Le succès persistant de cet homme est un mystère. Thierry Meyssan s’est rendu célèbre en écrivant, dans L’Effroyable Imposture, puis dans Le Pentagate (Carnot), que les services secrets américains avaient monté les attentats contre le Pentagone et le World Trade Center. Les esprits sensés savent que ces thèses sont délirantes, pourtant, à la tête de Réseau Voltaire.net, une agence d’information alternative qu’il a créée en 1994 (en ligne depuis 1998), Thierry Meyssan continue d’inonder le monde de ses “scoops” et d’influencer une certaine gauche française, peu regardante sur la rigueur. Plus grave, cet homme est considéré à travers le monde comme un “dieu vivant”, selon l’expression de la politologue Fiammetta Venner, qui lui consacre un portrait remarquablement enquêté: L’Effroyable Imposteur, chez Grasset.

Les thèses extravagantes de Thierry Meyssan, qui, selon Fiammetta Venner, se présente partout comme l’ “ambassadeur de la liberté d’expression”, ont en réalité servi les intérêts de ceux qui, notamment, chargent les Etats-Unis et diabolisent les juifs. Et comblé à travers le monde les lecteurs épris d’irrationnel qui, se méfiant des vérités officielles, finissent par douter de toute information raisonnable: c’est si facile de croire au complot ennemi.

Postures paranoïaques. Le paradoxe, dans cette affaire, est que cet homme devenu le porte-drapeau passionné d’un fatras idéologique faisant le lit de l’islamisme n’en est pas à son premier combat. Par ses excès, ses approximations, sa soif de reconnaissance et ses postures paranoïaques, il colle furieusement à l’époque. Il en a d’ailleurs épousé toutes les causes. Il les a si bien épousées que, chaque fois, il s’est hissé à des positions de porte-voix, et qu’il a souvent usé et abusé de ce méli-mélo de vraies simplifications et de pseudo-informations. Fiammetta Venner retrace son itinéraire, qui débute dans le militantisme chez les catholiques charismatiques – un mouvement critique et libertaire devenu sectaire. Elle raconte comment la photo de son visage extatique, au premier rang des fidèles sous le balcon du pape, a longtemps servi d’illustration à la presse. Après un mariage annulé par l’Eglise catholique – fait exceptionnel, pour “homosexualité” – il est devenu, selon l’expression de Venner, “leader puis paria” chez les gays. Soutenu en particulier par des réseaux financiers du porno, Meyssan lance alors une association de lutte contre les discriminations sexuelles, le Projet Ornicar, “vite transformée en machine à rumeurs”, poursuit Venner, mélange d’élucubrations politiques et de règlements de comptes personnels. Au milieu des années 1990, il rebondit et crée le Réseau Voltaire, pour la “promotion de la Liberté et de la Laïcité”, où se côtoient gauche plurielle – du Parti radical de gauche (PRG) aux Verts – laïques, cathos de gauche, féministes. Aujourd’hui, beaucoup ont pris leurs distances avec Thierry Meyssan. Mais il est toujours secrétaire national du PRG. Et il est reçu officiellement au Venezuela, dans les Emirats et en Iran. Le Réseau Voltaire s’offre désormais en espagnol et en arabe. Issa El-Ayoubi, son vice-président, est chargé de la version arabe. C’est lui qui, chez Marc-Olivier Fogiel, a fait l’éloge vibrant d’Al-Manar, la chaîne du Hezbollah, interdite en France par le Conseil d’Etat.

source :Par Jacqueline Remy (L’Express), publié le 14/03/2005