[http://www.lemonde.fr/planete/article/2010/03/25/les-climato-sceptiques-americains-a-l-assaut-des-ecoles_1324284_3244.html->http://www.lemonde.fr/planete/article/2010/03/25/les-climato-sceptiques-americains-a-l-assaut-des-ecoles_1324284_3244.html]
LE MONDE | Article paru dans l’édition du 26.03.10
Aux Etats-Unis, les climato-sceptiques mènent la bataille jusque dans les salles de classe. Après la Louisiane en 2008, le Texas en 2009, le Dakota du Sud vient de voter, début mars, une résolution « pressant » les écoles d’adopter « un enseignement équilibré » de la question climatique.
« Attendu que la Terre s’est refroidie ces huit dernières années en dépit de petites augmentations de dioxyde de carbone d’origine humaine, attendu qu’il n’y a pas de certitude de réchauffement dans la troposphère, attendu que les données climatologiques montrent que la Terre a connu des périodes beaucoup plus chaudes qu’aujourd’hui », l’assemblée des représentants de l’Etat estime que « le réchauffement climatique est une théorie scientifique et non un fait avéré ». Les sénateurs républicains à l’origine de ce texte appuient leur argumentaire sur une « pétition » signée « par 31 000 scientifiques américains et adressée au président Obama » indiquant « qu’il n’existe aucune preuve scientifique que les émissions de dioxyde de carbone, ou de méthane ou d’autres gaz à effet de serre étaient responsables ou seront responsables, dans un futur prévisible, d’un réchauffement catastrophique ou d’un dérèglement du climat ». La validité de cette pétition est mise en cause par nombre d’experts du climat.
Après l’offensive créationniste – qui nie la théorie de l’évolution -, la guerre du climat ? Pour un grand nombre de scientifiques américains, il ne fait pas de doute que les climato-sceptiques appliquent la même stratégie que les créationnistes, visant à relativiser le poids de la science, en la discréditant. La campagne actuelle « distrait le public des conclusions scientifiques de base sur lesquelles la communauté scientifique s’accorde », analyse Alan Leshner, directeur général de l’American Association for the Advancement of Science (AAAS), la plus grande société savante au monde, qui édite notamment la revue Science. « Tout ce que le public retient, c’est l’hystérie et la controverse, ajoute ce neurobiologiste. Et cela ternit l’image de la science climatique et de la science en général. Il y a ainsi des parallèles très clairs avec le mouvement créationniste qui est en train de récupérer cette campagne à son profit. »
« Le mouvement de l’Intelligent Design (dessein intelligent) utilise ce qui est en train de se produire pour créer de la défiance autour des scientifiques et faire croire au public que la démarche scientifique est corrompue », renchérit Eileen Claussen, directrice du Pew Research Center sur le changement climatique.
Rien de tel en France, où la question climatique n’est pourtant pas absente des programmes scolaires, grâce notamment à un ministre de l’éducation nationale nommé… Claude Allègre. Estimant nécessaire d’ouvrir les lycéens aux questions liant sciences et société, l’actuel pourfendeur du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) avait fait introduire, en 2000, dans les programmes de seconde de sciences et vie de la Terre (SVT), plusieurs modules dont un sur « la planète Terre et son environnement ».
Son objectif, précisent les textes officiels, doit donner l’occasion « d’avoir un avis sur des enjeux importants du monde futur (effet de serre, dispersion des polluants par l’atmosphère et les océans, stockage des déchets, etc.) ». En tant que tel, le réchauffement climatique est étudié en terminale scientifique par les élèves qui optent pour l’enseignement de spécialité SVT. Au collège, les enseignants l’abordent le plus souvent en 5e et en 3e, en histoire et géographie.
Même l’école primaire n’est pas en reste. L’association La Main à la pâte, animée par Pierre Léna, de l’Académie des sciences, qui milite pour un apprentissage vivant des sciences, a conçu un programme intitulé « Le climat, ma planète et moi », qui suppose une vingtaine de séances en classe. Lancé il y a deux ans, il a été développé dans 11 000 classes, de CM2 en majorité.
Les classes restent apparemment étanches à la controverse. « Il nous est arrivé de rencontrer des difficultés avec la théorie de l’évolution ou sur la sexualité. Rien de ce genre sur le climat », assure Dominique Rojat, inspecteur général de SVT. D’où la sérénité affichée par la hiérarchie de l’éducation nationale : « Le doute est à la base du savoir scientifique », ajoute M. Rojat.
Loin de fuir le débat, les professeurs de l’Hexagone en seraient même friands. « C’est une belle question de développement durable dans ces trois dimensions, environnemental, économique et social ; elle permet d’exercer un esprit critique et illustre le principe de précaution », résume Michel Hagnerelle, inspecteur général d’histoire et de géographie.
Sur le terrain, la perception est peut-être un peu moins sereine. Professeur de SVT au collège et auteur d’une thèse sur « les logiques d’engagement d’enseignants face au réchauffement climatique », Benoît Urgelli juge le sujet « difficile » à enseigner tant il est à la fois « complexe, politique et médiatisé ». La façon dont on demande aux enseignants de l’aborder lui paraît un peu… lisse.
Brigitte Perucca avec Stéphane Foucart (à Washington)