Le droit & les sectes

Le 16 octobre 2013 la chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé la condamnation de l’Église de Scientologie pour escroquerie et exercice illégal de la pharmacie. Cette condamnation m’a donné envie de m’interroger sur la relation du droit et des mouvements qualifiés de sectaires. En effet, le droit lutte non pas contre les « sectes », comme en atteste l’absence de définition juridique de la secte, mais contre les dérives sectaires. Les dérives sectaires sont l’ensemble des entorses faites aux lois, réalisées au sein de la communauté partageant une doctrine philosophique ou religieuse. Ces dérives peuvent être des délits ( comme ici dans notre affaire des escroqueries, l’exercice illégal de la pharmacie mais aussi toute forme de manipulation mentale), elles peuvent aussi être des crimes ( viols, provocations au suicide, meurtres). On pourrait donc dire que le droit sert à lutter contre ces infractions. Cependant on constate que la relation entre le droit et les sectes est plus complexe. En effet le droit ne fournit pas uniquement des arguments aux mouvements anti-sectes. Les sectes elles-mêmes s’appuient sur le droit pour justifier leur existence.

Ainsi l’exemple de la secte amène de nombreuses questions juridiques et nous permet de comprendre que le droit produit aussi des contradictions.
Comment le droit lutte t-il contre les dérives sectaires et cherche t-il à protéger le faible ? Mais en même temps, comment le droit offre t-il aux sectes des justifications pour exister ?
Quelles sont les libertés fondamentales revendiquées par les sectes et celles revendiquées par la lutte contre les dérives sectaires ? En effet les deux groupes se basent tous les deux sur des textes à valeur constitutionnelle (la constitution de 1958,la DDHC, la CEDH…) Donc quel problème pose cette confrontation ? Nous allons voir que les revirements jurisprudentiels sont les manifestations de cette ambivalence.
Nous nous demanderons également : quels sont les moyens utilisés par l’un et l’autre groupe afin de défendre ses libertés fondamentales ?
Nous constaterons d’ailleurs que la possibilité de recourir aux institutions européennes change aussi la donne. En effet, l’exemple des sectes souligne également la difficulté d’une entente juridique européenne.
Ainsi le problème de la définition de la secte ressurgit. Le droit ne donne pas de réponse. Quelle frontière peut on dessiner entre une religion et une secte ?

I- Le Droit contre les dérives sectaires :
L’exigence de la dignité humaine et le principe de protection du faible.

La personne est un sujet de droit, elle a des droits et des devoirs et est donc dotée d’une personnalité juridique. De plus le droit distingue deux personnalités juridiques : la personne physique et la personne morale. Le droit garantit à la personne physique la pleine personnalité juridique, c’est à dire ses droits fondamentaux, affirmés dans la DDHC de 1789, le préambule de la constitution de 1948, la CEDH. Les droits fondamentaux sont l’égalité en droit, la liberté, la sûreté, le droit à la vie et à la dignité, le droit à la résistance à l’oppression. Or, le droit pointe que les sectes ne respectent pas ces droits premiers. Le droit à pour mission de protéger le faible ( l’adepte de la secte) contre le fort ( le gourou), et de punir un acte qui aurait nui à la dignité, à la santé, à la liberté d’un homme.

On peut citer le procès contre la scientologie qui a commencé en 0ctobre 2009 jusqu’en octobre 2013. En 2009, la scientologie est attaquée pour la première fois en tant que personne morale. En effet, la personne morale possède une personnalité juridique( ici celebrity center et librairie SEL) et l’article 121-2 du code pénal stipule : « Les personnes morales, à l’exception de l’état, sont responsables pénalement dans les cas prévus par la loi ». Des dirigeants sont accusés aussi car ils représentent la personne morale et ils sont mis en cause personnellement . Dans ce procès, il s’agit de responsabilité pénale, c’est à dire que c’est un fait qui trouble l’ordre public, la société. La scientologie est accusée d’escroquerie en bande organisée et d’exercice illégal de pharmacie. Le tribunal correctionnel de Paris condamne la scientologie. Cependant celle-ci se pourvoit en appel au nom de la liberté de religion. En 2012 La cour d’appel condamne également l’Église. En effet elle considère que le fait de profiter de la vulnérabilité de victimes, en leur proposant des tests de personnalité conçus pour donner de mauvais résultats, puis de leur vendre des propositions de services et des ouvrages, est un délit d’escroquerie. De même, le fait de proscrire des programmes de « purification » et de fournir des médicaments est un délit d’exercice illégal de pharmacie. Mais nouvelle requête à la cour de cassation contre cet arrêt. Ainsi le 16 octobre 2013 la Cour de cassation, chambre criminelle, tranche et rejette le pourvoi.

