TERRORISME – En Europe et en particulier en France, les candidats au jihadisme se recrutaient traditionnellement dans leur écrasante majorité parmi les classes populaires: les jeunes des banlieues en France, le “disaffected youth” en Angleterre, etc. En France, depuis les années 90, la totalité des jihadistes qui ont réussi à organiser des attentats ayant entraîné la mort de plusieurs victimes se sont recrutés en banlieue: Khaled Kelkal (1995), Mohamed Merah (2012), Mehdi Nemmouche(2014), Saïd et Chérif Kouachi ainsi que Amedy Coulibaly (janvier 2015). Il y a eu quelques cas d’arrestation des membres de classes moyennes islamiques ou convertis mais dans l’ensemble ils n’ont pas pu mettre en oeuvre leurs attentats. Depuis 2013, avec la généralisation de la guerre civile en Syrie et l’avènement de l’Etat islamique (Daech), on assiste à l’extension sensible des jihadistes aux classes moyennes.

{{Les jeunes jihadistes des banlieues}}

Les jihadistes originaires des banlieues ont certaines caractéristiques que l’on peut énumérer de la manière suivante: ils sont tous des jeunes au passé délinquant, ayant commis des vols ou fait du trafic, ils ont tous connu une période d’emprisonnement plus ou moins longue, presque tous appartiennent à des familles éclatées, avec un père absent ou démissionnaire, ont connu des violences dans leur famille et une perte de repères, souvent avec placement dans des foyers et une errance mentale qui en a fait des êtres à problèmes dès leur jeune âge. Ils étaient désislamisés et deviennent musulmans “born again” ou convertis jihadistes sous l’influence d’un gourou, des copains ou à partir de leurs lectures sur Internet. Enfin, ils ont fait, pour la plupart, le voyage initiatique dans un pays du Moyen-Orient ou des zones de guerre (Irak, Syrie, Afghanistan, Pakistan, etc) où ils ont appris le maniement des armes et surtout, ont intériorisé leur rupture mentale avec la société dont ils deviennent des “ennemis”.

Ce qui motive leur adhésion à l’islam radical est leur vision de soi et des autres: ils pensent ne pas avoir d’avenir, être stigmatisés, enfermés dans la marginalité et réduits à las situation de victime impuissante. L’adhésion à l’islam radical est un moyen pour eux de sacraliser leur haine, de la légitimer et de justifier leur agressivité.

Chez ces jeunes désaffiliés, le moteur est surtout la transcription de leur haine de la société dans une religiosité, qui leur donne la capacité d’inverser les rôles. D’insignifiants, ils deviennent des héros, d’inconnus, ils deviennent des vedettes. De jugés et condamnés par la justice, ils deviennent juges d’une société qu’ils qualifient d’hérétique et d’impie. D’individus écrasés par le sentiment d’être méprisés des autres, ils deviennent des êtres violents qui inspirent la peur et qui donc ne sont plus méprisés.

La prison renforce ce sentiment de haine de l’autre et d’indignité de soi. Souvent, la radicalisation précède l’islamisation. C’est en prison que l’on approfondit la version de l’islam radical en prenant langue avec des détenus qui sont des imams autoproclamés et qui affirment que l’islam, c’est le jihad dans le sens de la guerre ouverte contre les “hérétiques”. Dans des maisons d’arrêt en manque de surveillants et en surpopulation carcérale, on a toutes les raisons du monde de haïr l’institution, la société et ceux qui vous ont mis sous les verrous.

C’est souvent lors d’un séjour en prison que des jeunes en rupture avec la société glissent vers un islam radical, au contact de détenus qui sont des imams autoproclamés.

{{Les jeunes jihadistes de classe moyenne}}

Le second groupe est totalement différent. Ce sont des jeunes des classes moyennes qui n’éprouvent pas de haine vis-à-vis de la société, vivent dans des quartiers sans problème majeur et n’ont pas de casier judiciaire. Ils sont mus par une volonté de venir en aide à leurs frères en religion et sont animés d’un romantisme naïf, leur engagement relevant d’une mise à l’épreuve de soi, un rite de passage à la vie adulte pour les adolescents et les post-adolescents, avec une forte proportion de jeunes filles et de convertis.

L’influence de la Toile, des “copains” ou des vidéos sur YouTube nourrissent cet attrait pour la radicalisation. Il existe aussi une volonté de rupture avec le monde familier de l’individualisme qui devient un véritable fardeau à porter sur ses frêles épaules: la réussite ou l’échec, on leur explique qu’ils ne tiennent qu’à eux, leur vie, c’est à eux de la construire, leur défaut pouvant aboutir à une vie ratée s’ils n’y prennent garde. Contrairement aux années 1960 où on cherchait surtout à se libérer du joug de l’autorité parentale mais aussi des normes sociales vécues comme archaïques, à présent on préfère le mariage strict selon la loi religieuse, on préfère la guerre à l’amour, on se forge une identité en adhérant à un groupe (Al Qaeda) ou un État (Daech) hyper-répressifs. Les nouvelles formes de radicalisation sont en grande partie la conséquence de la désinstitutionnalisation de la vie sociale et la fragilité croissante de l’ego chez des jeunes dont l’adolescence semble se prolonger indéfiniment jusqu’à la vingtaine.

source : Farhad Khosrokhavar
Directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales, au Centre d’analyse et d’intervention sociologique
http://www.huffingtonpost.fr/farhad-khosrokhavar/jihadisme-en-europe-recrutement_b_6977308.html

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