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par Jean-Pierre Langellier
LE MONDE | 05.01.10
Une bonne nouvelle parmi d’autres, en ce début d’année au Brésil : l’enfant aux aiguilles se porte bien. Victime d’un rituel de magie noire, ce garçonnet de 2 ans, au corps transpercé de 32 aiguilles à coudre, pourra un jour remercier les chirurgiens de l’hôpital Ana Neri de Salvador de Bahia, qui l’ont sauvé.
L’affaire, qui a choqué le pays, éclate dix jours avant Noël. L’enfant vomit et se plaint de fortes douleurs à l’estomac. Sa mère, Maria Santa Souza, une femme de ménage de 38 ans, le conduit à l’hôpital d’Ibotirama, à quelque 600 km de Salvador. Un examen aux rayons X révèle l’horrible évidence : le corps de l’enfant est plein d’aiguilles, dont certaines atteignent 5 cm. Elles sont logées dans son cou, sa poitrine, son estomac, son foie et ses jambes. Protégé par l’anonymat en raison de son jeune âge, le garçonnet est transféré à Salvador, où les échographies et le passage au scanner confirment la gravité de son état. Des antibiotiques contiennent sa fièvre, due à une infection provoquée par l’oxydation de certaines aiguilles.
Il faut l’opérer d’urgence. Au cours de l’intervention, qui dure cinq heures, les médecins extraient les quatre aiguilles les plus dangereuses, proches du coeur et d’un poumon. Dix-huit autres seront retirées lors de deux autres opérations. Celles qui restent ne menacent pas la vie de l’enfant et pourront être extirpées plus tard.
Très vite, la mère a soupçonné son mari, Roberto Carlos Magalhaes. Ce maçon de 30 ans a vécu un an avec elle, et ses six enfants, avant de l’épouser il y a six mois. Elle se souvient qu’il se montrait nerveux, ces dernières semaines, en présence du garçonnet.
Il a pour maîtresse une voisine, Angelina Ribeiro dos Santos, 47 ans. C’est elle qui l’a convaincu de recourir au rituel macabre. Par jalousie envers l’épouse et pour garantir, disait-elle, la pérennité de leur liaison. Elle a sollicité et payé les services de Maria dos Anjos do Nascimento, 56 ans, une « Mae de Santo », prêtresse du candomblé, le plus ancien culte afro-brésilien.
Le beau-père a raconté son crime aux policiers et dans un entretien téléphonique à la chaîne télévisée Globo. Avant chaque « cérémonie », deux ou trois fois par semaine pendant un mois, il enivrait l’enfant avec du vin mélangé à un peu d’eau, pour qu’il ne pleure pas. Puis il introduisait les aiguilles « bénites », avec l’aide de la prêtresse et de son amante, selon les instructions de cette dernière, en état de transe.
« J’ai commencé par les jambes, avant de passer au reste du corps, a-t-il précisé. Je pensais que les aiguilles finiraient par faire mourir l’enfant. Je voulais le tuer sans que personne ne puisse s’en apercevoir. » C’était, a-t-il convenu, « une idée folle ». Les trois auteurs des tortures sont en détention préventive à Salvador, en attendant de répondre devant la justice de leur tentative d’homicide.
Le martyre de l’enfant a suscité un mouvement de compassion à son égard, et de colère contre ses tortionnaires. Des centaines de personnes ont contacté l’hôpital, d’autres s’y sont rendues pour apporter des cadeaux de Noël. Une foule a lancé des pierres contre le bâtiment du commissariat où les trois complices étaient incarcérés, obligeant la police à les transférer.
Cette affaire n’est pas tout à fait la première du genre. On en signale au moins cinq autres semblables depuis 1993. Mais aucune n’avait eu un caractère aussi spectaculaire. Surtout, cette fois, les circonstances du rituel, clairement identifiées, risquent, par amalgame, de nourrir les préjugés hostiles aux vieux cultes africains apportés au Brésil par les esclaves.
Les représentants de ces communautés religieuses, adeptes du candomblé ou de l’umbanda, soulignent que les souffrances de l’enfant ont été le fruit de l’ignorance et de la cupidité. La magie noire, rappellent les ethnologues, subsiste dans le monde entier. Enfoncer des aiguilles dans le corps d’un enfant rappelle autant l’antique sorcellerie d’Europe que les pratiques du syncrétisme afro-brésilien.
Il reste que cette affaire survient en une période où les Eglises néopentecôtistes, qui prospèrent au Brésil, diabolisent les cultes d’origine africaine pour récupérer leurs adeptes. Cette concurrence religieuse, vieille déjà d’un quart de siècle, s’est aiguisée après la publication d’un best-seller de l' »évêque » Edir Macedo, chef de la plus puissante Eglise évangélique, où celui-ci se demandait si les orixas, entités spirituelles afro-brésiliennes, étaient des « dieux » ou des « démons ».
L’intolérance accrue envers les cultes venus d’Afrique, aujourd’hui sur la défensive, ne se limite pas au Nordeste, leur bastion. Dans les favelas de Rio, les trafiquants de drogue ont laissé pulluler de minuscules Eglises indépendantes à leur dévotion, qui obligent les disciples des rites afro-brésiliens à pratiquer clandestinement.
Dans ces communautés urbaines livrées à elles-mêmes, les nouvelles Eglises promettent à leurs ouailles une vie meilleure ici-bas. Elles leur laissent espérer l’accès rapide à un statut social plus flatteur. Le candomblé et l’umbanda, étrangers à tout prosélytisme, ont un message plus spirituel, où l’approche de la « sainteté » se mérite au bout d’un long parcours d’initiation. En ces temps expéditifs, les évangélistes ont le vent en poupe.
Courriel : langellier@lemonde.fr.
Jean-Pierre Langellier
Article paru dans l’édition du 06.01.10