Ainsi, la confirmation de la condamnation nous permet de revenir sur le dispositif législatif dont dispose le droit pour punir les dérives sectaires.
Une seule loi est spécifiquement destinée à « prévenir et réprimer les mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales », c’est celle du 12 juin 2001 (n°2001-504). L’article 1 prévoit notamment un délit de manipulation mentale. L’article prévoit « la dissolution de toute personne morale, quelle qu’en soit la forme juridique ou l’objet, qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités » ou des condamnations pénales pour des infractions « de mise en danger de la personne, d’atteinte aux libertés de la personne, d’atteinte à la dignité de la personne, d’atteinte à la personnalité ». De plus cette loi étend la responsabilité pénale des personnes morales pour certaines infractions, prévues dans différents codes. Par exemple le code de la santé publique ( avec l’exercice illégal de la médecine) ou le code de la consommation ( avec l’infraction de publicité mensongère et de fraude).

Le code pénal contient lui aussi des dispositions générales qui peuvent sanctionner les actions les plus dangereuses des sectes. On peut évoquer l’infraction de viol (art 222-23) ou la provocation au suicide (art 223-13) en cas de « suicide collectif » ou d’escroquerie menant au suicide.
De plus l’article 223-15 du code pénal insiste sur la protection du plus faible :
« Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciable »
En matière civile l’article 375 protège le mineur : « Si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice » . Ainsi ces articles sont des atouts précieux dans la répression des dérives sectaires.
Enfin, on peut parler de la Miviludes ( mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) (2002). Elle a pour mission d’observer, d’analyser le phénomène, elle met aussi en place des aides pour les victimes. En effet les dérives sectaires ont obligé le droit à réagir, notamment après les massacres de 1995 par des membres de l’ordre du Temple Solaire.

Mais le droit est aussi être utilisé par les sectes afin de défendre leurs droits. Nous allons voir les difficultés que rencontre l’Etat français dans la lutte contre les dérives sectaires.

II-
Les sectes et les libertés fondamentales : liberté de culte, liberté d’exercer sa religion, respect de la vie privée…

Le principe est la liberté de culte pour tous, ainsi les mouvements sectaires devraient bénéficier de la liberté d’exercer leur religion au même titre que les grandes religions. Ainsi l’article 1er de la constitution française énonce : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. ». La Constitution est la source de droit suprême, elle est le texte fondateur de toute démocratie, comme elle énonce des libertés fondamentales, toutes les lois et donc les jugements doivent s’y référer.

Donc la défense des sectes est toujours la même, invoquer la liberté d’opinion, la liberté de culte, et le respect de la vie privée :« nul ne doit être inquiété pour ses opinions » (DDHC). On comprend que la liberté fondamentale revendiquée par les sectes est celle de la liberté de religion. On peut citer le site Ethique&liberté, « le journal des droits de l’Homme et de l’Église de Scientologie », qui se donne pour mission :« aider la société française à atteindre un degré élevé d’éthique et de liberté et un total respect des droits de l’homme » et « permettre aux scientologues et à toutes les personnes aspirant à la liberté totale de l’humanité de s’exprimer librement, et ceci conformément au code du scientologue. ». Le site accuse la Miviludes « de stigmatiser des minorités religieuses étiquetées avec mépris de« mouvements sectaires ».

