Soyons clairs. Qu’ils admettent ou pas l’évolution, la biologie n’a jamais intéressé les créationnistes. La science, ils s’en balancent. La seule chose qui leur importe, c’est de réintroduire de la transcendance dans le monde du vivant, de connecter à nouveau le surnaturel au naturel, pour nous faire croire qu’on descend du ciel, et que la religion, c’est de la science. Et de là, chasser le hasard pour redonner à la créature une mission et des devoirs envers son Créateur, ressortir la Bible ou le Coran des boules à mites pour enseigner aux enfants ce qui est bien ou mal, une morale qu’on dira « naturelle » avec bien sûr le label de la science. Vous croyez que j’exagère ? Non, l’enjeu ultime et inavoué de ces fous de Dieu, c’est de moraliser la vie sociale pour condamner les condoms , le sexe, l’avortement, l’homosexualité, et applaudir le sida.

Le début de ce siècle connaît un regain de ferveur religieuse à l’échelle mondiale, qui devrait nous inquiéter au plus haut point. L’offensive est sur tous les fronts. La religion investit de plus en plus la politique, minant les fondements de la démocratie et de la laïcité, et la lutte politique qui s’intensifie contre le darwinisme constitue une offensive concertée pour pénétrer plus avant dans l’éducation laïque et fragiliser son bastion le plus solide : la science. Allons-nous laisser faire cela ? À ceux qui dorment, je leur souhaite de ne jamais se réveiller ! (“La Laïcité ça s’impose”, Editions du Renouveau Québécois, pages 152 & 153)

LE CRÉATIONNISME HISTORIQUE

Jusqu’à Darwin (1809-1882), le « créationnisme » était majoritaire dans les représentations de l’histoire de la Terre et l’origine de la vie. Mais alors que les sciences physiques avaient secoué la tradition chrétienne dès le XVIIe siècle comme en témoigne le procès de Galilée, l’histoire naturelle était restée dominée par les hommes d’Eglise et leur conception spiritualiste.

A l’époque où « les Lumières » triomphaient un peu partout en Europe, la pensée dominante considérait qu’en six jours, Dieu avait créé la terre, les plantes, les animaux, l’homme et enfin la femme (créationnisme). Dans ce cadre préscientifique, les nouvelles espèces sont impossibles et les mutations n’existent pas (fixisme). Seules évolutions possibles, les disparitions (ex : les dinosaures) et les catastrophes (ex : le déluge et l’Arche de Noé).

Pourtant, au XVII-XVIIIe siècle, cette vision commence à être sérieusement remise en cause, à mesure qu’elle échoue à expliquer un nombre croissant de nouvelles découvertes, notamment, de fossiles et de « monstres » ou « mutants » :

– Les fossiles remettent en question la chronologie de la création de la terre, fixée par la tradition judéo-chrétienne à environ 4000 ans avant JC.

– Les « monstres » (animaux ou plantes mal conformés) bousculent l’idée que « la nature est bien faite » et les « mutants » viables, à l’origine de nouvelles espèces, contredisent l’idée de la fixité des formes du vivant depuis le début de la Création.

Mais l’Eglise catholique veille et, en 1751, les écrits de Buffon sont censurés. Même après la Révolution française, Lamarck qui livre la première théorie complète de l’évolution générale en 1800 (le « transformisme ») sera combattu, par Cuvier notamment, à l’aide d’arguments politiques et religieux (fixisme + catastrophisme). Ainsi, jusqu’en 1860, l’histoire naturelle est dominée par des religieux et des scientifiques ouvertement créationnistes par conviction ou par prudence.

La « révolution copernicienne » dans ce domaine viendra de la publication par Charles Darwin de « L’Origine des espèces au moyen de la Sélection Naturelle » en 1859 et de « La Filiation de l’Homme et la Sélection lié au sexe » en 1871. Deux ouvrages dans lesquels Darwin met en lumière le fait de l’évolution (tel Lamarck) mais propose aussi un mécanisme visant à expliquer ces transformations : l’évolution par la sélection naturelle.

