C’est dans cet îlot de la grande bourgeoisie que l’homme le plus recherché de France a grandi et rencontré sa future épouse. Plus de trente ans avant qu’on la retrouve assassinée, avec ses quatre enfants. Retour sur le premier acte de cette tragédie encore si mystérieuse.
Evanouie sur le parking d’un Formule 1 varois, la trace du mystérieux comte de Ligonnès réapparaîtra peut-être un jour, qui sait, en Amérique, avec ses routes à l’infini et ses chanteurs à Stetson. Mais pour comprendre l’histoire du commercial à particule et celle de son épouse, Agnès, retrouvée assassinée avec ses quatre enfants le 21 avril, il faut commencer par acheter un ticket de RER et tailler la zone – 4 -, jusqu’à Versailles. Ecouter cette cité où les orgues chantent plus fort que les guitares. Observer cette grande taiseuse qui refuse le nom de banlieue et dont les avenues, blanches et rectilignes, rappellent les doigts longs et racés des joueuses de bridge. Versailles, où Xavier est né et où Agnès a grandi. Là où le drame bourgeois s’est noué.

Les hommes y portent la chemise à carreaux en été et Le Figaro en toute saison, glissé sous le bras. Les dames font leur marché en tenue “sport chic”. Au lycée privé catholique Notre-Dame du Grandchamp, dans le quartier Saint-Louis, des jeunes filles chaussées de Bensimon couleur pastel s’égaient. Il y a trente ans, celle qui s’appelait encore Agnès Hodanger figurait parmi elles, franchissant le grand portail d’un pas plus rapide que les autres, quand elle n’avait pas séché les cours pour une partie de Pacman à La Tabatière ou un café à La Civette, rue de la Paroisse. A toute heure, Xavier l’attendait, beau comme une vedette de cinéma au volant de sa 404 Peugeot décapotable vert sombre. Par la suite, son père lui offrira une Triumph Spitfire pour qu’il parade mieux encore dans les rues de la ville. “C’est un glandeur professionnel et un flambeur qui ne te rendra jamais heureuse!” alertaient les copines. “Je m’en fous, je l’aime”, répondait la jeune fille en fleur. Et Agnès courait.

L’histoire débute à la fin des années 1970. Issu d’une vieille famille de militaires et d’ecclésiastiques qui compte un évêque de Rodez, Xavier Dupont de Ligonnès est un “Redede”, comme les Versaillais se raillent parfois eux-mêmes, qui mouline des bras dans les rallyes au son de Partenaire particulier ou des tubes de Mylène Farmer. Sa belle gueule, son bagou, son allure en veston et sa particule lui valent toutes les grâces, surtout celles des jeunes filles.

“Elle était folle de lui. Et lui faisait ce qu’il voulait d’elle”

Agnès, elle, est coquette, jolie bien qu’un peu gironde, croyante sans pour autant jouer les grenouilles de bénitier. Elle fume un peu et rit beaucoup. “Elle adorait la vie. Elle était naïve et savait néanmoins parfaitement ce qu’elle voulait. C’était une jeune fille très moderne”, se souvient l’une de ses meilleures amies de l’époque. Ce qu’Agnès veut, c’est épouser “Xav”. On fait plus “moderne”, comme rêve de destinée, mais Agnès est versaillaise, et très amoureuse. “Elle était folle de lui. Et lui faisait ce qu’il voulait d’elle.”

La famille Hodanger dispose d’un peu d’argent. Le jeune homme a pour lui un nom impeccable, en dépit d’un parcours familial heurté: un père, Bernard-Hubert, play-boy et baroudeur qui déserte le foyer alors que Xavier est âgé d’une dizaine d’années. Une mère, Geneviève, catho tendance hors des clous, fondatrice, dans les années 1960, d’un mouvement à caractère sectaire fondé sur l’Apocalypse. Baptisé “Philadelphie” ou encore “Le Jardin”, implanté entre Versailles et le Nord de la Bretagne, ce groupe de prière très fermé comptant moins d’une cinquantaine d’adeptes considère le pape comme un imposteur et voue une adoration sans mesure à la Vierge Marie. Agnès ne succombera jamais aux délires mystiques de sa belle-mère, “messagère” autoproclamée de la cause apocalyptique. D’autres si. A deux reprises, en 1995 et en 2009, des familles alerteront l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (Unadfi). “On nous a signalé à une certaine époque, autour de 1995, des déscolarisations, des ruptures professionnelles et des dons versés à cette femme qui pouvaient être conséquents, de l’ordre de plusieurs centaines d’euros par mois”, a affirmé de son côté à l’AFP Georges Fenech, président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

