L’ancien professeur de yoga accusé d’avoir dirigé depuis la Vienne une secte en Charente-Maritime est jugé avec sa compagne. L’affaire est tout sauf claire.

Un enseignant de yoga et de philosophie orientale, également artiste peintre à Lizant, comparaît depuis jeudi matin avec sa compagne devant le tribunal correctionnel de Poitiers. Il est accusé par deux de ses anciennes élèves d’avoir abusé de son emprise. Les deux prévenus nient les faits.

Depuis 2001, un étrange groupe occupe une belle propriété au cœur du village d’Aumagne (Charente-Maritime). Les activités de cette discrète société seraient restées inconnues si l’une de ses membres ne l’avait quittée pour aller s’épancher, fin 2013, auprès des services de police parisiens spécialisés dans les violences aux personnes et dans les dérives sectaires.
Bourgeois aisés et libertins. Sous la conduite, affirme la plaignante, de ce qui semble s’apparenter à un gourou, les membres du groupe, dont la générosité financière est régulièrement sollicitée, sont soumis à diverses humiliations et punitions. Ils sont amenés à participer à des « ateliers sexuels » filmés, incluant des actes de zoophilie (avec chiens, anguilles, voire un poulain) et de scatologie. La plaignante indique qu’elle a elle-même laissé quelque 600.000 € dans l’aventure.

Précision importante : la plaignante, bientôt rejointe chez les juges par une autre membre du groupe, était le propre médecin de celui que les « adeptes » appelleraient « le maître » et c’est elle qui semble à l’origine de l’installation du groupe en Poitou-Charentes. Ce dont elle se défend.

Ce groupe de bourgeois aisés et libertins de la région d’Amiens, s’est constitué dans les années 1990 autour d’un professeur de yoga : Christian Ruhaut. C’est lui qui, depuis hier et jusqu’à vendredi, comparaît, avec sa compagne Catherine Brocq, devant le tribunal correctionnel de Poitiers, poursuivis, entre autres, pour abus de faiblesse et acte d’intimidation.
Difficile de savoir qui était sous l’emprise de qui

Au tournant des années 2000, il est décidé, notamment parce que le maître a des soucis de santé et financiers, d’installer le groupe dans la propriété d’Aumagne, acquise par une SCI dont la gérante est… Marie-Antoinette. Quelques mois plus tard, une seconde propriété est achetée à Lizant, dans le sud Vienne, pour y installer Christian Ruhaut et Catherine Brocq. Les participants ont signé un document les engageant à suivre le maître « jusqu’à la mort ».
Adultes et consentants

Mis en examen également pour complicité de viol en réunion, chef de poursuite retiré depuis du dossier par la chambre de l’instruction, Christian Ruhaut, qui a aujourd’hui 73 ans, a déjà passé huit mois en prison, sa compagne sept.

Au moment où débute le procès, on ne peut guère dire que les faits sont d’une clarté éblouissante. Christian Ruhaut se défend bec et ongles.

Quand la présidente lui demande si certains de ses élèves étaient plus initiés que d’autres, le prévenu ne tombe pas dans le piège : « Initié, je n’accepte pas ce mot ! » Et les élèves cités comme témoins par la défense, dont plusieurs résident toujours ensemble à Aumagne, confirment : oui, ils ont eu des pratiques libertines et même au-delà. Mais ils sont adultes et ça les regarde. Et personne ne leur a imposé quoi que ce soit.C’est elle qui me manipulait. C’était mon médecin. J’avais pas besoin de ça

Christian Ruhaut, poursuivi, entre autres, pour abus de faiblesse et acte d’intimidation

Non seulement Christian Ruhaut nie farouchement avoir eu la moindre emprise sur son groupe d’élèves, et a fortiori avoir dirigé leurs pratiques, mais il explique qu’il a été entraîné dans le Sud-Ouest, plus ou moins à contrecœur. Celle qui l’a convaincu de partir dans le cadre de ce qui a été appelé « Projet Sud », c’est… Marie-Antoinette ! « C’est elle qui me manipulait. C’était mon médecin. J’avais pas besoin de ça. J’avais une grande propriété à Rubempré. Ça me suffisait. J’ai perdu ma liberté, j’ai perdu mon indépendance. Faut le faire ! »

Face à la présidente Corinne Mathon, Christian Ruhaut adopte une attitude polie et déférente. Mais il dénonce, avec ses deux avocats, Édouard Martial et Lee Takhedmit (Catherine Brocq est défendue par Me Lynda Sabilellah), une instruction menée exclusivement à charge.

Très à l’aise, Marie-Antoinette coiffée d’un turban attend, elle, patiemment son tour de prendre la parole, qui arrive en fin de journée : la plaignante est plus que volubile, elle s’attarde sur le moindre détail. La présidente est obligée de la ramener aux faits. Marie-Antoinette campe sur ses positions : c’est bien celui qu’elle n’appelle plus ni le maître, ni Christian mais sèchement « Ruhaut », assisté de « Brocq », qui était à la tête de tout.

Les débats se poursuivent aujourd’hui avec les derniers témoignages, les plaidoiries et les réquisitions. Après quoi, les juges vont devoir trancher dans un dossier dans lequel il est bien difficile de dire, à l’issue de cette première journée, qui a manipulé qui.

source :

La Nouvelle République

le 19/03/2021

https://www.lanouvellerepublique.fr/vienne/commune/lizant/le-pretendu-gourou-de-lizant-devant-les-juges