Le dernier recours de ceux qui s’imaginent habités par le “mal” est l’exorciste. L’un d’eux se confie.
Derrière ses fines lunettes et sa barbe poivre et sel, le père Daniel passerait pour un tranquille retraité de l’école de la République. Pourtant à 70 ans, cet homme à la voix posée exerce toujours son ministère. Un ministère un peu à part : depuis 11 ans il est l’exorciste d’un des diocèses de la vallée du Rhône.

Depuis le Moyen-Âge, la littérature relayée par le cinéma d’épouvante charrie une image inquiétante de l’exorciste. Un chasseur de démons aux rites mystérieux, surnaturels, à mi-chemin entre religion et sorcellerie, entre Dieu et diable.

Le père Daniel est à cent lieues de cette caricature. Ni soutane, ni regard suspicieux. Seul signe distinctif, une croix qui balance sur un gros pull d’hiver. Le prêtre ne chôme pas : « Je reçois de plus en plus d’appels que me répercute le diocèse, je rencontre de plus en plus de gens qui s’estiment en proie à une force extérieure ». L’Église compte un prêtre exorciste par diocèse, plusieurs dans les grandes villes. Leur nombre ne cesse de croître. Rassemblés cette semaine à Lyon, les exorcistes de France suivent des conférences et confrontent leurs expériences dans des ateliers. Comme n’importe quels spécialistes réunis en congrès annuel.

Leurs « clients », ceux qui s’imaginent « possédés », viennent de tous les horizons, de toutes les classes sociales. Sans profil type : des gens âgés parfois, des plus jeunes souvent, des couples avec enfants, autant d’hommes que de femmes. Leurs seuls points communs : « Ils sont croyants, en détresse et isolés ».

Les “possédés” des champs et les “possédés” des villes
Leur isolement n’est pas géographique, les « possédés » par le démon ne se recrutent plus dans les campagnes reculées. Ils vivent désormais au cœur des villes : « La société moderne pousse à l’individualisme, à l’isolement même au milieu de la foule » constate le père Daniel.

En général, l’exorciste reçoit à son bureau en ville : « Après avoir parlé, on va à l’oratoire pour prononcer la prière de délivrance ». Mais dans les cas de « maisons hantées », de bruits angoissants dans les greniers ou de fantômes dans les couloirs, le père Daniel se déplace : « J’écoute, je fais appel au bon sens, à la logique, on prie et je bénis l’habitation. Je conjugue les deux aspects, spirituel et psychologique et c’est souvent suffisant pour apaiser les gens ».

« L’Église nous demande d’être prudents » explique le père Daniel « il ne s’agit pas de croire trop vite à l’intervention du diable, il faut d’abord s’assurer qu’il n’y a pas de problème psychique ». « Surtout, je ne dois pas laisser penser que je suis un magicien ». Son premier travail est d’écouter : ceux à qui on a jeté un sort, qui entendent des voix, chez qui les objets se déplacent, ceux qui veulent à tout prix garder le contact avec un disparu au risque d’y perdre la raison, ceux qui se disent la cible de torrents d’insanités déversés par des visiteurs nocturnes. Il leur conseille alors de « faire un effort pour vous libérer vous-même ». Parfois « leur trouble relève de la maladie de la persécution, parfois d’addictions à l’alcool, à l’argent, au jeu ». « On peut être possédé par une part de soi-même » répète-t-il.

750 euros sur internet
Le père Daniel raconte avec sang-froid son premier grand exorcisme. Une femme prise de crises dévastatrices : « Chez elle, elle cassait tout sans raison ». Après que les médecins et les psychologues eurent baissé les bras, le père Daniel fut appelé à l’aide : « Cette femme ne disait pas un mot. J’ai allumé une bougie, pris un crucifix et j’ai commencé les prières. Là elle est entrée dans une crise effrayante. Pendant 20 minutes, il a fallu s’y mettre à trois pour la maîtriser. Puis elle s’est calmée et endormie. Je suis parti et je n’en ai plus entendu parler ». Le père Daniel n’assure pas qu’elle était habitée par le démon. Il ne dit pas le contraire non plus. Après tout Jésus fut le premier exorciste : « Dans la prière du baptême, dans le Notre-Père aussi, il y a une prière de délivrance » souligne-t-il.

Dans la majorité des cas, l’exorciste est confronté aux maux du siècle : « Les gens s’imaginent qu’une accumulation d’ennuis, graves ou anodins, relèvent du démon ». Sans compter les adeptes du spiritisme et des occultismes en tout genre : « Les gens qui font tourner les tables ou se livrent à des séances de sorcellerie ou de voyance ont la tentation de se tourner vers l’exorciste lorsqu’ils ne s’en sortent plus » constate le père Daniel « surtout que ces pratiques peuvent leur coûter une fortune ».

Parmi le peuple des « gens sans repères, à qui il arrive des choses », le père Daniel met à part les Antillais, les Africains, les Réunionnais : « Ils sont nombreux à me consulter, ils sont à la croisée des cultures et ça les déstabilise ».

En revanche sur internet, il en est qui ne perdent pas le nord : « En ce moment un site propose un exorcisme à distance. Mais avant, il faut envoyer un chèque de 750 euros » s’amuse le père Daniel.

source : http://www.ledauphine.com/societe/2014/01/29/les-confessions-d-un-exorciste
ledauphine.com
Jeudi 30 janvier 2014

Par Georges BOURQUARD |