QUESTION – Une ex-éducatrice de la Protection Judiciaire de la Jeunesse rencontre des ados sous l’emprise des réseaux qui appellent au djihad.
De plus en plus d’adolescents fragilisés sont la cible, via le web, de groupes islamistes qui les appellent à faire le djihad en Syrie. Agissant comme des sectes, ces groupes isolent les ados jusqu’à les couper de leur famille et de leurs amis. Certains finissent par franchir le pas et quittent tout pour la Syrie où ils seront, entre autres, utilisés pour commettre des attentats suicides. D’autres sont récupérés à temps et réintègrent leur famille, comme récemment deux ados toulousains rattrapés en Turquie. Mais ce retour à la réalité s’avère difficile aussi bien pour les parents que pour les adolescents.
L’ancienne éducatrice de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, Dounia Bouzar, auteure de Désamorcer l’islam radical. Ces dérives sectaires qui défigurent l’islam, travaille avec les familles de ces ados endoctrinés. Couper internet, raviver de vieux souvenirs, inciter à participer à la vie de la famille sont autant de clefs pour ramener un « apprenti-djihadiste » à la réalité.
La spécialiste nous livre les outils qui permettent de sauver ces jeunes adultes à la fois victimes d’une dérive sectaire, mais responsables, aux yeux de la loi, de leurs actes.
Quand la raison n’existe plus. L’ancienne éducatrice, aujourd’hui anthropologue du fait religieux, l’avoue, « il est très difficile de travailler avec ces jeunes pendant ou juste après la radicalisation ». Les groupes auxquels ils ont été soumis leur ont répété qu’ils ont été choisis pour sauver le monde, qu’ils sont les seuls à détenir cette vérité et que le reste du monde est jaloux et va donc tout faire pour leur mettre des bâtons dans les roues. « Il est donc très compliqué de travailler avec la raison », observe Dounia Bouzar.
Une madeleine de Proust : un gâteau, un parfum. L’anthropologue se base donc sur les sensations, pour sortir les adolescents de l’endoctrinement. Un des outils qui fonctionnent le mieux aujourd’hui, consiste à raviver ce qu’elle appelle le « contour identitaire de l’adolescent, c’est-à-dire l’identité du jeune, son histoire familiale ». Cette identité a été détruite par le discours radical, jusqu’à pousser certains ados à détruire des photos de famille.
« Notre travail est donc d’émettre une faille dans cet endoctrinement en fabriquant, par exemple, le gâteau d’anniversaire que son ado préférait quand il était petit », illustre la spécialiste. « Un peu comme la madeleine de Proust, l’enfant va se souvenir des sensations vécues avec ses parents dans sa vie première. Et de cette manière il retrouve quelque chose de son histoire et de son identité », poursuit-elle. Autre exemple, Dounia Bouzar conseille aux mamans de garder le même parfum que celui qu’elle portait quand l’ado était petit. Cela permet encore une fois à l’ado, par la sensation, de retrouver des souvenirs et de reconstruire son identité.
>> A lire également : Comment l’Arabie Saoudite « déradicalise » ses djihadistes ?
Victimes ou coupables ? S’il faut aider ces adolescents en déroute à retrouver le chemin de la raison et à réintégrer leur environnement familial, il est également primordial de les mettre devant leurs responsabilités. « Outre les outils affectifs, il y a quand même un principe de rappel à la réalité, car ces jeunes ont voulu fuir le monde réel », rappelle l’ancienne éducatrice. Mais le phénomène des jeunes djihadistes est nouveau en France et les outils n’existent pas encore. « Il va falloir les créer. Nous sommes en pleine réflexion. Sans stigmatiser ces jeunes, il faut reconstruire un rapport à la loi et poser des limites », analyse Dounia Bouzar. Pour elle, il est important que le jeune comprenne « qu’il n’est pas parti acheter une baguette, mais qu’il a été happé par un réseau dangereux dans lequel il y a des morts et de vraies explosions. L’ado doit comprendre que cela la loi ne le permet pas, qu’il s’agit de la vraie vie et non pas d’un espace virtuel sur internet ».
Un rappel à la réalité. D’ailleurs, dans 99% des cas, les jeunes embrigadés par des groupes radicaux, l’ont été sur le web. Dounia Bouzar conseille donc aux parents d’interdire, pendant un moment, l’accès à internet. « C’est une stratégie éducative obligatoire. Quand un enfant s’échappe de la réalité par un moyen virtuel, alors il faut le couper », estime la spécialiste. « Couper internet à la maison permet, symboliquement, de dire à son enfant que la réalité est ici, maintenant, à la maison et pas sur le web », ajoute-t-elle.