Donc sur le principe d’égalité devant le droit, logiquement, les dispositions de la loi de 1901, concernant le droit d’association (loi WALDECK-ROUSSEAU ) sont donc accessibles à tous. Les sectes ont la possibilité légale de se constituer en association ou de créer des sociétés. Ce droit qu’offre la loi de 1901 est une liberté au même titre que la liberté d’opinion, d’expression, de réunion, de publication…

La loi de 1905 ( loi de séparation de l’église et de l’état) institua un nouveau statut : l’association cultuelle. Donc toute association ayant pour vocation l’exercice d’un culte peut y prétendre. Cela inclut les sectes. Ce statut présente de nombreux avantages, notamment un niveau de la fiscalité. Le droit, à travers le statut d’association cultuelle offre aux sectes le droit d’exercer librement et publiquement un culte, recevoir des dons et des legs et être exonérer des droits de mutation pour les dons et legs et de l’impôt foncier sur les édifices.

A ce sujet justement, la France a été condamnée par la cour européenne des droits de l’homme, pour des prélèvements fiscaux ayant porté atteinte à la liberté de religion. L’association des témoins de Jéhovah ( 2011), l’association des Chevaliers du lotus d’or (2013) ,et l’association cultuelle du Temple pyramide (2013) ont utilisé la possibilité de requête devant la cour européenne pour faire triompher leur droit. La France a été condamnée sur le fondement de l’article 9 de la CEDH :
« personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction»
mais aussi concernant les prélèvements fiscaux jugés d’abusifs :
« La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».

Nous pouvons prendre l’exemple du procès de la cour européenne des droits de l’homme, datant du 31 janvier 2013, qui opposa l’association cultuelle de Temple pyramide contre l’État français.

Annexe

AFFAIRE ASSOCIATION CULTUELLE DU TEMPLE PYRAMIDE c. FRANCE

(Requête no50471/07)

ARRÊT

STRASBOURG

31 janvier 2013

L’association requérante est une association à but non lucratif régie par la loi sur les contrats d’association du 1er juillet 1901. Créée en 1971, elle a pour objet le culte de l’aumisme, nouvelle religion, l’hébergement et la restauration des fidèles ainsi que la vente de livres et d’artisanat religieux.
(…)
La requérante se plaint de ce que, à l’occasion de la taxation litigieuse, elle a subi une discrimination fondée sur la religion dans la jouissance de ses droits garantis par les articles 9 et 11 de la Convention.
(…)
. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION

22. La requérante allègue que la taxation des dons manuels porte atteinte à son droit à manifester et exercer sa liberté de religion, tel que prévu par l’article 9 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
(…)
30. Concernant l’épuisement des voies de recours internes, la Cour partage l’avis de la requérante selon lequel les autorités nationales ont eu l’occasion de redresser les violations de la Convention présentement alléguées par elle-même.
La requérante rappelle que la liberté de religion se manifeste par le droit de construire un édifice religieux permettant aux fidèles d’y pratiquer le culte et que la construction d’un « Temple Pyramide de l’unité des religions » était le moyen de la réalisation d’une croyance et sa seule raison d’être. Elle considère que la combinaison des procédures de taxation et de l’action paulienne constitue une ingérence dans son droit de manifester sa religion. Ces procédures, ainsi que le commandement de saisie du terrain religieux, l’ont privée de toute ressource lui permettant de réaliser son objet statutaire cultuel.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ . Dit qu’il y a eu violation de l’article 9 de la Convention ;

Ici, la cour européenne donne raison à la secte et s’oppose aux jurisprudences françaises, même à la plus haute juridiction, qui est la Cour de cassation. En effet, pour recourir à la Cour européenne, il est nécessaire d’avoir épuisé toutes les procédures judiciaires nationales. C’est à dire les tribunaux de 1er degré ( par exemple le tribunal correctionnel), le second degré, les cours d’appel ( chambre correctionnel), puis les plus hautes juridictions qui sont le conseil d’État pour l’administratif, et les Cours de cassation en matière civile et pénale. La Cour de cassation juge sur la forme et plus sur le fond ; et sa jurisprudence est la plus importante. Cependant, comme on peut le voir, le niveau supranational européen peut s’opposer aux jurisprudences internes.

