Pour soulager la douleur liée notamment aux traitements du cancer, la discipline corporelle s’invite désormais en milieu hospitalier.

A l’hôpital Saint-Louis, à Paris, les patientes atteintes d’un cancer du sein peuvent suivre gratuitement des cours de yoga.
Je vous propose des postures, et vous voyez ce que votre corps peut faire. L’essentiel, c’est de se faire du bien. Détendez-vous, ne vous laissez pas distraire par vos pensées… » Nous sommes à l’hôpital Saint-Louis, à Paris (10e), dans une belle salle voûtée éclairée par la lumière du jour, loin des néons blafards des blocs opératoires ou des box de consultation. Etendues sur un tapis, huit femmes atteintes d’un cancer du sein suivent les indications de Nicole Fradin, enseignante de yoga, qui leur explique la posture de l’arc. « Allongées sur le ventre, front au sol, les pieds se rapprochent des fesses et les mains saisissent les chevilles. Puis le cou recule sans casser la nuque, le haut du buste et les jambes se soulèvent… Cette ouverture de la cage thoracique aide à s’oxygéner. Si c’est trop difficile, dites-le-moi, je vous montrerai un autre exercice. » Les postures se succèdent sans précipitation, entrecoupées de longues respirations.

Réputés pour leur excellence, pour leurs techniques de pointe, mais aussi pour un exercice de la médecine fondé sur des preuves scientifiques, les hôpitaux français s’ouvrent au yoga, cette discipline millénaire née en Inde. Un véritable choc des cultures, même s’il est vrai que le milieu hospitalier se tourne vers des pratiques et médecines complémentaires depuis quelques années déjà. Ainsi, l’acupuncture, l’hypnose, l’ostéopathie, la méditation ou le qi gong (gymnastique chinoise) sont parfois appelés en renfort, comme « soins de support ». Ils ne remplacent pas la médecine d’Hippocrate mais aident les patients à supporter les effets secondaires des traitements et à faire face à la maladie.

Reconquérir son corps

« Le yoga a bénéficié de cette ouverture, souligne Isabelle Célestin-Lhopiteau, psychologue et directrice de l’Institut français des pratiques psycho­corporelles*. Les réticences à l’égard de ces pratiques tombent car leurs effets sont de plus en plus évalués, y compris par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris et par l’Organisation mondiale de la santé. Cela dit, le yoga à l’hôpital reste minoritaire, c’est une pratique qui dépend beaucoup de l’engagement personnel du chef de service. »

A Saint-Louis, cela fait presque cinq ans que les patientes atteintes d’un cancer du sein peuvent bénéficier, si elles le souhaitent, de séances de yoga gratuites. Elles peuvent aussi s’inscrire à des cours d’escrime, de tennis, de marche nordique… A l’origine de cette initiative, le Dr Caroline Cuvier, oncologue. « L’activité physique réduit les risques de cancer du sein et diminue les récidives, explique ce médecin à l’allure sportive et au débit rapide. Le yoga, plus spécifiquement, a le mérite de s’adapter à la personne malade, de travailler sur la concentration pour mieux sentir son corps, et même le reconquérir. Pour des femmes qui perdent leurs cheveux, sont en ménopause précoce et ont parfois un sein en moins, ce n’est pas rien ! » Soucieuse d’apporter la preuve de ce qu’elle avance, le Dr Cuvier poursuit : « Des études américaines montrent que la pratique régulière du yoga réduit les douleurs articulaires liées au traitement par hormonothérapie. Des douleurs telles que certaines patientes en viennent à arrêter leur traitement. » Rahma, 46 ans, qui vient de suivre son premier cours à l’hôpital, confirme : « J’avais tellement mal que je ne pouvais plus marcher ni porter des objets. Ce moment m’a fait du bien, même si je débute. » Mélina, 37 ans, sort de six mois de chimiothérapie et a subi une intervention chirurgicale. Elle n’a pas raté une seule séance depuis novembre 2015. « Les nausées, la fatigue et l’anxiété m’empêchaient de respirer, j’avais un nœud à l’estomac en permanence. Les grandes respirations me libèrent, ça me donne de la force et de la confiance en moi. »

Un traitement à part entière

Car notre médecine moderne, même si elle est performante, ne peut pas tout. Et, s’il est un domaine où elle est confrontée à ses limites, c’est bien celui de la douleur chronique. Le Pr Bruno Fautrel, chef du service de rhumatologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris (13e), en sait quelque chose. Ses patients souffrent de maux de dos chroniques. Certains ont perdu leur travail, d’autres multiplient les arrêts maladie. « Même quand on a opéré, les douleurs persistent et s’enkystent. Les patients ne vivent plus car ils sont enfermés dans leur souffrance. Il faut les en sortir ! » Le Pr Fautrel a introduit le yoga dans un programme plus vaste (rééducation, Pilates…) de plusieurs semaines, pour redonner aux patients une mobilité à peu près normale et leur apprendre à gérer la douleur. Le praticien y voit aussi l’occasion de se soigner autrement : « Les pratiques comme le yoga rendent les malades chroniques plus autonomes, ce qui est une bonne chose. Il est important que chacun devienne acteur de sa santé, et cesse de penser que le médecin peut tout résoudre. »

L’hôpital d’Eaubonne (Val-d’Oise) a poussé la démarche plus loin sous l’impulsion du Dr Jocelyne Borel-Kuhner, qui y a ouvert la première consultation de yogathérapie en juin 2012. Ici, le yoga est considéré comme un traitement à part entière. « Je reçois des patients de 17 à 91 ans, qui souffrent de rhumatismes sévères, des lombalgies, des maux chroniques causés par des traitements ou par des maladies, explique le médecin. Je propose des postures adaptées à chaque pathologie, synchronisées avec le souffle. Le travail se fait tout en douceur. »

Des bénéfices pour le système nerveux

Certains patients, en souffrance depuis dix ans, ont vu leurs douleurs s’atténuer après quatre ou cinq séances seulement. D’autres ont retrouvé le sommeil. « Le yoga a des effets mécaniques – les étirements assouplissent les muscles –, mais aussi des effets sur le système nerveux. Une pratique régulière favorise la sécrétion d’endorphines qui calment la souffrance et diminue la production des substances inflammatoires. Elle agit à la fois sur la transmission et la perception de la douleur. » Sabah, 41 ans, approuve. Soignée par le Dr Borel-Kuhner pour une lombalgie chronique, elle n’a certes pas vu ses douleurs disparaître, mais elle peut de nouveau faire ses courses, ou promener ses enfants. « Vivre, tout simplement ! » s’exclame-t-elle avec un grand sourire.

source :

Le 22 avril 2016 à 09h12 le parisien magazine