Le Renouveau charismatique reprend les recettes pentecôtistes pour attirer les fidèles qui désertent l’Eglise.
Par Chantal RAYES mercredi 27 juillet 2005 (Liberation – 06:00)
São Paulo de notre correspondante

Marcelo Rossi entre en scène sous un tonnerre d’applaudissements. Les fans en délire, la batterie, la puissante sono : du concert pop, tout y est ou presque. Pourtant, c’est une messe qui commence ici dans l’immense hangar du Terço Bizantino. Une messe pas comme les autres, célébrée par un prêtre qui l’est encore moins. A 38 ans, Marcelo Rossi est une star au Brésil. Ex-prof de gym devenu prêtre, il est également chanteur et acteur. Ses albums de cantiques se vendent par millions. Son film sur la Vierge Marie a connu un succès spectaculaire. Et chacune de ses «show-messes» draine des dizaines de milliers de fidèles. Le père Marcelo est la figure de proue du Renouveau charismatique, mouvement encouragé par Jean Paul II par lequel l’Eglise du Brésil tente d’enrayer le déclin du catholicisme, au profit du pentecôtisme.  

Si le Brésil reste le pays qui compte le plus de catholiques au monde (125 millions), ceux-ci ne représentent plus, selon le recensement de 2000, que 73,8 % de la population, et seuls 12 % d’entre eux se disent pratiquants. En revanche, le nombre des évangéliques a quintuplé en trente ans ­ pour atteindre 15,4 % des Brésiliens ­, principalement grâce à l’essor des Eglises pentecôtistes. Alors que l’Eglise catholique souffre d’une pénurie de prêtres, rebutés par le célibat et la longueur de la formation, les pentecôtistes, eux, forment des pasteurs à tour de bras. Ils doivent leur popularité, largement concentrée dans les milieux pauvres, en expliquant qu’ils soulagent les souffrances du quotidien. Ils prônent une «théologie de la prospérité», qui présente le succès financier comme conforme à la volonté de Dieu.

En face, l’Eglise catholique, qui relègue le salut à l’au-delà et prône le renoncement, ne fait plus le poids. Devant ce déclin, elle reprend à son compte la recette pentecôtiste, comme le recours aux médias pour recruter les fidèles. En première ligne dans cette contre-offensive, Marcelo Rossi est partout : à la télé, à la radio, sur Internet, chez les disquaires, en MP3, au cinéma… Le Renouveau charismatique reprend aussi au pentecôtisme le chant, qui fait de la messe une «insurrection émotionnelle» ­ selon le chercheur André Corten ­, et le pouvoir guérisseur du Saint-Esprit. Le mouvement répond également à la théologie de la libération, à laquelle une partie de l’Eglise impute le déclin du catholicisme. «Les prêtres liés à cette doctrine ont trop insisté sur le social, voire le politique, au détriment de leur mission sacerdotale, dit le père Marcelo. Or les gens veulent aussi la parole de Dieu», et c’est chez les évangéliques qu’ils l’ont trouvée.

Exorcisme. Implanté dans la plupart des diocèses du Brésil, le Renouveau charismatique connaît un réel succès. Le mouvement compte aujourd’hui plusieurs millions de fidèles, dont beaucoup de jeunes. «S’il ne parvient pas à enrayer le déclin auquel est vouée toute religion hégémonique, dans un contexte de pluralité religieuse, il aide à le contenir», note le sociologue Alexandre Fonseca. Ses messes festives mais pleines de ferveur, véritables séances d’exorcisme sur fond de karaoké, réconcilient bien des catholiques avec la religion.

Au Terço Bizantino, ils sont 20 000, de tous âges et de tous milieux, venus écouter le père Marcelo. Deux heures durant, ils vont implorer le Seigneur de les «libérer» de leurs péchés. Comme beaucoup ici, Renato, 45 ans, agent de sécurité, n’allait plus à la messe depuis des années, «sauf pour les mariages et les enterrements». «La messe traditionnelle est trop figée, dit-il. Ici, le culte est allègre, on peut participer, se livrer au Seigneur, sentir sa présence.» Des dizaines de milliers de bras s’élancent vers le ciel. «Hey, hey, hey ! Jésus est notre roi !» scande la foule. La chaleur est écrasante. Au bord de la syncope, une femme enceinte est emmenée à l’infirmerie. Les pieds battent la cadence : «Alléluia ! Alléluia !» «Transpirer, c’est bon ou c’est mauvais ?» clame le prêtre au micro. «C’est bon !» crient les fidèles. «Oui, ça évacue les toxines, reprend Marcelo. Et les toxines, elles sont dans notre coeur. C’est la jalousie, le vice, la mauvaise humeur et tant d’autres choses qu’il faut éliminer !» Il entonne : «Seigneur ! Pardonne ces péchés ! Guéris cette douleur !» «A vous maintenant !» lance-t-il en tendant le micro à l’assistance. Les fidèles reprennent en choeur.

Le pouvoir divin de guérison est un facteur clé du succès du Renouveau charismatique. Sur le site Internet du père Marcelo (http://www.padremarcelorossi.org.br), il y a des prières pour soigner «troubles mentaux» ou «habitudes compulsives», telles que «mentir, se droguer ou se ronger les ongles». «J’ai commencé à assister à cette messe il y a sept ans, parce que j’ai eu des problèmes d’argent, de santé et de couple, raconte Lucilha, 35 ans, opératrice de télémarketing. Depuis, ils sont tous résolus, grâce à Dieu.» Auserinha, couturière, renchérit : «Moi, je ne prends plus de calmants.» Elle a découvert le père Marcelo par son programme quotidien sur Radio Globo. Depuis, elle a même réussi à ramener au bercail son mari, qui était devenu évangélique.

Ici, beaucoup ont déjà assisté à un culte évangélique. «Juste pour comparer, dit Flavia, 23 ans, femme de ménage. Mais je n’ai pas aimé. Ils crient trop fort.» De toute façon, elle ne songerait jamais à changer de religion. «Je suis catholique de naissance», justifie la jeune femme, venue «chasser le cafard et remercier le Seigneur pour les grâces rendues». Ayla, 16 ans, elle, vient «pour Dieu», tout simplement. Et tant pis si l’Eglise interdit encore le préservatif : «Chacun a le droit de penser ce qu’il veut, non ?»

Carnaval. A la fin de la messe, les gens s’avancent vers la scène, tendant des photos de proches, des documents de travail ­ pour que Dieu protège leur emploi ­ et des cierges à l’effigie de saints. C’est l’heure de la bénédiction. Le père Marcelo attrape un seau en plastique rempli d’eau bénite et le déverse sur l’assistance. Un geste qu’il répète plusieurs fois. Les fidèles rient comme des gosses. Soudain, ça vire au carnaval. La batterie s’emballe, les gens entonnent un air populaire. La show-messe s’achève. Antonia s’en va, «plus légère». Et Renato, «guéri».