Si éduquer ses enfants à domicile représente un défi de taille pour tout parent, il s’agit d’un exploit pour la plupart des parents hassidiques. Les pères n’ont pas pu développer leurs compétences à cet égard, n’ayant pas reçu eux-mêmes une éducation séculière suffisante, et les mères, en charge de familles nombreuses, travaillent souvent à l’extérieur de la maison.

L’enjeu est d’autant plus important du fait que l’éducation à domicile est en ce moment la seule avenue permettant d’assurer aux garçons des communautés hassidiques une éducation séculière adéquate et qui respecte les exigences du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec (MEES).

Chercheuse en sciences de l’éducation, je travaille en collaboration depuis deux ans avec ma co-auteure, Devorah Feldman, travailleuse sociale issue d’une communauté hassidique et directrice du Limmud Centre. Cet organisme propose depuis 2015 un programme créé pour aider les parents hassidiques à combler le manque d’éducation séculière dans les écoles religieuses fréquentées par leurs garçons. Si le succès de ce programme témoigne du potentiel que représente la nouvelle approche du MEES dans ce dossier, il faut envisager également les risques que celle-ci comporte.

Une communauté bien visible

Les Juifs hassidiques, à Montréal comme ailleurs, attirent l’attention médiatique et parfois politique. Pourtant, à Montréal, les neuf communautés hassidiques ne comptent qu’environ 11 000 personnes, soit 12 % de la communauté juive québécoise.

Bien que les communautés hassidiques préfèrent rester à l’écart du monde extérieur, elles vivent souvent au cœur de la ville et sont très visibles par leur tenue vestimentaire (les hommes sont vêtus de noir hiver comme été et portent de grands chapeaux, des streimel, et les femmes portent la perruque). Ils ont aussi un mode de vie bien distinct (commerces séparés, jours fériés différents et familles nombreuses).

Le grand public peut les découvrir à travers des films comme Felix et Méira, de Maxime Giroux, des documentaires, des romans comme Celui qui va vers elle ne revient pas, de Shulem Deen, ou des BD comme Salomé et les hommes en noir de Valérie Amiraux et Francis Desharnais. Des séries comme Unorthodox, distribuées sur Netflix, ont aussi permis de mieux connaître la vie des juifs hassidiques.

Instruction séculière insuffisante

Pour mieux comprendre leurs défis éducatifs, il faut expliquer d’abord l’éducation au sein de ces communautés, qui prend des allures étonnantes pour les non avertis. Les filles, qui devront plus tard gérer la maisonnée (enfants, cuisine, éducation), mais aussi travailler à l’extérieur pour gagner un salaire convenable, fréquentent des écoles religieuse qui assurent, en plus de l’éducation religieuse, une instruction séculière adéquate et même reconnue dans les palmarès annuels des écoles.

En revanche, en tant que responsables de la vie spirituelle et communautaire, les hommes doivent avoir une connaissance approfondie de la Torah. Ils étudient la Bible, le Talmud, la Mishna et d’autres textes interprétant la Bible. Leur éducation est ainsi consacrée dès leur plus bas âge à l’apprentissage de la langue sacrée, l’hébreu ancien (lashon kodesh) et à l’étude cyclique des textes au sein d’écoles religieuses qui ne sont ni reconnues ni accréditées par le MEES.

Pour reconnaître une école, le MEES exige qu’elle offre d’abord le Programme de formation de l’école québécoise dans sa totalité avant d’ajouter des heures supplémentaires pour des projets particuliers (comme le font les écoles juives qui sont accréditées).

Les jeunes garçons hassidiques fréquentant les écoles religieuses peuvent donc terminer leur scolarité obligatoire sans avoir acquis les compétences nécessaires en français, langue officielle du Québec, et en anglais, qui est pourtant souvent leur langue maternelle d’usage. C’est le cas aussi dans diverses disciplines scolaires comme les mathématiques, les sciences, l’histoire, la géographie ou l’éthique et culture religieuse).

Les communautés hassidiques valorisent beaucoup l’éducation pour assurer la transmission du savoir et le maintien de leur mode de vie. Par l’éducation, elles affirment leur identité et leurs différences avec la société québécoise au sens large. Ce n’est pas le fait d’apprendre les matières séculières que les hassidim rejettent, mais le fait de prioriser cet enseignement par rapport à l’enseignement religieux.