Aujourd’hui, les preuves de l’évolution darwinienne sont tellement nombreuses, cohérentes entre elles et universellement confirmées que ce que Darwin appelait une théorie est devenu un fait d’observation pour les savants du monde entier (athées, agnostiques et croyants), mais demeure « une idéologie » pour de nombreux pratiquants de toutes les religions.

Théorie darwinienne de l’évolution que l’on peut formuler ainsi : « Les individus possédant par variation un avantage quelconque ont une meilleure chance de vivre et de se reproduire (du fait de circonstances, comportements sexuels, milieu donné), ce qui propage le trait avantageux et tend à faire régresser et disparaitre les autres, au fil des générations ».

« Variation, sélection, filiation, évolution » que l’on vérifie, en laboratoire, avec les souris et les mouches drosophiles utilisées pour les recherches, ou que l’on observe dans la nature, avec les microbes, poux et moustiques devenus résistants aux divers traitements utilisés pour les éliminer !

Cependant, concernant l’Homme, Darwin n’a jamais écrit (tels Malthus ou Spencer) que la sélection naturelle se résume à une compétition entre les individus et les groupes dans une sorte de « loi du plus fort ». Pour lui, au contraire, l’évolution a favorisé certaines formes de sociabilité et de morale, le langage, la rationalité, la coopération, la transmission des expériences, l’art, l’attention portée aux enfants et aux plus faibles, les conduites altruistes et solidaires… et ces caractères ont été sélectionnés dès lors que les populations qui les pratiquaient ont mieux fait face aux aléas de l’environnement que celles qui ne les pratiquaient pas. Pour Darwin, la civilisation n’a pu naitre que du passage progressif, dans le processus sélectif, de l’avantage biologique (nature) vers l’avantage mental, affectif et social (culture).

Malgré les controverses, les intuitions et hypothèses de Darwin feront l’objet de nombreuses confirmations et perspectives nouvelles, entre la publication de « L’origine des espèces » en 1859 et le début de la première guerre mondiale, au sein de sociétés occidentales où progressent régulièrement, bien qu’à des degrés divers : le développement de l’instruction, la démocratie, l’industrialisation, l’exode rural et l’urbanisation, le progrès matériel, la libéralisation des mœurs, la sécularisation des esprits et des institutions.

LE CRÉATIONISME-FONDAMENTALISME AMÉRICAIN

C’est alors qu’aux Etats-Unis, de 1909 jusqu’en 1915, un groupe de pasteurs presbytériens et baptistes, mais aussi méthodistes, anglicans, etc… publie une série de fascicules de théologie sur les points qui leur paraissent fondamentaux dans la lutte contre le libéralisme et le modernisme. Cela donne 12 volumes, diffusés à plusieurs millions d’exemplaires, intitulés : « The Fundamentals », les fondements de la foi, d’où naitra le mot « les fondamentalistes », nom de ces chrétiens évangéliques qui militeront désormais dans l’opposition systématique à la théologie libérale dans les Eglises et aux changements des valeurs culturelles et morales au sein de la société américaine.

Neuf points parmi ces « fondements de la foi » :

1. l’inspiration et l’inerrance de la Bible (vérité factuelle du texte car parole de Dieu),

2. la Trinité,

3. la naissance virginale et la divinité du Christ,

4. la chute de l’homme et le péché originel,

5. la mort expiatoire du Christ pour le salut des hommes,

6. la résurrection corporelle et l’ascension,

7. le retour prémillénaire du Christ,

8. le salut par la foi et la nouvelle naissance (« born again » et foi proclamée, affichée),

9. le jugement dernier.

Ce n’est que dans les années 1920 que le fondamentalisme fera de l’infaillibilité du texte biblique le centre et l’arme principale de son combat. Dès lors, le créationnisme strict et le fondamentalisme vont se confondre dans un mouvement évangélique comportant trois composantes – religieuse, scientifique et politique – définitivement indissociables.