Retrouver sa place parmi les autres. Pour l’anthropologue, le retour à la vraie vie se construit aussi par un rappel constant à la réalité « qui peut passer par l’implication de l’ado dans les tâches familiales. L’essentiel est qu’il retrouve sa place au sein de la famille et de la société dans laquelle il évolue ». Et puis une fois les repères reconstruits, l’adolescent va devoir accepter de ne plus être tout puissant, de ne plus être un héro, un élu, contrairement à ce que lui assurait le réseau dans lequel il a été pris. Dounia Bouzar prévient : c’est un travail long et difficile. « Il faut savoir dire non. Il faut accepter parfois de se faire détester de son enfant, tout en lui expliquant qu’un jour, il vous remerciera ».
VU D’AILLEURS -Comment l’Arabie Saoudite « déradicalise » ses djihadistes ?
ZOOM -Comment le djihad recrute sur le web
ITW E1 – Ados et djihad : quels sont les signes avant-coureurs ?
INFO E1 – Djihad : les deux jeunes Toulousains retrouvés en Turquie
RÉCIT – Djihad en Syrie : l’épopée des deux ados
INTERVIEW – Les djihadistes européens « sont mal vus par le peuple syrien »
ZOOM -Quelles suites judiciaires pour les deux ados djihadistes ?
Comment le djihad recrute sur le web
Par Maud Descamps
Publié le 8 janvier 2014 à 18h18Mis à jour le 17 janvier 2014 à 18h27
CYBERDJIHAD – Environ 200 Français sont partis faire la « guerre sainte » en Syrie, recrutés via les réseaux sociaux.
L’info. Depuis plusieurs mois, des Français s’envolent pour la Turquieoù ils franchissent la frontière syrienne dans le but d’aller participer au djihad. Dernier exemple en date : deux adolescents de quinze ans, encore scolarisés à Toulouse, ont tout quitté pour aller se battre.
Ils seraient au total entre 200 et 240 à se battre contre l’armée syrienne, selon les services de renseignements français. Ces jeunes, à peine majeurs, sont recrutés par d’autres apprentis djihadistes, déjà sur place, qui délaissent les traditionnels forums internet et se tournent vers les réseaux sociaux pour trouver des candidats.
>> Europe1.fr revient sur les méthodes utilisées sur Facebook, Twitter ou encore Instagram pour recruter ces futurs terroristes, aux quatre coins du monde.
Barbe, treillis et statuts Facebook. Sur la dernière photo qu’il a postée sur page Facebook, Sadem* pose fièrement avec une mitrailleuse à la main. A côté de ce jeune Français, cinq autres hommes posent tout sourire, vêtus de treillis, devant un pick-up rempli d’armes de guerre. Sur son profil des photos d’Oussama Ben Laden et de combattants partis en Syrie inondent le fil d’actualité. Comme lui, des dizaines de jeunes Français, âgés de 18 à 25 ans, se mettent en scène, barbus, vêtus de treillis et arme à la main, pour prôner la guerre sainte sur les réseaux sociaux.
« Djihadigram ». Instagram n’échappe pas non plus au phénomène, rapporte le site d’information Slate, s’appuyant sur une étude de l’Institut de recherche des médias du Moyen-Orient (Memri). Selon ce centre de recherches israélien, de nombreux recruteurs postent des photos, voir même des « selfies » pour glorifier la guerre sainte. Du pain béni pour les recruteurs « professionnels » qui voient leurs apprentis djihadistes faire de la publicité à moindre coût pour de futurs candidats.
Le djihad en touriste. Grâce à ces réseaux sociaux, c’est une image presque « fun » du djihad qui est véhiculée. Au moment des chutes de neige sur Alep en fin d’année, Frantz Glasman, chercheur et spécialiste de la Syrie, a même vu des jeunes djihadistes poster des photos d’eux en train de faire des batailles de boules de neige. Une image presque « carte postale » très déconnectée de la réalité rapportée par les photographes de presse sur le front.
« Venez, c’est très simple ». Sur certains profils ou comptes, des invitations sont lancées aux « amis », en France, à venir s’installer en Syrie, a pu constater le chercheur. « Sur les pages Facebook que j’ai consultées, il y a des appels très clairs à rejoindre les rangs des djihadistes », raconte-il à Europe1.fr. « Certains expliquent même que c’est très simple car tout est pris en compte par les groupes armés : le logement, la nourriture », ajoute-t-il. Bref, de vraies annonces pour un « tourisme du djihad « .
