>Société|Propos recueillis par Alban de Montigny| 14 octobre 2018, 21h25 |0
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Le père Pierre Vignon est l’auteur de la pétition pour la démission de l’archevêque de Lyon. Elle a recueilli 105 000 signatures en moins de deux mois. AFP/Jean-Pierre Clatot
Fait rarissime, un cardinal américain a démissionné sur fond de scandales pédophiles. Le prêtre qui a lancé une pétition contre l’archevêque de Lyon analyse la situation en France.
C’est un fait majeur dans les affaires de pédophilie qui secouent l’Eglise. Aux Etats-Unis, le cardinal Wuerl, archevêque de Washington critiqué pour sa gestion des scandales pédophiles, a démissionné le 12 octobre. Un fait rarissime pour un si haut responsable religieux. Le père Pierre Vignon, prêtre au diocèse de Valence et auteur d’une pétition pour la démission du cardinal Barbarin ayant réuni en moins de deux mois plus de 105 000 signatures, estime que ce n’est qu’un début.
Le pape a renvoyé le 13 octobre deux évêques chiliens accusés d’agressions sexuelles sur mineurs. La veille, il avait accepté la démission du cardinal Donald Wuerl de sa charge d’archevêque de Washington. Assiste-t-on un tournant ?
PIERRE VIGNON. Le tournant a déjà été pris par le pape il y a quelques mois. En juin, après l’avoir défendu dans un premier temps, il avait accepté la démission de l’évêque chilien Mgr Barros, soupçonné d’avoir couvert un prêtre. La démission du cardinal Wuerl et le renvoi de l’état clérical de deux évêques chiliens ne sont que les suites logiques.
En France, le cardinal Barbarin doit comparaître le 7 janvier pour non-dénonciation d’abus sexuels. Malgré la pétition que vous avez lancée, il n’a pas démissionné. Sa position est-elle tenable ?
Les responsables de l’Eglise sont persuadés que faire des déclarations à destination des victimes suffit. Or, l’opinion publique, les catholiques compris, réclament légitimement des actes. Les évêques et les supérieurs religieux ne peuvent pas dire « nous prenons toutes les mesures et nous restons à notre place ». Ils sont disqualifiés. Le cardinal Barbarin ferait mieux de laisser sa place. Quelle que soit l’honorabilité de ses intentions, que je ne remets pas en cause, il se trouve dans une impasse.
Par ailleurs, en août, l’évêque auxiliaire de Lyon, Mgr Gobilliard, avait indiqué qu’il avait présenté sa démission et que le pape l’avait refusée. Je ne doute pas de sa déclaration, mais on peut se poser la question de savoir sous quelle forme le cardinal a présenté sa démission et si le pape avait une réelle liberté de la rendre effective.
D’autres évêques devraient-ils démissionner ?
27 évêques français ont couvert des prêtres pédophiles, d’après une enquête de Mediapart. Il serait trop facile de penser que tous les problèmes seraient réglés en France avec la seule démission du cardinal Barbarin. Si toute l’Eglise doit prendre la vraie mesure de l’impact des souffrances des victimes, les évêques et supérieurs religieux doivent particulièrement tirer les conséquences de leur action.
L’Eglise entend-elle la parole des victimes ?
L’Eglise n’a pas seulement à prendre en compte les souffrances des victimes, comme l’a dit le pape, elle doit aussi apprendre d’elles la façon de traiter le problème. Et ce dernier point ne fonctionne pas. La conférence des évêques de France organisera, le 3 novembre, une rencontre avec des victimes. Or, La Parole libérée, l’association des victimes du prêtre lyonnais Bernard Preynat, sentant qu’elle n’est pas considérée, refuse d’y aller. Elle avait rédigé un projet de réforme de l’Eglise sur la prise en charge des personnes ayant subi des actes pédophiles qui n’a pas été pris en compte. Force est de constater que l’Eglise a du mal à entendre leur parole.
OÙ EN EST LA COMMISSION D’ENQUÊTE ?
La création d’une commission d’enquête sur la pédophilie dans l’Eglise sera soumise le 17 octobre aux votes des membres de la commission des lois du Sénat. Si jamais le vote est négatif — ce qui est peu probable —, elle ne verra pas le jour.
Proposée par les sénateurs socialistes à la suite de l’appel lancé par le magazine Témoignage chrétien, cette commission d’enquête ne pourra pas travailler sur des faits faisant l’objet d’une procédure judiciaire. Elle « s’adresse aux victimes. Nous voulons que les victimes qui n’ont pas pu parler, qui n’ont pas su parler […] puissent avoir une tribune forte pour défendre les droits des enfants », a rappelé Patrick Kanner, président du groupe socialiste au Sénat.
Si cette commission voit le jour, 21 sénateurs de tous bords confondus auront six mois pour remettre un rapport et formuler des propositions.
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