Pour mieux connaitre le créationnisme et ses adversaires, pour mieux comprendre la manière dont se noue aux Etats-Unis le rapport entre la politique et les religions, il faut rappeler que dans la construction de l’identité américaine, deux récits sur les origines s’opposent :

– Un premier récit qui fait référence aux Pères fondateurs et à la guerre d’indépendance, qui exalte la Liberté et les droits de l’Homme, la République et la Constitution dans laquelle le pouvoir procède du peuple et non de Dieu.

– Un deuxième récit qui émerge au début du XIXe siècle, qui met en valeur les Puritains arrivés en Amérique au XVIIe siècle pour y instituer une « Nouvelle Jérusalem » religieuse, égalitaire, vertueuse, laborieuse et prospère qui vise à constituer un modèle pour le monde.

Ces deux récits sont souvent incarnés par les deux candidats à la présidence des Etats-Unis.

Au début du XXe siècle donc, pour ces nouveaux fondamentalistes américains, le texte de la bible doit être interprété littéralement. Or, l’évolution de Darwin est une hypothèse qui commence à être enseignée dans les écoles. Comme la question des origines simienne est impie et porte atteinte à la dignité narcissique de l’homme, les créationnistes partent en guerre et parviennent à faire interdire l’enseignement de la théorie de l’évolution dans les établissements scolaires de plus de 15 Etats sur 48 (loi Butler). Cela aboutira, en 1925, à un célèbre procès, le « procès du singe », opposant William J. Bryan, quatre fois candidat démocrate malheureux aux élections présidentielles américaines, allié aux créationnistes d’une part, et John T. Scopes, jeune enseignant à Dayton, Tennessee, soutenu par l’ACLU (l’Union Américaine pour les Libertés Civiles) d’autre part ; procès qui aboutira à la victoire des créationnistes devant la loi et à leur défaite dans l’opinion publique américaine.

C’est pourquoi, pendant une quinzaine d’années, le courant créationniste-fondamentaliste restera une composante non négligeable du paysage spirituel américain, mais il se repliera sur son réseau, non sans avoir obtenu la suppression de toute mention de la théorie darwinienne de l’évolution dans de nombreux manuels scolaires, et rendu son enseignement facultatif. Il faudra attendre 1968 pour que la loi anti-évolutionniste de l’Arkansas soit déclarée anticonstitutionnelle et 1970 pour les autres Etats (c’est l’époque où, en pleine guerre froide, l’Etat fédéral américain souhaite développer l’enseignement scientifique).

C’est aussi dans les années 1970, que le fondamentalisme revient en force sur le devant de la scène, par le coté politique, pour lutter contre le déclin de « la morale naturelle » qu’il pense à l’œuvre dans le pays (divorce, homosexualité, drogue, avortement, communisme, etc…). En effet, la sécularisation s’est largement développée aux Etats-Unis, beaucoup de repères ont disparu après le Vietnam et l’insécurité grandit, aussi bien dans le domaine matériel qu’intellectuel ou spirituel. Sur de nombreuses questions, les Eglises ont adopté des positions plutôt progressistes. Or, ce que beaucoup d’américains attendent des groupes religieux est différent. Ils ont besoin de sens, de repères pour ne pas se perdre et ils vont se tourner vers ceux qui proposent des convictions fortes, simples et sécurisantes.

L’impact politique d’une agrégation de ces attentes – déjà perceptible en 1980 lors de l’élection du candidat « born again » Jimmy Carter – s’est révélé brutalement lors de l’élection présidentielle de 1984 : huit millions d’évangéliques, concentrés surtout dans les Etats du Sud (traditionnellement conservateurs mais votant démocrate en souvenir de la guerre de Sécession), ont transféré leurs voix du Parti démocrate au Parti républicain et assuré l’élection de Ronald Reagan. Ainsi, autour des années 1984, les fondamentalistes se lient dans des alliances réalistes avec les néo-conservateurs républicains, pour une « nouvelle droite chrétienne ». L’histoire continuera avec « l’axe du Bien et du Mal » de Georges W. Bush, les différents avatars du « Tea Party » et ledernier candidat républicain – mormon – Mitt Romney.

