En quelques mois, elles sont devenues l’une des principales cibles de la vindicte des milieux religieux. Mais ces derniers en ont, une fois de plus, été pour leur frais. D’abord prévu en septembre, puis le 19 février, le procès des Femen a été renvoyé au… 9 juillet. Il y a un an, le 12 février 2013, elles s’étaient dénudées à Notre-Dame de Paris, faisant tinter les cloches avec des morceaux de bois, avant d’en être expulsées manu militari. Elles entendaient célébrer, à leur manière, la renonciation de Benoît XVI.

Après l’épisode de Notre-Dame, les Femen avaient continué à agacer parmi les chrétiens en se postant, torse nu, le long des cortèges anti-mariage gay. Mais un cap a été franchi en fin d’année avec leur action à l’église de la Madeleine, le 20 décembre. Une de leurs membres avait simulé un avortement devant l’autel. Au-delà du « choc », les croyants ont difficilement digéré l’absence de réaction gouvernementale face à ce qu’ils considèrent comme « une profanation dans un lieu de culte ».

« C’était le moment de montrer que la laïcité est la protectrice des croyances et des religions ! Des voix importantes sont restées muettes ! », avait déploré l’archevêque de Paris, André Vingt-Trois. Tardive, la réaction a néanmoins été significative. Sans citer les Femen, François Hollande a condamné, le 14 janvier, « les actes antichrétiens », fustigeant « des personnes qui pensent que l’on peut s’exhiber dans des lieux de culte et commettre des actes qui heurtent les consciences des croyants ». Un délai de trois semaines assumé par l’Elysée, qui souhaitait une réaction dans un cadre solennel.

GEORGES FENECH DEMANDE LA DISSOLUTION DU MOUVEMENT

Le ministre chargé des relations avec les cultes, Manuel Valls, avait fini par dénoncer « une provocation inutile ». Même Anne Hidalgo, candidate socialiste à la mairie de Paris, a lâché les Femen. Après les avoir qualifiées « d’émouvantes » à l’automne, elle a, en janvier, « fermement condamné » leur action.

Depuis, la réprobation s’est élargie et l’angle d’attaque déplacé. Le 10 février, les responsables lyonnais de toutes confessions ont dénoncé l’utilisation « du visage d’une personne dont le message se résume à la lutte contre les religions » – sous-entendu la Femen Inna Shevchenko – pour incarner la Marianne du timbre officiel. Timbre dont les réseaux catholiques, rejoints par quelques responsables politiques de droite, demandent le retrait dans une pétition.

Georges Fenech, député (UMP) et ancien président de la Mission de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), va encore plus loin. Convaincu que les Femen font preuve de pratiques à caractère sectaire, il a demandé à Serge Blisko, son successeur à la tête de la Miviludes, d’examiner les conditions de la dissolution du mouvement. L’institution, qui précise n’avoir reçu aucune plainte de familles, devrait donner une réponse rapidement. Mais on y souligne déjà qu’au moins deux critères caractérisant les dérives sectaires ne sont pas remplis : la difficulté d’en sortir et l’extorsion de fonds auprès des adeptes.

« ORGANISATION DICTATORIALE »

Face à ce qui apparaît comme un front de plus en plus large, le mouvement féministe ne sait sur quel pied danser. Les Femen y ont toujours divisé. Elles sont suspectées d’islamophobie par des militantes. Leurs méthodes interrogent. « Quel est leur but ?, interroge Caroline de Haas, la fondatrice d’Osez le féminisme. Le mien est de convaincre le plus grand nombre. Je ne me retrouve pas forcément dans ce mode d’action, même si je le respecte. »

« On a l’impression qu’elles ne comprennent pas très bien où elles sont, commente Maya Surduts, militante historique du droit à l’avortement en France. Elles restent en dehors de nos préoccupations réelles : les conditions économiques et sociales ou la campagne sur le genre. » Le choix de l’Eglise comme principale cible dans un pays laïque ne fait pas l’unanimité.

Même scepticisme du côté des défenseurs des droits de l’homme. « Il est de plus en plus difficile d’attirer l’attention, cela entraîne des excès », commente Souhayr Belhassen, présidente d’honneur de la Fédération internationale des droits de l’homme, à propos de Femen France. « Je soutiens le droit à l’expression à travers son corps. Mais cela devient difficile quand on viole un lieu de culte. » La contestation a aussi lieu en interne. Une ancienne Femen, « Alice », s’apprête à dénoncer « l’organisation dictatoriale » du groupe dans un livre.

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Pourtant, devant les succès de La Manif pour tous (abandon de la procréation médicalement assistée, report de la loi famille) et après les condamnations au plus haut niveau des Femen, la solidarité l’emporte. « Il est bon de rappeler que l’Eglise ou n’importe quelle religion n’ont pas à se mêler de l’organisation de la société, tempête Caroline de Haas. Les réactions contre elles sont disproportionnées. » « Elles appartiennent au mouvement féministe, affirme Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes. Ce qui est organisé contre elles, c’est une chasse aux sorcières. »

Alice Coffin, du collectif La Barbe, qui a toujours soutenu les Femen, estime que les réactions hostiles « justifient leurs actions ». « Elles réitèrent quelque chose d’important : l’Eglise oppresse les femmes, affirme la militante. Je regrette que le gouvernement de gauche préfère défendre l’Eglise. »

source : LE MONDE | 21.02.2014 à 11h19 • Mis à jour le 21.02.2014 à 11h35 | Par Gaëlle Dupont et Stéphanie Le Bars