Des tensions politiques

Ce problème n’est pas nouveau. Les gouvernements québécois successifs ont tenté de trouver un terrain d’entente avec les autorités rabbiniques depuis déjà des décennies, en vain. Or le procès intenté par un couple scolarisé dans une école religieuse et ayant grandi au sein de la communauté Tosh de Boisbriand a forcé le gouvernement à proposer une solution viable. Le couple accuse l’État québécois de ne pas avoir respecté son obligation légale d’assurer leur droit à l’éducation.

Plutôt que de forcer les écoles religieuses à respecter le régime pédagogique prévu par la Loi sur l’instruction publique, le gouvernement québécois a proposé un amendement qui régularise le choix de l’éducation à domicile et qui permet aux parents hassidiques de l’adopter pour l’instruction séculière, tout en continuant d’envoyer leurs enfants aux écoles religieuses durant la journée.

L’objectif du Limmud Centre, un centre d’apprentissage né de l’initiative des mères hassidiques, est de proposer de soutenir les parents en accueillant quotidiennement les garçons, pendant une heure, après l’école. Ils y apprennent les mathématiques, l’anglais, l’univers social et les sciences. Rien n’est tabou.

Des précautions à prendre

Une enquête menée depuis 2018 dans le cadre d’un projet en partenariat subventionné par le CRSH, nous a permis de documenter ce travail et de constater les réussites éducatives des garçons. Par exemple, à la fin de l’année scolaire, les élèves peuvent présenter des textes d’une qualité qui dépasse souvent leur niveau scolaire, alors que plusieurs avaient un retard important à rattraper en lecture et en écriture. Ils démontrent aussi un niveau très élevé en mathématiques et en sciences.

Ainsi, les élections, le système solaire ou encore le corps humain ont été entre autres abordés au courant de la dernière année. Pour réussir cet exploit, le centre favorise des pratiques pédagogiques alternatives et interdisciplinaires en travaillant avec de petits groupes, sur des thématiques diversifiées.

Cette structure proposée par le Limmud Centre, offrant l’apprentissage des matières séculières en dehors des écoles religieuses de manière indépendante, reste unique pour l’instant. La plupart des garçons hassidiques suivent des cours complémentaires dispensés par des représentants d’organismes qui viennent à leurs écoles religieuses en fin de journée. Si cela peut sembler encourageant, ce mode de fonctionnement doit faire l’objet de précautions pour plusieurs raisons.

D’abord, les rôles joués par les écoles communautaires – religieuses – dans l’inscription des enfants auprès du ministère et des centres de services scolaires qui supervisent l’éducation à domicile doivent être clarifiés afin d’éviter que les autorités rabbiniques gardent cette éducation sous leur tutelle, alors qu’elle doit être désormais sous la responsabilité des parents.
Il y a lieu de s’inquiéter aussi de l’éducation des filles qui, jusqu’alors, était conforme aux exigences ministérielles. Pourront-elles toujours profiter d’un système scolaire complet alors que, selon le nouveau modèle, les écoles peuvent en faire l’économie et remettre cette responsabilité aux parents?

Un autre questionnement doit être soulevé devant la nécessité de proposer à nouveau aux enfants hassidiques un traitement différent en leur donnant accès à d’autres structures de soutien et modalités d’inscription.

Enfin, il faudra s’assurer que cette instruction séculière, officiellement sous la responsabilité des parents, ne soit pas à nouveau prise en charge par les mêmes autorités communautaires qui ont si longtemps refusé d’assurer une éducation adéquate aux garçons hassidiques.

source:

Authors

  1. Sivane Hirsch

Professeure titulaire, Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)

  1. Devorah Feldman

Founder and Executive Director, Limmud Centre

Disclosure statement

Sivane Hirsch receives funding from CRSH, engagement partenariat

Devorah Feldman est directrice du Limmud Centre.

Partners

Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) provides funding as a founding partner of The Conversation CA-FR.

Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) provides funding as a member of The Conversation CA.

https://theconversation.com/le-casse-tete-de-leducation-a-domicile-au-sein-des-communautes-hassidiques-141931