Au plan de l’organisation, il faut souligner l’opportunisme et le réalisme des fondamentalistes qui adoptent certaines formes de la modernité. Leur sens de la libre entreprise ecclésiale fait fortune. Ils savent s’adapter aux demandes et aux besoins des croyants. Et ils n’ont pas peur des moyens de communication les plus modernes : grands rassemblements dans les stades, conférences, livres, internet, radio et télévisions leur ont permis de toucher des foules. Leur culture est celle du show de variétés et le message s’avère très efficace : ils sont capables de trouver des fonds importants et n’ont pas de complexes vis-à-vis de l’argent.

Grâce à cet activisme missionnaire intense, le créationnisme-fondamentalisme se diffuse, cesse d’être une spécialité du « Vieux Sud profond » et gagne les Etats du Nord pourtant réputés plus modernes. Afin de crédibiliser leur doctrine, les créationnistes recrutent des auteurs ayant des qualifications scientifiques ou se faisant passer pour des chercheurs véritables, alors qu’ils ne publient pas – et pour cause – dans des revues reconnues avec comité de lecture. Mais désormais, le créationnisme possède ses revues, ses maisons d’édition, ses bibliothèques, ses émissions de radio, ses musées (Cincinnati, Petersburg), ses instituts de recherches et ses organisations représentatives dans tous les Etats américains et dans plus de 16 pays dans le monde. Il s’implante maintenant un peu partout en Europe et, notamment, en France grâce aux Eglises et mouvements sectaires venus des USA et sous la forme de « l’Intelligent Design » ou du « Principe Anthropique » défendu, notamment, par l’UIP et Jean Staune son principal porte-parole.

LES CRÉATIONNISMES AUX USA

Voici, implantées partout aux Etats-Unis, les quatre principales écoles au sein de la galaxie créationniste contemporaine, depuis les plus littéralistes jusqu’aux moins dogmatiques :

– le créationnisme littéraliste. Si 78% des américains se déclarent créationnistes, 46% d’entre eux défendent une conception miraculeuse, divine de l’origine de la vie, à partir d’une lecture revendiquée comme littérale des textes bibliques (80% des pasteurs US). La démarche scientifique telle qu’elle est validée par les grandes universités, les centres de recherche, les laboratoires, se trouve ici ouvertement défiée, contestée, moquée, sur la base d’une argumentation extra-scientifique fondée sur l’autorité jugée supérieure des textes bibliques, en l’occurrence du début du livre de la Genèse, qui ouvre l’Ancien Testament.

– le créationnisme concordiste, avec ses différentes options. L’idée dominante est ici de s’appuyer autant que possible sur les acquis scientifiques reconnus, mais seulement lorsque ceux-ci concordent avec les divers éléments de la création décrits dans le livre de la Genèse. On affirme respecter la science, on la cite, on la convoque, mais à charge qu’elle vienne corroborer la trame biblique. Les créationnistes concordistes lisent la Bible de manière moins littérale que les créationnistes stricts. Ici par exemple, place est laissée à une interprétation large de l’idée de « jour » de la création, sur la base d’une référence biblique selon laquelle aux yeux de Dieu, « mille ans sont comme un jour ». Mais pas question d’accepter l’évolutionnisme darwinien en tant que causalité intrinsèque.

– le créationnisme finaliste (Intelligent Design ou ID) selon lequel les espèces dérivent d’un ancêtre commun, Dieu guidant le processus qui ne doit rien au hasard. Avec ce type créationniste, on franchit un degré supplémentaire dans la crédibilité donnée à l’épistémologie scientifique. On ne la rejette nullement d’un revers de la main, comme dans le créationnisme littéraliste. On ne se contente pas non plus de sélectionner, au sein de la biologie évolutionniste, ce qui paraît concorder avec les grandes lignes du scénario créationnel décrit dans les récits de la Genèse. On accepte ici plus largement l’approche scientifique, y compris l’idée que le vivant a évolué, dont l’être humain, vers des formes de plus en plus complexes. En revanche, on se distingue de l’épistémologie scientifique sur le point de la finalité : l’évolution du vivant illustrerait un dessein intelligent, une volonté supranaturelle, et non pas simplement un enchaînement purement matériel et endogène, fruit du « hasard et de la nécessité » (Réaumur, Bernardin de St-Pierre, Paley, Bergson, Teilhard de Chardin).

