Un travailleur social s’est alarmé sur Twitter de la fin annoncée de plusieurs instances publiques. Certaines sont bel et bien supprimées, d’autres fusionnées ou transformées, sous l’impulsion de l’exécutif.

L’Observatoire de la pauvreté : fusionné

Le 5 juin, une circulaire du Premier ministre, destinée aux membres de son gouvernement, a été publié au Journal officiel. Celle-ci décide de “la réduction du nombre d’instances et de commissions rattachées aux administrations centrales”, afin de “simplifier le paysage administratif”. Et accessoirement, de faire des économies.

Dans sa lettre à ses ministres et secrétaires d’Etat, Edouard Philippe fait le constat suivant : “près de 1 200 agences et opérateurs sont actuellement placés sous la tutelle des ministères.” Il s’agit notamment d’établissements publics ou d’autorités administratives indépendantes. A ceux-ci “s’ajoutent de nombreuses entités qui leur sont directement rattachées”. Des délégations, des commissariats ou des hauts-commissariats par exemple. Le chef du gouvernement juge dans sa missive que “la multiplicité de ces structures – qui comptent pour certaines un très faible nombre d’agents – nuit à la lisibilité et à la cohérence des missions des administrations centrales”.

Le Premier ministre donne alors dix jours à ses subordonnés pour proposer “les suppressions et les regroupements rendus nécessaires”. La circulaire fixe un critère de “taille critique” : “Les administrations devront justifier le maintien des structures dont la taille n’excède pas 100 ETP [équivalents temps plein].”

L’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES) et ses 27 membres font bien partie des instances visées, comme le confirme à franceinfo Jérôme Vignon, encore président de l’Observatoire pour quelques mois. “Ce n’est pas exactement une suppression. C’est une fusion, précise-t-il. L’ONPES se retrouve transféré au sein du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), lui-même en pleine transformation.”

Ce n’était pas mon choix principal, j’aurais préféré que l’ONPES demeure.Jérôme Vignon, président de l’Observatoireà franceinfo

L’ONPES devrait cesser d’exister sous sa forme actuelle “probablement dans le courant du premier trimestre 2020”. Ensuite, il prendra “la forme d’un comité scientifique”, rattaché donc au CNLE, lui-même sous tutelle de Matignon, alors que l’Observatoire  dépendait jusqu’à présent de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), placée sous l’autorité du ministère des Solidarités et de la Santé. “L’objectif recherché est-il de ‘casser le thermomètre’ pour ne plus voir le malade ?” s’interrogeaient les signataires d’une tribune dans Libération, rappelant l’utilité des rapports rendus par l’Observatoire, par exemple celui sur les inégalités en France.

L’Observatoire de la délinquance et l’Institut des hautes études sur la sécurité et la justice : supprimés

L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) et l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) dont il dépend vont être supprimés fin 2020. Matignon a confirmé le 8 octobre l’information de L’Opinion. D’après le communiqué de l’INHESJ, “aucune des propositions de restructuration avancées n’a été retenue” et la fin annoncée de l’institution menace les emplois de 78 fonctionnaires et contractuels.

Depuis sa création il y a trente ans, l’INHESJ est placé sous la tutelle du Premier ministre, même si ses ministères de référence sont l’Intérieur et la Justice. Il a pour mission de former des auditeurs, venus du public comme du privé, aux politiques publiques de sécurité, de justice, d’intelligence, de sécurité économique et de gestion des risques et des crises. L’ONDRP qu’il chapeaute est pour sa part chargé de produire des études statistiques sur l’ensemble du processus pénal : les délits et les crimes constatés, les décisions de justice, l’exécution des peines et des sanctions pénales ou encore la récidive.

Libération s’inquiétait notamment du devenir de l’enquête nationale de victimation “Cadre de vie et sécurité”. Elle permet de compter et de décrire les infractions et leurs victimes, qu’il s’agisse de vandalisme, de vol, de cambriolage, de violence physique et sexuelle. Celle-ci doit être reprise et repensée par le Service statistique ministériel de la Sécurité intérieure (SSMSI). Dans une tribune au Monde, des chercheurs s’indignaient de cette disparition “incompréhenstible” et “inacceptable”.

Dans son communiqué, l’INHESJ indique que “le directeur de cabinet du Premier ministre a demandé aux représentants des ministères présents” lors de la réunion interministérielle au cours de laquelle la fin de l’institution a été actée “de formuler des propositions afin que soient intégrées les missions de l’INHESJ au sein des ministères ou de certaines institutions partenaires”.

La Mission contre les sectes : déménagée

La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) n’existera plus sous sa forme actuelle. Cette mission, créée en 2002 et placée sous l’autorité de Matignon, va être rattachée au ministère de l’Intérieur, à partir du 1er janvier 2020, selon les informations de France Inter, confirmées par une porte-parole du ministère de l’Intérieur.

Le gouvernement a hésité entre deux services au sein du ministère de l’Intérieur, d’après les informations de France Inter : soit le bureau chargé des cultes, soit le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR). C’est finalement à ce dernier que la Miviludes sera rattachée.