La Syrie, ce pays juste à côté. Outre le côté facile et la dédramatisation de ce qui se joue en réalité sur le front syrien, la proximité géographique de la Syrie avec la France joue en la faveur des recruteurs. « Le recrutement des jeunes djihadistes est renforcé par la facilité de se rendre en Syrie », souligne Frantz Glasman. En seulement trois heures d’avion ces jeunes hommes se rendent en Turquie, où il n’est pas nécessaire d’avoir de visa, puis ils franchissent, avec l’aide d’un passeur, la frontière syrienne. « Cette frontière est ou était jusqu’à très récemment une vraie passoire », observe Frantz Glasman. Ce dernier ajoute que jusqu’à fin novembre, il pouvait lire chaque semaine des messages louant la facilité d’effectuer ce « voyage ».
La désillusion sur le terrain. « Au départ la plupart des jeunes Français qui partent en Syrie le font pour venir en aide au peuple syrien qui veut se libérer de Bachar al-Assad », souligne Jean-Pierre Filiu, spécialiste de l’islam contemporain, interrogé par Europe 1. Mais une fois sur place, c’est la désillusion. Les apprentis djihadistes découvrent une population qui ne veut pas de la charia et sont cantonnés aux tâches les plus ingrates. « Il y a évidemment une très grande part de manipulation des recruteurs sur ces jeunes adultes qui ont une méconnaissance de l’islam, observe Jean-Pierre Filiu.
Le fossé entre « anciens » et « digital native » djihadistes. Pourtant si les réseaux sociaux permettent de donner une nouvelle image du djihad, l’utilisation des réseaux sociaux – par les « digital natives », ceux qui sont nés à l’heure des nouvelles technologies – ne fait pas l’unanimité. Les « anciens » prônent plutôt une utilisation des forums sur internet plutôt que des réseaux sociaux auxquels ils reprochent d’être trop grand public, comme l’a expliqué un idéologue d’Al-Qaïda, Abou Saad al-Amili, dans un essai sur le djihadisme posté en ligne, rappelle Slate. Et là encore, la propagande et le recrutement sont très bien organisés.
Une agence de recrutement et de propagande. Il existe d’ailleurs une plateforme en particulier (que nous choisissons de ne pas nommer) par laquelle transitent un grand nombre de messages et d’appels aux candidatures. Ce site se présente comme « une agence de communication qui travaille pour différentes organisations terroristes dont Al-Qaïda ». On y trouve, par exemple, des logiciels de cryptage de messages pour smartphones et tous autres « services » utiles au djihad.
Des sites souterrains surveillés. Que ce soit en France ou aux Etats-Unis, ces plateformes de recrutement sont évidemment passées au crible par les enquêteurs. En France, ce sont les agents de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) qui sont chargés d’enquêter et de surveiller le web pour tenter de repérer, à la fois des recruteurs, mais aussi des candidats au djihad.
Ces plateformes concentrent une forte population d’internautes susceptibles d’être enrôlés, là où les réseaux sociaux sont constitués de millions de profils éparpillés un peu partout sur la toile. Alors plutôt que les fermer définitivement, les enquêteurs s’en servent pour surveiller ce qui s’y dit. « On a vu des forums ouverts puis fermés puis rouverts après quelques semaines », explique Frantz Glasman. Mais la jeune génération de djihadistes n’est pas dupe et plus « geek » que les « anciens ». C’est donc pour cette raison qu’ils préfèrent éviter ces sites et forums et se tournent vers les réseaux sociaux plus difficiles à surveiller.
* Le nom a été changé par souci d’anonymat.
Ados tentés par le djihad : quels sont les signes avant-coureurs?
Par Marc-Antoine Bindler avec Mickaël Frison
Publié le 28 janvier 2014 à 12h44Mis à jour le 28 janvier 2014 à 12h56
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Dounia Bouzar, anthropologue des faits religieux, auteur du livre « Désamorcer l’islam radical – Ces dérives sectaires qui défigurent l’Islam ». © Reuters
INTERVIEW E1 – Dounia Bouzar, anthropologue des faits religieux, évoque le nouveau danger des jeunes Français tentés par la « guerre sainte ».
