Ami du pape François depuis plus de quarante ans, Guzmán Carriquiry Lecour, 72 ans, est un homme influent au Vatican (1). Cet Uruguayen qui vit et travaille à Rome depuis 1971 est aujourd’hui vice-président de la Commission pontificale pour l’Amérique latine, un continent où la diplomatie vaticane est très active depuis l’élection du jésuite argentin. Carriquiry est un fin connaisseur du terrain latino-américain et un soutien indéfectible de Jorge Mario Bergoglio.

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{{Les communautés évangéliques, surtout la mouvance pentecôtiste, continuent à gagner du terrain en Amérique latine. Est-ce un motif d’inquiétude pour le Vatican et le pape François ?}}

Sur cette question, le pape François a fait bouger la vision de l’Eglise catholique. Auparavant, les échanges avec les évangéliques étaient difficiles, faits d’accusations et de condamnations réciproques. Pour les catholiques, les évangéliques étaient une sorte de bras armé de l’impérialisme américain, porteurs de la «théologie de la prospérité» promouvant l’individualisme, mus par un prosélytisme agressif à l’encontre du catholicisme. De leur côté, les évangéliques considéraient que l’Amérique latine n’avait jamais été réellement évangélisée, que le catholicisme était une superstition superficielle. Lorsqu’il était archevêque de Buenos Aires, Jorge Mario Bergoglio a noué des relations avec ces milieux. Il a discerné quelles étaient les communautés évangéliques et les pasteurs sérieux. Chaque mois, il se réunissait avec certains d’entre eux pour discuter et prier. Cette démarche a parfois scandalisé. Une photo du futur pape, agenouillé devant un pasteur évangélique qui le bénit, a beaucoup circulé. Comme archevêque de Buenos Aires, Bergoglio a eu souvent des rapports difficiles avec les autorités politiques de l’Argentine. Et dans ces difficultés, il a reçu le soutien de pasteurs évangéliques.

{{Qu’a changé le pape François ?}}

La vision des évangéliques qu’ont les catholiques. Il a établi une distinction entre les communautés évangéliques considérées comme sérieuses et les sectes, à l’instar de l’Eglise universelle du royaume de Dieu, très puissante au Brésil [ fondée par Edir Macedo, l’oncle du nouveau maire de Rio, ndlr]. Cela a été clairement énoncé, en 2007, lors de la réunion des épiscopats latino-américains à Notre-Dame d’Aparecida au Brésil, où Bergoglio a joué un rôle important.

{{Mais la progression des évangéliques ne pose-t-elle pas question à l’Eglise catholique ?}}

Ce que l’on voit surtout aujourd’hui, c’est la montée en puissance politique des évangéliques qui agissent comme un bloc. Pas seulement au Brésil, c’est vrai aussi au Mexique ou en Colombie. Dans ce pays, ils ont mené campagne pour le non, lors du référendum du 2 octobre sur l’accord de paix avec les Farc, au motif qu’il promouvait la théorie du genre. L’Eglise catholique, elle, n’avait pas donné de consigne de vote. Le poids pris politiquement par les évangéliques crée une situation nouvelle. Il faut en tenir compte, d’autant qu’ils gèrent souvent de puissants moyens de communication. Sur ce terrain, il faudrait que l’Eglise catholique noue un dialogue avec les évangéliques. Ce n’est pas une chose facile. Chaque église évangélique est autonome et il n’y a pas d’autorité centrale, comme dans d’autres courants du protestantisme.

{{L’Eglise catholique peut-elle se retrouver en accord avec les évangéliques sur certains dossiers comme l’opposition à l’avortement ?}}

Certainement, on peut se rejoindre sur certains thèmes. Mais, encore une fois, cela dépend des communautés évangéliques ! A Buenos Aires, c’était possible.

{{En Amérique latine ou en Afrique, beaucoup d’Eglises évangéliques promeuvent la théologie de la prospérité, convainquant leurs fidèles que la réussite matérielle serait un signe divin. L’Eglise catholique l’a-t-elle condamnée officiellement ?}}

Non, il n’y a pas eu de prise de position officielle. Mais la thématique de la confrontation entre Dieu et l’argent est très présente dans les discours du pape François. Il dénonce fréquemment l’idolâtrie de l’argent. Selon lui, le plus grand danger pour la foi chrétienne, c’est de devenir esclave de l’argent. Le pape parle de l’argent qui tue. Ces expressions sont si fortes qu’on peut les considérer comme des critiques très dures à la racine même de la théologie de la prospérité.

(1) Il vient de préfacer un texte du pape François, les Laïcs, messagers de l’Evangile (éd. Salvator), 5 €.

INTERVIEW par Bernadette Sauvaget
http://www.liberation.fr/planete/2017/01/05/le-poids-politique-des-evangeliques-cree-une-situation-nouvelle_1539384