La place Beauvau fait valoir que ce “rattachement” peut s’expliquer notamment par “la nécessité (…) de partages de compétences avec d’autres organismes qui n’existaient pas lors de sa création, comme le secrétariat général du CIPDR par exemple”. La Miviludes et le CIPDR ont “un point commun important qui est la lutte contre les nouvelles formes de radicalité et les phénomènes d’emprise et d’enfermement”, souligne le ministère.

Interrogé par France Inter, Georges Fenech, qui a présidé la mission de 2008 à 2012, estime à l’inverse que cette décision est “une catastrophe”. L’ex-magistrat et député juge que la lutte contre les sectes relève de plusieurs ministères.

Certes les sectes se retrouvent dans le monde religieux, mais aussi dans la santé, l’éducation, la culture ou le monde sportif.Georges Fenech à France Inter

En 2015, la Miviludes estimait qu’environ 500 groupes pouvant être considérés comme sectaires, touchant un demi-million de personnes, étaient actifs sur le sol français.

La Miviludes partage son activité entre le traitement des signalements qui lui sont transmis (environ 2 500 par an, dont 40% dans le domaine de la santé) et la formation des agents publics (magistrats, policiers et gendarmes, médecins…) aux risques sectaires. Depuis avril 2014, la Miviludes formait aussi les fonctionnaires et associatifs chargés de suivre les familles touchées par la radicalisation islamiste. Depuis son départ à la retraite en octobre 2018, le dernier président de la Miviludes, Serge Blisko, n’a pas été remplacé. Beaucoup y voyaient le signe de la mort annoncée de la mission.

L’Observatoire des prisons : une association moins subventionnée

Comme Lyes Louffok l’a lui-même reconnu dans un tweet, le cas de l’Observatoire international des prisons (OIP) est un peu différent. D’abord, l’OIP n’est pas une institution publique mais une association indépendante, qui affirme œuvrer pour le respect des droits de l’homme en milieu carcéral. Elle réalise des rapports sur les conditions de détention et mène également des actions en justice afin de faire respecter les droits des détenus.

Le 6 novembre, l’OIP a alerté l’opinion publique sur la baisse drastique de ses subventions, se disant même “en danger”. En cinq ans, l’association dit avoir vu fondre ses aides publiques de 66%. Soit 282 000 euros en moins entre 2014 et 2019. Les aides de l’Etat et des collectivités territoriales qui représentaient plus de la moitié de ses ressources financières ne comptent plus que pour un quart à peine, chiffre l’association. L’OIP accuse notamment six des huit régions qui le subventionnaient d’avoir mis fin à leurs financements. Il pointe aussi du doigt plusieurs organismes publics.

Le Conseil national de la protection de l’enfance : en sursis

Le dernier cas évoqué par Lyes Louffok est celui du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), qui a pour mission de rendre des avis sur les politiques menées et de faire des recommandations au gouvernement. Créé par une loi en 2016, il est présidé par le secrétaire d’Etat à la Protection de l’enfance, Adrien Taquet. Mais il pourrait bien faire les frais de la “stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance”, présentée par le secrétaire d’Etat le 14 octobre.

Cette nouvelle “stratégie” entend notamment “repenser une gouvernance insuffisante”, qui “souffre d’un trop grand nombre d’acteurs”, ce qui “nuit au pouvoir de décision”, expose à franceinfo le cabinet du secrétaire d’Etat. Adrien Taquet a donc missionné l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) afin qu’elle fasse des recommandations pour améliorer cette gouvernance, poursuit le secrétariat d’Etat.

A terme, on va probablement vers un regroupement des organismes existants. Le secrétariat d’Etat à la Protection de l’enfance à franceinfo

Le CNPE serait donc rapproché du Groupement d’intérêt public enfance en danger (GIPED) et de l’Agence française de l’adoption (AFA).

En attendant que l’Igas rende son verdict, le CNPE et ses membres n’ont donc été renouvelés que pour un an, jusqu’en 2021, explique le secrétariat d’Etat. Le secrétariat d’Etat a toutefois décidé de ne pas reconduire la vice-présidente du CNPE, Michèle Créoff, dans ses fonctions. Mais “le CNPE continuera de se réunir, de débattre et de faire des propositions sous la présidence du secrétaire d’Etat”, assure le cabinet d’Adrien Taquet. Le poste de secrétaire général, dont le rôle est justement d’organiser ces réunions, est cependant vacant.

Michèle Créoff ne fait pas la même lecture des événements : “Le CNPE ayant été institué par une loi, il en aurait fallu une autre pour le défaire. Ce n’est donc pas une suppression formelle. Mais le gouvernement se donne les moyens de ne jamais nous réunir et de nous laisser dans l’ombre, alors même que sa stratégie nationale de protection de l’enfance est lancée.” Et la vice-présidente du CNPE de souligner auprès de franceinfo que les récentes annonces du secrétaire d’Etat ont justement déçu les acteurs du secteur qui en attendaient davantage, comme le rapportaient Le Monde et Libération.

“En moins de cinq semaines, le nombre d’instances mises en sommeil est tout de même assez impressionnant. Or ces instances sont toutes des conseils d’analyse et d’évaluation des politiques publiques sur les violences sociales, accuse Michèle Créoff. Ce ne sont pas de simples chambres d’enregistrement, mais des lieux où se construit le consensus. Il semble que c’est compliqué pour le gouvernement de l’accepter.”