L’athée militant Michel Onfray contre le born again catholique Jean-Claude Guillebaud. Pour Jean-Pierre Denis, directeur de l’hebdomadaire chrétien La Vie, la France n’avait pas été depuis longtemps aussi clivée sur la question des religions. Et il n’est pas sûr que Nicolas Sarkozy ait bien pris la mesure du phénomène. «Je sens monter dans la société des bouffées d’antichristianisme beaucoup plus fortes qu’il y a quelques années et je vois naître vis-à-vis de la religion un phénomène de curiosité bienveillante tout à fait nouveau. Les deux phénomènes coexistent. De ce point de vue, la situation française est très originale», analyse Jean-Pierre Denis. Illustration de cette dichotomie, l’énorme du succès du Traité d’athéologie d’Onfray (1), et le succès non moins énorme de Comment je suis redevenu chrétien de Guillebaud (2).

Drôle d’époque effectivement. D’un côté, un effondrement des pratiques : manque chronique de prêtres, baptêmes en chute libre, églises vides. «On dit toujours que les églises sont vides mais nos sanctuaires sont pleins», ironise, de l’autre côté, Patrick Jacquin, recteur de Notre-Dame de Paris et président de l’Association des recteurs de sanctuaires. De 40 millions en 2005, la fréquentation est passée à 45 millions en 2007. Les pèlerinages connaissent aussi une nouvelle jeunesse, ainsi que les retraites spirituelles. Et les grands rassemblements, comme les Journées mondiales de la jeunesse de Jean Paul II ou les sessions de Paray-le-Monial créées par les catholiques charismatiques de la Communauté de l’Emmanuel, attirent des foules impressionnantes.

Conquêtes. L’autre originalité française tient aux envolées lyriques de Nicolas Sarkozy sur «les racines chrétiennes de la France» ou «l’héritage civilisateur des religions». A qui s’adresse-t-il ? Aux catholiques ? Dans ce cas, c’est raté. La hiérarchie s’accomode très bien de la loi de 1905 qui confie à l’Etat l’entretien des cathédrales, et aux communes celui des églises, et n’a aucune envie de se faire instrumentaliser par un Président omnipotent. La base catholique droitière, qui a massivement voté pour Sarkozy en 2007, le lâche. «La baisse est particulièrement appuyée entre décembre et janvier, alors même qu’il faisait des annonces très fortes en direction des catholiques», analyse Jérôme Fourquet, directeur d’études à l’Ifop. Coïncidence qui n’en est pas une, le décrochage se produit au moment précis où le chef de l’Etat surmédiatise sa vie privée, étale ses conquêtes amoureuses, annonce que deux mois après son divorce, il va se remarier, déroule le tapis rouge à Kadhafi… Ses positions plutôt libérales sur l’avortement, l’euthanasie, la bioéthique heurtent également cet électorat. L’authenticité des opinions religieuses du président de la République suscite généralement un certain scepticisme. «Je ne crois pas qu’il ait la foi. Il attend des religions qu’elles servent à la pacification des esprits, qu’elles amènent l’opinion publique à accepter l’ordre établi. Quand on dit que la religion c’est l’opium du peuple, il y a de ça chez Sarkozy», analyse le sociologue Marc Andrault dans son livre Sarkozy et Dieu. Enfin, «tout le christianisme social, les réseaux comme le Secours catholique, le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) sont en porte-à-faux avec la politique de Sarkozy sur le logement ou l’immigration», note encore Jean-Pierre Denis.

Halo. Dans le camp d’en face, on mobilise. La France d’Onfray s’inquiète. «La laïcité est une valeur très fortement affirmée. Les gens sont très sensibles à une actualité internationale dominée par les luttes religieuses», affirme Jérôme Sainte-Marie. Jean-Pierre Denis confirme ce retour de bâton d’un «anticléricalisme sans clercs» puisqu’il n’y a plus de curés. Pour cette frange de l’opinion, les religions sont synonymes de violence et de communautarisation, donc de désintégration des sociétés. Née de l’islamisme, cette crainte aurait un effet de halo sur toutes les religions. A force de brosser les catholiques dans le sens du poil, Sarkozy a réveillé le camp laïc. Ses troupes sont désormais en mouvement.

(1) Ed. Grasset et Fasquelle, 2005. (2) Ed. Albin Michel, 2007.

CATHERINE COROLLER
QUOTIDIEN : mardi 26 février 2008

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