SYRIE. Lundi, deux mineurs toulousains partis vers la Syrie pour y mener le djihad ont été récupérés à la frontière Turque. Au total, il serait 12. Douze mineurs français qui « se sont rendus en Syrie ou ont voulu s’y rendre », avait indiqué Manuel Valls, sur Europe 1, le 19 janvier. « Le phénomène s’est accéléré au cours de ces dernières semaines, depuis la fin de l’année 2013, puisque nous avons recensé six mineurs qui ont manifesté leur volonté de s’y rendre », avait alors précisé le ministre de l’Intérieur.
>> Comment réagir face à ce phénomène ? Comment prévenir la radicalisation des jeunes Français ?
Dounia Bouzar, auteur du livre Désamorcer l’islam radical – Ces dérives sectaires qui défigurent l’Islam, ancienne chargée d’étude à la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), nous donne les clefs, au micro d’Europe 1, pour mieux comprendre ce mal nouveau.
Combien de jeunes partent faire le djihad ? « Les autorités ne sont pas d’accord sur ce nombre. Quand on travaille sur ce sujet, on n’attend pas que les jeunes mettent en acte leur endoctrinement avec un passage en Syrie. On essaie de travailler quand ils sont en France. Depuis la sortie de mon livre, beaucoup de parents mettent des mots sur les difficultés qu’ils ressentent. La difficulté, quand les familles ne sont pas de référence arabo-musulmane, c’est qu’elles ne réagissent pas toujours à temps, ne discernent pas toujours si c’est une simple conversion à l’islam ou un endoctrinement sectaire radical ».
Quels sont les signes d’une telle radicalisation ? « Les signes sont très simples. Ils sont inquiétants dès que le discours religieux met le jeune en situation d’auto-exclusion et d’exclusion des autres : ne plus vouloir aller à l’école, dire que ça fait partie d’un monde en déclin, ne plus vouloir manger avec les autres, ne plus fréquenter ses anciens amis, se couper de tous ceux qui ont participé à sa socialisation comme l’instituteur, les copains, ou la famille. La rupture familiale est le dernier indicateur. Il ne s’agit pas de se dire qu »’il est trop musulman’ mais de faire le bon diagnostic. Il faut comprendre qu’il y a un endoctrinement sectaire et ne pas banaliser cette rupture en croyant avoir affaire à une crise d’ado ».
Comment les fondamentalistes réussissent à toucher les jeunes ? « 99% de l’endoctrinement passe par internet. Les jeunes ne se rencontrent que lorsque l’endoctrinement a commencé. On leur dit qu’ils ne sont pas bien dans leur corps, qu’ils ont des échecs et des conflits familiaux. On leur dit que ce mal-être est un signe, celui que Dieu l’a élu pour faire partie d’un groupe supérieur qui va sauver le monde. On inverse ce sentiment de malaise en l’interprétant comme le signe d’une mission, en faisant de ce jeune un héros pour sauver le monde du déclin. Il y a ensuite toutes les techniques de dérive sectaire : perte d’identité, perte de contour identitaire, prendre l’identité du groupe, mimétisme, hypnose ».
Fondamentalisme : « S’affoler dès qu’il y a… par Europe1fr
Est-ce un échec de la République de les voir se faire embrigader ? « Oui, clairement. Je ne parle pas d’échec mais si on ne se met pas autour d’une table pour travailler sur les indicateurs qui séparent de manière claire l’islam et le radicalisme… Les élus et les institutions doivent donner des grilles de lecture à la police, aux professeurs, aux parents. Il ne faut pas que les interlocuteurs des jeunes ne banalisent des comportements en les adjugeant à l’islam mais qu’ils s’en alertent ».
Les professeurs doivent-ils prendre les choses en main ? « Les professeurs doivent être formés. Arracher une affiche en disant que sa religion empêche de voir une silhouette humaine, ce n’est pas le produit d’une religion mais ça révèle quelque chose : il faut parler au jeune, comme s’il était non-musulman, s’intéresser à lui et lui faire remarquer que, non, ce n’est pas un produit religieux, ne pas valider ce qu’il dit comme si c’était de l’islam. C’est ce qu’on a tendance à faire ».
L’Arabie Saoudite « déradicalise » ses djihadistes
Par Maud Descamps
Publié le 4 février 2014 à 11h42Mis à jour le 4 février 2014 à 19h30
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Dans des centres spécialisés, ils suivent une réhabilitation. Un modèle pour la France ? © REUTERS/PHOTO D’ILLUSTRATION
VU D’AILLEURS – Dans des centres spécialisés, ils suivent une réhabilitation. Un modèle pour la France ?
