« Le 18 août 1952, le Time Magazine publiait un article consacré aux soucoupes volantes. Interrogé, le P. Francis Connell, une « figure » dans le monde religieux nord-américain puisqu’il avait été le premier président de la Société américaine de théologie catholique, n’hésitait à y affirmer : «Si ces êtres doués de raison ont échappé au péché originel, c’est-à-dire s’ils possèdent l’immortalité du corps dont jouissaient Adam et Ève, il serait stupide de la part de nos pilotes d’essayer de les tuer, ils seraient intuables.» Surpris, un lecteur averti du Time Magazine a préféré soupçonner Connell d’être un cold joker, un pince-sans-rire, plutôt que d’entamer une dispute théologique à propos d’une théologie du péché original et de la chute aussi… bancale.

Le 12 mai dernier, dans une homélie matinale, le pape François n’a pas non plus manqué d’humour, mais a fait preuve d’une théologie plus solide ! S’interrogeant sur l’accueil à réserver aux parents qui demandent le baptême pour leur enfant, sans se trouver pourtant dans une situation régulière avec l’Église, il n’a pas hésité à évoquer des « hommes verts au long nez et aux grandes oreilles », débarqués de la planète Mars, dont l’un d’entre eux demanderait le baptême. Le pape a affirmé qu’il ne refuserait pas le sacrement à ce drôle de paroissien extraterrestre.

une sage posture théologique
Il est temps que l’Église reparle des Martiens et il est heureux qu’elle le fasse ainsi. Trop de gens, dont de nombreux croyants, ignorent que la tradition chrétienne, souvent interrogée, voire bousculée par l’hypothèse de vies et d’intelligences ailleurs que sur Terre, parfois poussée à prendre des positions extrêmes (le cas de Giordano Bruno n’est pas nécessairement le plus clair), que cette tradition, donc, a réservé l’accueil le plus large et le plus raisonnable à cette éventualité.

En 1277, alors que la jeune université de Paris était « secouée » par de violents affrontements entre intellectuels à propos de l’accueil à réserver à la philosophie d’Aristote, l’évêque de Paris, Étienne Tempier, n’avait pas hésité à condamner ceux qui prétendaient que seule notre planète pouvait être habitée par des êtres vivants et intelligents. «Laissons à Dieu, expliquait l’évêque, la liberté de créer ou non d’autres mondes ; nous les humains n’avons pas à décider l’usage et les limites de sa toute-puissance créatrice.» C’est là choisir une sage posture théologique qui invite à rendre à Dieu et aux hommes ce qui revient respectivement à chacun d’entre eux. Je crois en retrouver l’esprit dans l’homélie du pape François.

Dévêtue de ses atours religieux, une même attitude ne devrait-elle pas inspirer tous ceux qui, aujourd’hui, s’intéressent et s’enthousiasment pour les recherches extraterrestres ? Certes, il n’y est pas question de péché originel et, encore moins, de sacrement du baptême ; pour autant, l’astrobiologie a bel et bien pour objet l’étude de l’origine de la vie, de son émergence, de son évolution, sur Terre et ailleurs.

les conséquences idéologiques de la découverte d’une vie extraterrestre
Cet ailleurs n’est peut-être pas aussi aisé à manier qu’il y paraît au premier abord. Indispensable à la démarche scientifique qui ne peut se contenter d’un seul exemplaire, d’une seule occurrence, d’un seul événement, mais exige au contraire de pouvoir comparer, confronter, répéter l’existence d’un ailleurs, d’un autre, qu’il soit analogue, homologue, vaguement semblable ou totalement différent, cette existence ne peut que déranger.

Les astronomes qui ont découvert, à partir de 1995, des centaines d’exoplanètes, autrement dit des planètes qui tournent autour d’autres étoiles que notre Soleil, en ont fait l’expérience : ils ont dû revoir des pans entiers de leurs traités de mécanique céleste et de planétologie.

Alors, qu’en serait-il si demain, de la manière imaginée par le pape François ou par le biais d’instruments construits par des humains, des êtres vivants, munis ou non d’un long nez et de grandes oreilles, nous imposaient leur existence ? Il est bien difficile d’imaginer les conséquences scientifiques, mais aussi idéologiques et culturelles d’un tel événement… et donc périlleux, voire inutile, de trop nous en soucier !

qu’acceptons-nous d’être ? Que choisissons-nous d’être ?
L’attitude la plus raisonnable, celle d’Étienne Tempier comme celle du pape actuel, est encore de nous tourner vers nous-mêmes, vers nos connaissances, vers nos croyances.

L’existence d’une vie extraterrestre est une hypothèse, celle de Dieu un objet de foi ; mais toutes deux n’en sont pas moins des miroirs dont nous pouvons, voire devons user pour mieux nous comprendre, pour mieux nous comporter aussi. Souvenons-nous des interrogations et des débats, lorsque Carl Sagan et les astronomes américains ont décidé de graver une « carte d’identité » humaine sur la sonde Pioneer : qu’acceptons-nous d’être ? Que choisissons-nous d’être ?

À mieux y regarder, il ne s’agit pas tant de savoir si les « Martiens » peuvent être tués ou, au contraire, recevoir le baptême, mais plutôt comment, sans oublier de rester curieux sur l’existence d’autres mondes que le nôtre, apprendre à vivre ensemble sur cette singulière planète qu’est la Terre, comme des êtres vivants et intelligents, responsables et justes. »

par Jean Deseille, historien des sciences
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