Les trois auteurs de l’étude proposent cependant une définition large de l’extrémisme de droite, loin de faire l’unanimité, puisqu’elle inclut les groupes anti-mesures sanitaires.
Le Québec assisterait à une montée de l’extrême droite depuis une décennie, selon une étude publiée vendredi par le Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (CEFIR). Les résultats de la recherche avancent aussi que l’année 2020 a été la plus active et la plus violente des dix dernières années.
Les trois auteurs de l’étude, Frédéric Nadeau, Martin Geoffroy et Hiba Qchiqach, proposent toutefois une définition assez large de ce qu’ils considèrent comme l’idéologie d’extrême droite. Selon eux, elle s’exprime notamment à travers une haine de la démocratie libérale et des valeurs issues de la modernité.
Le CEFIR a recensé 521 événements liés, selon lui, à l’extrême droite, entre 2010 et 2020, et reliés à 45 groupes actifs dans la province. Le rapport a été financé par le Fonds pour la résilience communautaire de Sécurité publique Canada.
- Nadeau admet que l’étiquette d’extrême droite est controversée. Même les groupes les plus extrémistes ne s’en revendiquent pas, dit-il. Avec le temps, c’est devenu une arme rhétorique pour dénigrer un adversaire politique.
Les groupes anti-mesures sanitaires inclus dans l’étude
L’une des raisons de l’accroissement de 63 % des activités de l’extrême droite en 2020 par rapport à l’année précédente s’explique par l’irruption des groupes anti-mesures sanitaires (GAMS), que le CEFIR considère comme s’inscrivant dans cette mouvance.
L’étude dénombre 73 événements liés aux GAMS en 2020.
À noter que la plupart des opposants aux mesures sanitaires, dont ceux interrogés durant la production de la baladodiffusion Convictions, ne se reconnaissent pas dans cette étiquette.
Les auteurs de l’étude estiment cependant que les GAMS font partie de l’extrême droite, puisqu’ils insistent sur le fait que la COVID-19 ne serait dangereuse que pour un faible pourcentage de la population et que, conséquemment, les personnes en santé (les forts) ne devraient pas avoir à subir de restrictions à leurs libertés individuelles si c’est pour protéger les personnes vulnérables.
La notion d’État profond, largement utilisée par les GAMS, est aussi, selon les chercheurs, issue directement des extrêmes droites fascistes et suprémacistes. On fait ici référence à un concept qui veut que la démocratie libérale ne [soit] qu’une illusion entretenue par une élite mondialiste.
Le 10 mai dernier, le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, avait lui aussi fait le lien entre les manifestations contre les mesures sanitaires et les mouvements d’extrême droite. C’est dangereux et c’est nuisible, a-t-il dit. On doit le dénoncer.
Frédérick Nadeau fait toutefois une distinction entre les leaders des GAMS et les gens qui participent aux manifestations.
On n’a pas affaire à des milliers d’extrémistes, dit-il. Mais les figures de proue rejettent assez clairement les institutions démocratiques telles qu’on les connaît. C’est un phénomène nouveau qu’on va continuer à creuser.
Codirecteur de l’Observatoire sur la radicalisation et l’extrémisme violent de l’Université de Sherbrooke, David Morin estime quant à lui que les leaders des GAMS ne peuvent pas tous être qualifiés d’extrémistes de droite.
C’est trop réducteur de la complexité de ce mouvement. De mon point de vue, dans l’extrême droite, il y a l’idée d’une communauté nationale fantasmée qui se sent menacée de l’intérieur ou de l’extérieur. Il y a forcément une dimension racialiste ou culturaliste.
Une citation de :David Morin
Augmentation de la violence
Selon l’étude, la formation néofasciste Atalante Québec est considérée comme étant la plus active, avec 194 événements répertoriés par les trois chercheurs. Le groupe, fondé à Québec en 2015, se considère comme nationaliste révolutionnaire.
Ses membres mènent des actions toutes les deux semaines, dit M. Nadeau. Ils ont une vraie discipline pour une plus grande visibilité et pour garder les militants actifs. Mais ils demeurent très marginaux. Plus les groupes d’extrême droite sont radicaux, moins ils attirent de gens.
Les chercheurs constatent aussi une tendance à la hausse de la violence d’extrême droite depuis le début des années 2010. Avec un recensement de 35 événements impliquant de la violence, l’année 2020 aurait été la pire de la décennie à ce chapitre.
Plus du quart des actes violents répertoriés concernent des menaces et des discours haineux. Les méfaits et le vandalisme représentent 22 %; quant aux heurts avec des opposants, c’est 23 %. Suivent les actes d’intimidation avec 21 % des événements violents. Les agressions comptent pour 6 % des incidents.
Fait inquiétant, le degré de violence a lui aussi tendance à s’intensifier, ce qui laisse entrevoir une radicalisation de l’extrême droite québécoise, peut-on lire dans le rapport.
Frédérick Nadeau estime que les institutions ont minimisé la montée de l’extrême droite au cours des dix dernières années.
Le fait que des groupes suprémacistes viennent de faire leur apparition sur la liste canadienne des entités à surveiller est un bon indice, dit-il. L’attentat de la mosquée de Québec est aussi un bon exemple. On a tout de suite cherché à justifier par les problèmes de santé mentale, en évitant la portée politique de ce geste. Parce que c’est un petit gars de chez nous. Mais en cas d’attentat djihadiste, on saute tout de suite aux conclusions.
Radio-Canada
Simon Coutu
14 mai 2021