cofondateur de l’association de victimes La Parole libérée :

« Cette victoire envoie un signal très fort à beaucoup de victimes et leur permet de comprendre qu’elles sont entendues, écoutées et reconnues… [C’est] l’aboutissement d’un long parcours pour qu’émerge une prise de conscience. »

L’audience de début janvier avait marqué les esprits, tant le prélat incarne depuis trois ans en France la crise de l’Eglise face à la pédophilie, qui vient de faire l’objet d’un sommet inédit de la hiérarchie catholique au Vatican. A l’issue des débats, la procureure Charlotte Trabut n’avait pas requis de peine à l’encontre de l’archevêque, ni des cinq anciens membres du diocèse poursuivis avec lui, tout en assurant de son impartialité. Ils encouraient trois ans de prison et 45 000 euros d’amende.

Témoignages « poignants »

Une position délicate à tenir après les témoignages, crus et poignants, livrés à la barre par d’anciens scouts à l’origine de l’affaire. Mais un avis conforme à celui du parquet, qui avait classé sans suite une première enquête en 2016.

Soutenus par l’association de victimes La Parole libérée, neuf hommes avaient d’abord accusé le père Bernard Preynat d’avoir abusé d’eux – des faits pour lesquels ce dernier n’a pas encore été jugé – avant de porter plainte contre ceux qui n’ont rien dit des agissements du prêtre.

Faute de poursuites, ils ont lancé en 2017 une procédure de citation directe devant le tribunal, qui leur garantissait un procès pour la première fois depuis la révélation de l’affaire, à la fin de 2015. François Devaux, cofondateur de La Parole libérée, dément tout « acharnement contre la personne » de Mgr Barbarin, mais il lui paraît « important que ce débat ait eu lieu au sein d’un tribunal », puisque « le pape ne prend pas ses responsabilités pour appliquer la tolérance zéro qu’il prône depuis des années » sur les agressions sexuelles dans l’Eglise.

Procès exemplaire

<img src=”https://img.lemde.fr/2019/02/21/0/0/6720/4480/688/0/60/0/ac9e6bd_2d38cc50af8b4412bb909d99101293e3-2d38cc50af8b4412bb909d99101293e3-0.jpg”> François Devaux, cofondateur de La Parole libérée, le 7 janvier2019. LAURENT CIPRIANI / AP

Conduit il y a deux mois par la présidente de la 17e chambre correctionnelle, Brigitte Vernay, le procès a été à la hauteur des enjeux. Le prélat âgé de 68 ans a expliqué n’avoir appris les agressions reprochées au père Preynat qu’en 2014, quand une victime se confia à lui. Pour Me Jean Boudot, avocat des parties civiles, le cardinal était au courant depuis 2010 au moins, date à laquelle il s’était entretenu avec le prêtre sur les « rumeurs » qui couraient à son sujet.

La défense a pour sa part plaidé la relaxe tout en se disant bouleversée par la douleur des victimes. « Mais la douleur n’est pas le droit », a estimé Me Jean-Félix Luciani, avocat du primat des Gaules.

En 2001 puis en 2018, des évêques ont été condamnés dans des affaires similaires. Quelle qu’en soit l’issue, les plaignants affirmaient en janvier attendre de ce procès « le début d’une nouvelle ère ».

« Je crois en toute humilité que l’Eglise de France s’en souviendra. »

source : https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/03/07/l-heure-du-verdict-pour-le-cardinal-barbarin_5432549_3224.html

Le Monde avec AFP Publié aujourd’hui à 08h50, mis à jour à 10h37