– le créationnisme théiste, selon lequel Dieu a créé les lois de la nature et s’abstient d’intervenir dans sa création. Avec ce type de créationnisme, on franchit une dernière étape dans l’intégration de l’épistémologie scientifique. On accepte ici non seulement les travaux scientifiques les plus pointus, mais on va jusqu’à refuser l’idée d’un « hasard guidé », chère aux militants de l’Intelligent Design. La position est la suivante : oui, Dieu a créé le monde, car, comme l’écrivait Saint Augustin, « la Nature est ce que Dieu fait », sa beauté et sa complexité étant considérées comme un signe du divin. Mais on ne prétend pas qu’il a guidé les processus évolutionnistes. Dieu serait un « premier moteur » (Aristote), sachant qu’ensuite, le vivant aurait évolué selon ses lois propres, sans qu’il soit besoin de démontrer l’intervention, étape par étape, d’une force surnaturelle.

LES DIVERSES STRATÉGIES DU CRÉATIONNISME

Cheminant, désormais avec différents masques selon les lieux et les circonstances, le créationnisme varie aussi dans ses attaques de l’évolution, sans perdre de vue l’essentiel, à savoir qu’accepter Darwin, Marx et Freud, notamment, c’est accepter la contestation et la transformation de la morale, des valeurs et des institutions américaines. Or, tout changement dans ces domaines est perçu comme une trahison. En conséquence, il faut d’urgence défendre les traditions contre la modernité, stopper la décadence, re-sacraliser la société et redonner leur place à des convictions inébranlables enracinées dans l’éternité.

Dans les années 1980, profitant du soutien explicite du Président Ronald Reagan, les créationnistes changent une nouvelle fois de stratégie et, au lieu de l’interdiction de l’enseignement de l’évolution, ils cherchent à obtenir l’enseignement du créationnisme à l’école publique, dans un traitement égal des deux conceptions. Ce qui implique un double travestissement : faire passer la bible pour un livre de science et l’évolution pour une religion. Après la Californie et la Louisiane, l’Arkansas à son tour impose un temps égal d’enseignement au créationnisme et à l’évolution. Ce qui donne lieu à un deuxième « procès du singe » à Little Rock en 1981, largement couvert par les médias. Cette fois-ci, les créationnistes perdent et le jugement aboutit à une séparation claire entre une doctrine religieuse et une théorie scientifique, laquelle doit forcément être « fondée sur des faits établis ».

Il est important de noter qu’à Little Rock en 1981, contrairement à Dayton en 1925, l’ACLU était soutenue par des religieux protestants, catholiques et juifs qui considéraient que le créationnisme était une doctrine religieuse et que d’autres rapports sont possibles entre la Science et la Foi qui laissent à chacune son domaine de légitimité.

En dépit de cette défaite des créationnistes, les procès vont se succéder dans 26 Etats jusqu’à un ultime jugement de la Cour suprême, en 1987, qui rend illégal l’enseignement du créationnisme dans les écoles publiques car contraire à la Constitution. L’action se déplace alors du domaine législatif des Etats aux affaires scolaires à l’échelon local où les grandes associations ont plus de difficultés à intervenir. Et là, les fondamentalistes obtiennent avec succès l’enseignement du créationnisme stricte ou une de ses variantes moins dogmatiques dans de nombreuses écoles et plusieurs universités publiques ou privées.

Cependant, lorsque le Conseil scolaire de la petite ville de Dover (Pennsylvanie) adopte le 18 novembre 2004 une résolution encourageant l’enseignement de l’ID (Intelligent Design) dans les cours de biologie, des parents d’élèves dénoncent les motivations religieuses du Conseil et portent l’affaire en Justice. Pourtant, les partisans de l’ID ont eu la prudence de ne pas mettre leur foi en avant pour ne pas prêter le flanc à l’accusation d’anti constitutionnalité. Mais ce masque ne trompe personne et le juge donne finalement raison aux plaignants considérant que l’Intelligent Design s’avère incompatible avec le premier amendement à la Constitution des Etats-Unis selon lequel « le Congrès ne pourra jamais faire aucune loi concernant l’établissement d’une religion ».

