Levi Riven a 31 ans. Comme beaucoup d’étudiants de l’Université Concordia, il habite sur le Plateau Mont-Royal. Là, il ne risque pas trop de croiser ses anciens camarades de la communauté loubavitch, qu’il a quittée il y a 10 ans. « Autour de chez nous, il y a quatre autres garçons qui, comme moi, sont partis. Nous formons un petit groupe d’expatriés. »

« Expatriés », le mot est étrange quand on songe qu’ils ne viennent pas de l’étranger, mais de Côte-des-Neiges. Or, Levi décrit pourtant l’endroit comme un autre pays, avec ses propres codes, sa propre culture.

Curieux, Levi Riven l’était plus que la moyenne. À l’adolescence, il se sauvait et allait au cinéma Côtes-des-Neiges en cachette. Il écoutait aussi la radio en catimini. Et ce n’est pas tout. « J’ai vécu des “ amours illégales ”. À l’école de ma sœur, il y avait des filles qui provenaient de familles moins pieuses que la nôtre et, avec l’une d’elles, on allait s’embrasser derrière le centre d’achat. »

Le plus moderne

Levi Riven entretient toujours de bonnes relations avec sa famille. Ce qui est exceptionnel pour les défroqués du hassidisme. Précisons qu’il vient du groupe le plus moderne parmi la dizaine présente sur le territoire montréalais.

Contrairement aux autres groupes – ceux de Boisbriand et d’Outremont dont la langue commune est le yid­dish – la plupart des loubavitch parlent l’anglais.

Par ailleurs, leurs écoles, surtout celles des garçons, demeurent traditionnelles. « Au collège rabbinique, je n’apprenais que l’hébreu et le yiddish. Un jour, je devais avoir 10 ans, je suis allé ouvrir un compte de banque. La dame m’a fait signer mon nom sur un formulaire. Je l’ai écrit à l’envers, comme on le fait en hébreu et tout d’un coup, j’ai eu le sentiment d’être inadéquat, de ne pas appartenir à ce monde moderne dans lequel je vivais. »

Les loubavitch se sont vite rendus aux exigences du ministère de l’Éducation, qui leur a demandé, en 2009, de se conformer au programme en vigueur selon la loi.

Des changements

Levi aimerait bien que des changements viennent de l’intérieur même de la communauté, que celle-ci se rende compte de l’importance de donner aux garçons plus qu’un minimum de connaissances pour vivre dans le Québec du 21e siècle.

L’intervention du ministère est arrivée trop tard pour Levi, mais il constate que les choses changent tranquillement. « Une nouvelle génération est en train de se mettre en place, plus modérée que celle de mes parents. »

Si les loubavitch sont plus ouverts que les autres groupes hassidiques, ils n’en demeurent pas moins une communauté ultra-orthodoxe dont Levi se félicite d’être sorti.

« Nous devons consulter la Bible pour tous les actes de la vie quotidienne, observer des rituels. Je préfère m’en remettre à mon libre arbitre. À mon jugement personnel. »

Aujourd’hui, Levi entame un doctorat en psychologie. « Ça m’a pris sept longues années pour finir mon baccalauréat. J’ai suivi des cours de philosophie, de politique, etc. C’était nécessaire. Je ne connaissais pas grand-chose. Je ne maîtrisais pas la langue anglaise. »

Ironiquement, l’école talmudique apprend aux enfants à critiquer les enseignements bibliques, à discuter le sens du dogme. Bien qu’analphabètes de notre monde, ceux qui délaissent le hassidisme ont une formation singulière, mais efficace. Leur facilité à rattraper leurs retards scolaires est impressionnante.

« Intellectuellement, immigrer d’une communauté hassidique demande un effort tel qu’on est constamment mis au défi; ça aiguise les neurones », explique Levi en souriant.

Bien qu’il soit resté proche de sa famille, Levi éprouve de plus en plus de difficultés à les fréquenter, même sporadiquement.

Absurdes

« Lors des jours de fête, je trouve ça très dur. Je les observe et je trouve leurs rituels absurdes. Et ça m’irrite. »

Depuis qu’il a participé à Quitter le bercail, un documentaire du Montréalais Éric Scott sur ceux qui abandonnent le monde hassidique, tourné en Israël, aux États-Unis et ici, et diffusé en 2010, Levi se fait un devoir de répondre aux nombreuses questions des gens qui sont curieux de son parcours.

Mais, surtout, sorti avant la vague de désertions dues à Internet, il se perçoit comme un précurseur qui peut aider d’autres jeunes comme lui.

« Je me vois un peu comme un grand frère pour ceux qui décident de sortir de ce monde-là. C’est difficile. »

http://www.journaldemontreal.com/2012/04/14/le-grand-frere-des-defroques

Source:Émilie Dubreuil

Journal de Montréal

samedi 14 avril 2012