Cours d’informatique, de religion ou encore de sport. Les pensionnaires du centre Mohammed Ben Nayef, dans la banlieue de Ryad, ont le choix des activités. Tous font partie du programme de réhabilitation Munasaha, destiné aux anciens terroristes qui désirent s’offrir une nouvelle vie.
>> Une méthode qui pourrait intéresser certains pays européens, où des adultes et des adolescents, de plus en plus nombreux, partent faire le djihad en Syrie. selon les dernières estimations ils seraient 200 à 240 au total à se battre.
Un programme de « déradicalisation ». C’est après le choc des attentats du 11-Septembre, que le gouvernement saoudien a décidé de s’attaquer au terrorisme qui trouve alors nombre de candidats au djihad sur son territoire. Depuis 2004, l’Arabie Saoudite propose à d’anciens terroristes, qui ont envie de se repentir, de suivre ce programme de « déradicalisation ». Parmi eux figurent notamment des ex-détenus de Guantanamo.
Les « pensionnaires » y suivent un programme sur plusieurs semaines ou plusieurs mois, sorte de « délavage » de cerveau – destiné à leur donner les clefs pour retrouver une vie normale. Les cours sont dispensés par des oulémas – des personnes qui ont étudié le Coran – mais aussi par des repentis qui sont passés par l’un de ces centres auparavant.
« Aujourd’hui, il est marié et a retrouvé un emploi ». Clarence Rodriguez, journaliste française installée à Ryad, a pu rencontrer il y a quelques mois un de ces anciens pensionnaires. L’homme, spécialiste en électronique, travaillait pour Al-Qaïda et était chargé de fabriquer des détonateurs pour les attentats suicides. « Aujourd’hui, il est marié et a retrouvé un emploi comme électricien », raconte-t-elle à Europe1.fr. « Mais il est difficile de savoir à quel point le programme est efficace », ajoute-t-elle.
Si les autorités saoudiennes se sont targuées, pendant un moment, d’avoir un taux de réussite de 100%, l’image du programme Munasaha a été fortement écornée quand un des élèves, Saïd al-Chehri, a quitté le programme pour le Yémen et est devenu le numéro deux d’Al Qaïda dans la Péninsule arabique. L’homme a, depuis, été tué par l’armée yéménite.
Pas vraiment des volontaires. Les échecs rencontrés dans le programme pourraient s’expliquer, selon Adam Coogle, chercheur pourHuman Rights Watch et contacté par Europe1.fr, par le fait que « certains candidats ne sont pas vraiment volontaires ».
« Des détenus qui n’ont pas encore été jugés sont envoyés dans ces centres afin d’échapper à un procès », raconte le chercheur. Et ce degré de motivation, essentiel pour sortir de l’endoctrinement d’Al-Qaïda, n’est évidemment pas le même entre un volontaire et un homme qui essaie d’échapper à une peine de prison.
Un modèle pour la France ? Certains pays comme l’Indonésie ou encore le Yémen ont suivi ce modèle saoudien et ouvert des centres de « déradicalisation ». Au Pakistan, des psychologues travaillent, de leur côté, avec d’anciens terroristes pour les aider à se réintégrer à la société. Une méthode qui séduit davantage la psychologue Dounia Bouzar, que celle pratiquée par Ryad.
« Je ne pense pas que le modèle saoudien soit envisageable en France », prévient la psychologue interrogée par Europe1.fr. « L’Arabie Saoudite remplace un discours radical [celui des groupes islamistes] par un discours religieux [donné par les oulémas]. Or, en France, les jeunes gens qui partent ou qui seraient tentés de partir faire le djihad, ne sont pas en quête de religion, ils sont en quête d’héroïsme », explique la spécialiste, auteure de Désamorcer l’islam radical. Ces dérives sectaires qui défigurent l’islam.
Néanmoins, la psychologue ne rejette pas le concept des centres de « déradicalisation ». En revanche, l’enseignement ou plutôt le suivi, « devraient être assurés par des psychologues », prévient-elle. « Les jeunes Français qui se sont radicalisés sont sous une emprise mentale. Il s’agit d’une dérive sectaire et non de religion », conclut-elle.
source : Par Maud Descamps
Publié le 5 février 2014 à 13h00 Mis à jour le 5 février 2014 à 16h21
http://www.europe1.fr/International/Les-ados-et-le-djihad-comment-les-sortir-de-la-1792135/