La fête devient sa seule religion

Lever à 6 heures, messe en latin, retraites dans des abbayes, lyrisme sacrificiel… Xavier baigne dans cet univers oppressant. Tout change à l’adolescence, où la fête devient sa seule religion. A Versailles, le mariage, le patronyme et les civilités murmurées sur les parvis d’église pèsent alors davantage que les diplômes. Xavier et Agnès ont-ils seulement obtenu leur baccalauréat? Au lycée privé Saint-Exupéry, dont les couleurs flottent bien moins haut que celles de Hoche ou de Saint-Jean-de-Béthune, nul n’en garde le souvenir. “On était des Mickey”, confirme un ancien camarade de lycée de Ligonnès. Le parcours d’Agnès est tout aussi médiocre. Inscrite à Grandchamp en première G option secrétariat après deux redoublements, elle trompe l’ennui des cours de dactylo en griffonnant des coeurs à la gloire de son chéri. “Très faible en français et en maths”; “le travail semble inexistant”; “beaucoup d’absences”, relève son catastrophique bulletin du deuxième trimestre 1981.

Le décès de sa mère, Nicole, victime d’un cancer fulgurant, marque la fin brutale de l’insouciance. Son petit ami la délaisse, s’entiche d’une autre puis file jouer les Bogart aux Etats-Unis. Anéantie, Agnès tombe dans les bras – puis enceinte – d’un autre homme. “Un serveur!” chuchote-t-on, indigné, dans les salons. Arthur naît le 7 juillet 1990. Agnès, âgée de 28 ans, quitte le bonheur capitonné du pavillon familial du boulevard Glatigny pour un petit appartement du quartier Notre-Dame. Entre les langes et quelques menus travaux de restauration de bibelots de porcelaine pour arrondir ses fins de mois, elle prie pour le retour de l’homme de sa vie. Avec raison: Xavier revient toujours. Le mariage est célébré sans faste au début des années 1990. Le petit Arthur a trouvé un nouveau papa, et Agnès et Xavier, semble-t-il, un bonheur respectable.

L’an dernier, elle avait envisagé une séparation

Draguignan, Lorgues, Sainte-Maxime, Vaison-la-Romaine, avant Pornic, puis Nantes, en 2003… Au fil des déménagements et des naissances -Thomas, Anne et Benoît ont rejoint Arthur – Anne n’oublie pas Versailles et ces amitiés si particulières tissées dans l’enfance. Elle revient parfois, garde ou renoue le contact via Facebook. Ses cheveux blanchissent, son compte en banque voit rouge, l’Urssaf, les Assedic et les huissiers menacent, mais elle ne se plaint pas. “La dernière fois que je l’ai vue, c’était en 2000. Elle semblait parfaitement heureuse”, confie une amie. “Quelques mois avant sa mort, elle m’a téléphoné pour me parler d’une chaîne de prières. Sa voix ne trahissait aucune mélancolie”, s’étonne une autre.

Les très proches, eux, savaient. L’an dernier, après une absence prolongée de son mari, la mère de famille délaissée avait évoqué pour la première fois l’éventualité d’une séparation. Au téléphone, elle avait confessé les infidélités de Xavier, ses petits trafics et ses vastes chimères qui avaient englouti son héritage, sa détresse affective, aussi. “Mets-le dehors!” avaient encouragé ses amis. Elle n’avait pas osé.

Versailles ne reverra plus jamais Agnès, dont les cendres, ainsi que celles de ses enfants, reposent à Noyers-sur-Serein (Yonne), berceau de la famille Hodanger. Plus recluse que jamais dans son appartement de l’avenue du Maréchal- Foch, Geneviève de Ligonnès attend la fin du monde et des nouvelles de son fiston. A quelques centaines de mètres de là, Etienne, le plus jeune des trois frères d’Agnès, patiente lui aussi, muré dans la douleur et l’incompréhension.
Ces hommes en fuite
Le principal suspect de la tuerie de Nantes a rejoint la cohorte de ces fugitifs qui parviennent à filer entre les doigts des policiers, en dépit des intenses moyens mis en oeuvre pour les débusquer.
Source :L’EXPRESS
Par Géraldine Catalano et Benoît Magistrini, publié le 18/05/2011