Interdit aux élèves de fréquenter la bibliothèque publique. Interdit au professeur de rapporter à l’école un livre qui en provient. Interdit d’utiliser du matériel scolaire qui n’ait pas été approuvé par la direction de l’école hassidique. Interdit de lire les journaux. Pas de discussions sur la reproduction. Pas de discussions sur la radio, la télévision ou les films. Pas de discussions sur la libération des femmes…

Ce sont là quelques-uns des préceptes rédigés à l’intention des professeurs de la communauté Tash de Boisbriand, reproduits dans la requête déposée en Cour supérieure par Yochonon Lowen (alias Yohan) et Clara Wasserstein (alias Shifra), qui disent avoir été maintenus dans l’ignorance dans les écoles illégales de la communauté juive ultra-orthodoxe qu’ils ont fréquentées.

La cause pour laquelle se battent Yohan et Shifra, dont j’ai déjà raconté l’histoire dans cette chronique, est noble. Ils veulent faire respecter un principe important : le droit à l’instruction publique (et laïque) pour tous les enfants de leur communauté.

« Je veux savoir » était le titre du documentaire très touchant que ma consœur de Radio-Canada Émilie Dubreuil a consacré à l’histoire de Yohan et Shifra. Ça résume bien à la fois leur quête et leur combat.

En 2010, lorsqu’ils ont quitté la communauté pour offrir à leurs enfants ce dont ils avaient été privés, Yohan et Shifra étaient tels des réfugiés dans leur propre pays. Yohan m’avait raconté avoir l’impression d’être comme un enfant de 5 ans évadé d’une prison où on l’aurait enfermé avec la complicité du gouvernement.

Yohan et Shifra n’avaient pas eu la chance d’apprendre à parler français. Ils n’avaient aucune connaissance scientifique moderne. Aucune notion de géographie et d’histoire, à l’exception de l’histoire du peuple juif. Dans les écoles où ils ont été envoyés, la langue d’instruction était le yiddish et la majorité du temps en classe était consacré aux études religieuses. Au sortir de leur éducation secondaire, ils ignoraient l’existence du fleuve Saint-Laurent ou la théorie de l’évolution.

« Le fait d’avoir été maintenus si longtemps ignorants du monde qui les entoure a sérieusement compromis leur développement social et affectif », lit-on dans leur requête.

Le couple ne réclame pas de dédommagement pour toutes ces années où il a été maintenu dans l’ignorance. Ce que veulent Yohan et Shifra, c’est que plus aucun enfant n’ait à subir ce qu’ils ont subi.

L’une des choses les plus troublantes qui ressort des différents témoignages depuis lundi, c’est que l’État était au courant depuis longtemps de la situation très particulière des écoles de la communauté Tash. On savait que des enfants n’y recevaient pas l’éducation laïque pourtant exigée par la Loi sur l’instruction publique. Et pourtant, on semblait tolérer la situation. Comme si on admettait en haussant les épaules que tous les enfants au Québec n’ont pas le même droit à une éducation digne de ce nom.

Les documents du ministère de l’Éducation présentés au tribunal mardi rappellent que la communauté Tash tient ses origines de Tosh, en Hongrie. Après l’Holocauste, le grand rabbin Ferenez Lowy décida d’aller reconstruire sa communauté au Québec. Il s’établit d’abord à Montréal, en 1951, avant d’acheter, en 1962, une ferme à Boisbriand. Son objectif : construire un collège qui enseignerait aux jeunes juifs la religion hassidique et sa morale. En 1980, une école élémentaire pour filles est inaugurée.

Pendant les 15 années suivantes, la communauté, en constante discussion avec le ministère de l’Éducation pour régulariser la situation scolaire de ses élèves, a toujours « exigé qu’on reconnaisse les études juives comme équivalentes aux études québécoises », lit-on dans un document du Ministère. En 1995, la communauté accepte de présenter pour l’école primaire des filles un enseignement séculier en français parallèlement aux études juives en yiddish et en hébreu. Quant aux garçons, on savait qu’ils ne recevaient qu’une éducation religieuse. Bien que le Ministère ait été bien au fait que des élèves de la communauté ne recevaient pas l’éducation laïque à laquelle ils avaient droit, il semble que la situation ait perduré.

Est-il possible de conjuguer des préceptes religieux ultra-orthodoxes avec les exigences du Régime pédagogique obligatoire et les objectifs de la Loi sur l’instruction publique ? Comment trouver un juste équilibre entre le droit des parents de choisir une éducation religieuse pour leurs enfants et le devoir de l’État de veiller à ce que l’éducation des enfants soit conforme à un cadre législatif qui assure le respect de valeurs communes ?

Ça peut sembler simple en théorie. Mais c’est en fait très complexe, se dit-on, en écoutant les différents témoins dans cette cause qui défilent au palais de justice depuis lundi.

Dans quelle mesure la situation s’est-elle améliorée depuis que Yohan et Shifra ont quitté la communauté Tash ? Les avocats du gouvernement et de la communauté entendent bien faire la preuve que ce qui est dénoncé n’existe plus. Lundi, à la sortie du tribunal, le président de l’Association éducative juive pour l’enseignement à la maison affirmait que s’il était vrai que des communautés avaient déjà eu des « difficultés », c’était chose du passé.

Selon lui, avec l’adoption de la loi 144 (en vigueur depuis le 1er juillet 2018), visant à encadrer l’enseignement à la maison et les écoles illégales, tous les enfants hassidiques du Québec ont une éducation conforme à la loi. Des ententes conclues entre des communautés juives et des commissions scolaires pour faire l’école à la maison auraient notamment permis de régulariser la situation.

Hier, Caroline Kelly, directrice de l’enseignement à la maison au ministère de l’Éducation, indiquait que 830 élèves de la communauté Tash faisaient l’école à la maison, sous la supervision de la Commission scolaire Sir-Wilfrid-Laurier. Les familles doivent toutes être rencontrées au moins une fois par année. Les exigences sont les mêmes pour tous les enfants au Québec, a-t-elle affirmé.

Ces exigences sont-elles respectées ? Après des années de laxisme, l’État fait-il tout en son possible pour faire respecter la Loi sur l’instruction publique et veiller à ce qu’aucun enfant ne soit laissé pour compte ?

Si Yohan et Shifra sont devant les tribunaux, c’est qu’ils sont loin d’en être convaincus, mais qu’ils ont bon espoir que ça change.

Ils veulent savoir. Et nous aussi.

source :

le 12 février 2020

RIMA ELKOURI
LA PRESSE

https://www.lapresse.ca/actualites/202002/11/01-5260564-le-droit-au-savoir.php