L’ennéagramme fait son chemin aujourd’hui dans le monde catholique… On a un certain mal à comprendre les raisons d’un pareil engouement pour cet outil de « connaissance de soi », à l’épistémologie plus que fumeuse et qui tient davantage de la Gnose que d’une démarche spirituelle un peu sérieuse. Ce qui donne tout son intérêt au dernier livre d’Anne Lécu : « L’ennéagramme n’est ni catho, ni casher (éd. Cerf Paris, avril 2023) qui tente d’analyser ce phénomène et d’en comprendre autant les ressorts que l’attirance qu’il peut exercer sur un certain milieu qui bricole goulument un christianisme mâtiné de New Age. Ce livre, exhaustif, précis, sans complaisance mais sans volonté de polémique, fait notamment le portrait de celui qui est à l’origine de l’ennéagramme, Georges Gurdjieff qui, en son temps, utilise l’hypnose, en l’associant à des narcotiques ou autres substances. Il dira d’ailleurs de ses patients : « J’avais besoin de rats pour mes expériences. » L’ennéagramme ne fait que traduire au fond la volonté d’une minorité bourgeoise catholique de se légitimer une autorité pour empécher les autres de devenir « auteurs » du récit de leur propre récit de leur existence. C’est ce récit là qu’on leur vole en définitive.

Certains sectateurs du quotidien La Vie, qui aura beaucoup œuvré pour la propagation de l’ennéagramme dans certains diocèses comme celui de Saint-Etienne, commencent à bricoler des sessions où la méditation de pleine conscience, la guérison cellulaire, la psychogénéalogie servent de boussoles « spirituelles ».

Le but est de créer et de fédérer des petits cercles de disciples. Et le meilleur moyen de le faire c’est de les maintenir dans une sorte d’infantilisation permanente. Dans son ouvrage, Anne Lécu cite un texte de Piotr Ouspensky (principal héritier de Gurdjieff) datant de 1949 : « Dans les écoles de l’Orient, on connaît des moyens et des méthodes pour séparer l’essence et la personnalité d’un homme. A cette fin, on se sert tantôt de l’hypnose ou de narcotiques spéciaux, tantôt de certaines sortes d’exercices. Si, par l’un ou l’autre de ces moyens, l’essence et la personnalité d’un homme sont séparées, pendant un certain temps on voit deux êtres, tout formés, cœxistant en quelque sorte en lui, qui parlent des langues différentes, qui ont des goûts, des buts et des intérêts tout différents, et l’on découvre bien souvent que l’un des deux est resté au niveau d’un tout petit enfant. Si on prolonge l’expérience il est possible d’endormir l’un des deux êtres (…) Et il arrive qu’un homme plein d’idées variées et exaltées, plein de sympathies et d’antipathies, d’amour, de haine, d’attachements, de patriotisme, d’habitudes, de désirs, de convictions, se révèle soudain complètement vide, dépourvu de toutes pensées, sentiments, et de tout point de vue personnel sur les choses. »

Voici l’anthropologie initiale d’une mixture que l’on vend à des gens pour « optimiser » leurs potentiels. Au moment où le développement personnel trouve sa place au rayon « Philosphie » de la FNAC, l’ennégramme n’est jamais qu’une méthode dont certains catholiques font la promotion dans une rêverie mercantile d’adolescent égaré et exclusivement égocentré. Après la parution du livre d’Anne Lécu, l’Université catholique de l’Ouest organise une soirée pour démonter l’ouvrage, ainsi que le très « classique » Institut de philosophie comparée. Evidemment, son autrice n’est pas conviée pour un droit de réponse. Le but est de préserver la légitimité de cet « outil », afin de le proposer à l’avenir à des clercs ou des religieux en phase de burn-out. Longtemps on a nourri les croyants avec de la soupe à la guimauve, maintenant on leur fait digérer de l’arsenic. Il faut avoir l’estomac solide pour être chrétien aujourd’hui.

source : Philippe Ardent773. Golias Hebdo n° 773 (Fichier pdf)