Publié le 09/11/2009 03:46 – Modifié le 10/11/2009 à 09:56 | Stéphane Bersauter-La dépêche

{{Un pseudo homme d’affaires interpellé en Suisse. Plusieurs membres d’une même famille étaient sous son emprise.}}

Dans les prochains jours, Jean Marchand espère revoir ses enfants et leur mère. À l’exception d’une courte et difficile entrevue avec son fils François à l’hiver 2008 en Grande-Bretagne, ce père de famille de 62 ans ne les a pas revus depuis huit ans. Depuis qu’ils se sont enfermés dans un huis clos, avec huit autres membres d’une même famille d’aristocrates bordelais, les De Védrines, dans un château de Monflanquin, puis en Angleterre. Il ignore tout de leur état de santé physique et psychologique.

Avec cinq autres hommes et femmes dont une grand-mère de 96 ans, la mère et ses deux enfants de 20 et 22 ans vivent à Oxford et Bristols depuis dix-huit mois. Et tout laisse à penser qu’ils ont été, pendant huit ans au moins, sous le joug de Thierry Tilly, un Parisien de 45 ans (lire ci-dessous). Ce pseudo homme d’affaires s’est fait cueillir le 21 octobre à Zurich par les policiers de l’office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP). Un complice au rôle secondaire est en fuite.

Huit ans. Il aura fallu près de huit ans pour qu’un juge d’instruction bordelais décide de rouvrir l’énorme dossier de 9 000 pages. Jusque-là, Jean Marchand prêchait dans le désert.

{{barbarie}}

Tout a basculé quand l’une des victimes, Christine de Védrines, La belle-sœur de Marchand, s’est libérée de l’étau du gourou en mars dernier. Sa plainte lève alors un coin du voile sur les agissements de Tilly. Dans le bureau du juge Lorentz, cette femme parle d’actes de barbarie, de séquestration. « On l’empêchait de dormir, elle vivait dans le noir pendant des jours, avec de l’eau comme unique alimentation, elle portait les mêmes vêtements pendant plusieurs semaines » explique un proche du dossier. Déjà, en février 2008, deux autres membres de la famille, Philippe De Védrines et son amie Brigitte, s’étaient échappés.

Jean Marchand attend encore des réponses. « Mais les éléments que nous possédons attestent que c’est un escroc qui s’est appuyé sur des techniques de manipulation mentale pour obtenir ce qu’il cherchait, de l’argent. »

Au total, plus de trois millions d’€, des appartements vendus, le château Martel familial cédé à prix d’or, les comptes de l’association Musique en Guyenne vidés de 180 000 € par l’ex-femme de Marchand. « Il leur a dit appartenir à une organisation ancestrale, l’Équilibre du monde. Il les a convaincus qu’ils étaient en danger, qu’il était un agent secret pouvant les aider. »

L’espion dort en prison. Il encourt vingt ans de réclusion criminelle. « C’est un Léonard de Vinci de la manipulation mentale » dit de lui Daniel Picotin, avocat de jean Marchand et président d’Infosectes Aquitaine. « Il a ruiné une famille. »

{{Tilly maître manipulateur}}

Soupçonné par la justice d’être le chef d’orchestre de la manipulation, Thierry Tilly, 45 ans (photo), a été mis en examen pour « escroquerie, séquestration avec actes de barbarie, extorsion de fonds, abus de faiblesses» et placé en détention provisoire. Selon Jean Marchand, le début des relations entre cet homme et sa femme remonte à 1997. À l’époque, son ex-épouse était à la tête d’une école privée à Paris. « Ma femme a perdu sa sœur aînée à l’époque. C’était un drame pour nous tous, il s’est glissé dans cette faille pour mettre la main sur la famille. » Daniel Picotin est l’avocat de Jean Marchand et de Christine De Védrines. Au travers de cette affaire, il veut rouvrir le débat sur la lutte contre les sectes. Cet ancien député a rendez-vous ce matin avec Catherine Picard, présidente de l’association UNADFI. Il constate une fois de plus le vide juridique autour de la manipulation mentale, mais reconnaît toutefois que la loi About-Picard (2 001) a permis d’instaurer la notion d’abus de faiblesse utilisé parle juge d’instruction dans cette affaire.

{{« On ne comprenait pas trop… »}}

Le vent du nord balaie la place du Cap del Pech. La pluie qui s’abat depuis la veille sur le Monflanquinois inquiète les habitants. « Bien plus que cette histoire du château de Martel à laquelle on ne comprend pas grand-chose. Par contre on sait que si la pluie continue, la Lède va déborder.» Et ici, les inondations de la Lède, pour être fréquentes ne sont pas anodines. Quelques phrases échangées et puis, « je rentre, il fait vraiment mauvais. » Francis Bordes, le maire de Monflanquin confirme ce sentiment de beaucoup dans la commune. « L’histoire est plus ou moins enfouie. Les gens s’y sont intéressés au début mais rapidement, personne n’a très bien compris de quoi il retournait. Tout au plus les Monflanquinois râlaient contre l’image un peu négative que cette affaire de reclus, de gourou, de disparus, donnait à la bastide […] Il y a quand même un vrai soulagement. Au moins l’affaire est terminée. » On va peut-être savoir comment cette affaire a pu durer aussi longtemps.

Sous les arcades les rares passants se font plutôt guide touristique, « le château a été racheté depuis cette histoire. Allez-y vous verrez, c’est un bel endroit. L’affaire des reclus ? Vous savez, ces gens-là venaient à Monflanquin mais leur vie était plutôt à Bordeaux ou ailleurs. Les sectes et les gourous, c’est un truc qui inquiète toujours. » Daniel Soulage, sénateur et ancien maire de Monflanquin, connaît bien le château de Martel. « Les Monflanquinois étaient intéressés par cette histoire parce que la famille De Védrines est une ancienne famille de Monflanquin qui s’est investie dans la vie du village. Et puis honnêtement, une affaire comme celle-là, avec des gens sains de corps et d’esprit qui finissent par se laisser manipuler, c’est inquiétant. Deux jours avant la cassure (en 2001 ; NDLR), j’avais rencontré la famille, rien ne laisser présager ce qui allait suivre. »