De plus il n’y a pas d’attitude judiciaire commune face aux mouvements sectaires. Certains pays européens reconnaissent la scientologie comme une religion, par exemple la Suède, le Portugal, la Hongrie, ou l’Espagne. En 2007, la justice espagnole a inscrit la scientologie au registre légal des religions. ( décision de l’audience nationale, la plus haute juridiction espagnole, qui estimait que le refus de gouvernement ne respectait pas les règles de neutralité et d’impartialité des États face aux croyances religieuses.)

Par ailleurs, nous pouvons noter des revirements jurisprudentiels en France qui attestent de la difficulté d’appréhender les mouvements sectaires. Par exemple, en 1999, la chambre criminelle de la cour de cassation avait censuré la cour d’appel de Lyon car celle ci avait donné une définition de la religion, ce qui avait permis à l’Eglise de Scientologie de s’affirmer comme telle : « la religion peut se définir par un élément objectif, l’existence d’une communauté, et d’un élément subjectif, une foi commune, donc l’Eglise de Scientologie peut revendiquer le titre de religion. » La juridiction suprême de France a fermement refusé le droit aux juridictions françaises de qualifier de religion un mouvement ou une association. On distingue alors les limites du droit avec cet exemple.
Le droit n’a pas le pouvoir de juger une secte comme étant une religion ou non, c’est donc pour ça qu’il paraît plein d’incertitudes et de contradictions.

Revenons à notre affaire initiale d’escroquerie et d’exercice illégal de médecine. Suite à la décision de la Cour de cassation, la Scientologie à déclaré porter l’affaire devant la cour européenne des droits de l’Homme, « loin des pressions de l’exécutif ». Cependant la juridiction européenne ne va sans doute pas leur donner raison. En effet, même s’abriter derrière le mot « religion » ne dispense pas de respecter la loi. Dans cette affaire il n’est pas question de non respect de la liberté de culte mais de délits sanctionnés par la loi, sans jugement quelconque sur la nature des croyances.
Une escroquerie commise par une religion reste une escroquerie.

Les libertés de croyances et d’association n’empêchent pas de combattre les pratiques sectaires les plus abusives.

Alors sans définitions législative ou jurisprudentielle, ni même d’accord européen concernant les sectes, comment les définir ?
Il ne faudrait pas tenir compte des idéologies, des croyances, des églises, mais considérer les actions et comportements qui nuisent à la liberté ou la dignité humaine. En effet si la constitution laïque affirme « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses » ,Il est aussi indiqué « pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » (art. 10). Le seul critère de la définition d’une secte est celui de la nocivité, de la violation des droits de l’homme. Concrètement on peut appeler secte tout groupe qui pratique une manipulation mentale ( endoctrinement, bourrage de crâne…) qui aboutit à une triple destruction ( de la personne sur le plan physique et mental, de la famille, de la société), tout cela à partir d’une escroquerie ( financière, intellectuelle). Ainsi le droit a pour devoir de réprimer et punir ces agissements sectaires dangereux, sans tenir compte des croyances.

Pour résumer, le droit est un outil, à la disposition de tous, il est autonome par rapport à l’Etat et impartial, s’adresse à tous.
Le droit est un outil de jugement, mais il n’est pas apte à tout juger, il y a des domaines dont le droit ne peut s’emparer, c’est le cas de le religion. Le droit ne peut établir des jugements sur la légitimité d’une croyance, c’est d’ailleurs le fondement de la séparation de l’Eglise et de l’Etat (1905). L’ingérence de l’Etat dans la sphère religieuse n’est pas permise dans une démocratie. Le droit ne peut donc pas désigner des cultes religieux et des cultes sectaires.

Sources :

http://legifrance.gouv.fr/
http://aviso-asbl.be/index.php/fr/ (AIDE AUX VICTIMES DES SECTES )
http://ethique-liberte.org/ ( le journal des droits de l’Homme de l’Église de Scientologie)
http://www.miviludes.gouv.fr/
http://www.hexamide.org/prevensectes/droit.htm
http://www.echr.coe.int/ ( european court of human rights)
http://www.dalloz.fr/