Malgré tout, les créationnistes tentent de faire adopter de nouvelles lois pour permettre de débattre, dans les écoles publiques, des limites supposées des théories scientifiques. En 2012, dans le Tennessee, un projet de loi demande aux professeurs « d’aider leurs élèves à comprendre, critiquer et étudier objectivement les point forts et les faiblesses des théories scientifiques existantes ». Cette loi à priori peu critiquable est destinée en réalité, à mettre en difficulté des enseignants parfois insuffisamment armés pour expliquer les enjeux et les implications du « doute raisonnable » dans la méthodologie scientifique et ainsi, d’introduire dans la classe la question de la « quête de sens ». Localement, d’autres actions sont encore menées. Notamment, les parents hostiles à l’évolution sont invités à réclamer une sorte d’objection de conscience pour que leurs enfants n’assistent pas aux cours concernés.

CONCLUSION

L’opposition entre science et foi religieuse, que l’on pouvait croire d’un autre âge, est réapparue depuis un siècle environ un peu partout dans le monde, aux Etats-Unis d’abord et aussi dans le monde arabe et en Europe (rapport Lengagne sur « le danger du créationnisme dans l’éducation »).

Les créationnistes combattent avec virulence une vision du monde héritée des découvertes et de la méthode scientifiques. Leur point commun essentiel, c’est qu’ils refusent d’admettre que l’espèce humaine ait pu apparaitre sur Terre par des processus entièrement naturels. Au nom de leur croyance religieuse – parfois revendiquée fièrement, parfois dissimulée – les créationnistes rejettent tout ou partie des travaux scientifiques qui s’accumulent depuis plus de deux siècles dans le domaine des sciences de la vie et de la Terre. Notamment, ils restent convaincus que Dieu a guidé activement l’apparition de notre espèce et rejettent donc la question des Origines dans le mystère de l’inconnaissable, estimant qu’il sera toujours impossible aux hommes de sciences d’en rendre compte de manière rationnelle.

Quant aux hommes de sciences, ceux qui respectent la méthodologie scientifique – qu’ils soient croyants, agnostiques ou athées – ils disqualifient le créationnisme en raison de son « irréfutabilité », qui situe d’emblée cette doctrine à l’extérieur du champs de la science. Peut-on en conséquence considérer la question comme définitivement réglée, ce qui permettrait aux scientifiques de retourner dans leurs laboratoires au lieu d’aller dans les médias expliquer, contester, justifier, débattre face à des interlocuteurs naïfs, dogmatiques ou manipulateurs ?

C’est peu probable, car comme le dit Pascal Picq : « les sciences ont infligé des blessures d’amour-propre à l’humanité. Elles ont montré, avec Galilée et Copernic, que l’homme n’était pas au centre du cosmos ; puis, avec Darwin, qu’il n’avait pas fait l’objet d’une création particulière : il est simplement le produit de l’évolution des espèces ; avec Freud, ensuite, qu’il était le jouet de son inconscient. L’éthologie a achevé de le faire tomber de son piédestal en montrant que des caractéristiques que l’on croyait propres à l’homme se retrouvent chez les grands singes. Finalement, il n’y a peut-être qu’un seul vrai Propre de l’Homme, c’est cette nécessité ontologique de construire des cosmogonies, des récits sur les commencements du monde ». En cela, les créationnistes ne seraient-ils pas « humains, trop humains », plus proches de la « nature » que de la « culture », très éloignés en tous cas de l’esprit scientifique qui développe chez l’homme la liberté de penser, l’esprit critique, l’autonomie de jugement et lui permet de séparer – sans nécessairement les opposer – le domaine des croyances de celui des connaissances, la foi des faits et l’espérance de la science ?

source : MEDIAPART du 29 décembre 2013