Dans ce paysage, être qualifié de converti est rarement un compliment, au mieux le nouveau fidèle apparaît comme un exalté vivant sa foi de manière sauvage en marge de toute institution ecclésiale. Paradoxalement, cette méfiance est aussi de mise chez les croyants. Ces derniers ne devraient-ils pas se réjouir que de nouvelles forces les rejoignent ? Comme le remarque Marc-Olivier Padis dans son introduction : « les religions instituées (…) n’accueillent qu’avec prudence la “bonne nouvelle” de la propagation de la foi. (…) Dans tous les cas, les conversions dérangent les héritages historiques, les équilibres institutionnels, les expressions socialement acceptables de la conviction personnelle.» Le grand intérêt de ce dossier est d’être construit sur cette tension : comment l’institution rend-elle acceptable le choix d’un individu ?

L’article d’ouverture de Loïc Le Pape, sociologue et fin spécialiste des conversions, décrit les « efforts » que tous les convertis doivent faire pour « avouer leurs croyances », « les faire accepter » et, finalement, « justifier » leur décision. Ils apprennent à parler le langage de leur Église, à trouver les « bonnes motivations » et à démontrer leur volonté d’intégrer leur nouvelle communauté. Pour Loïc Le Pape, le rôle des institutions ecclésiales consiste donc à « recevoir l’émotion et la ferveur des convertis » pour « les transformer en une routine ». « Les Églises accueillent l’exceptionnel, écrit-il, et imposent du banal. »

Dans la tradition philosophique, l’instant de la décision reste complexe à saisir, comme le rappelle l’article de Jean-Louis Schlegel. La conversion consiste alors à « se transformer soi-même, écrit-il, à entrer dans un effort de changement personnel plus ou moins radical, en empruntant les voies (…) qu’enseigne une tradition philosophique ou religieuse, un maître spirituel. » Les trois articles suivants décrivent les conversions chez les catholiques, les évangéliques et les musulmans. Au sein de l’Église catholique, Corinne Valasik, sociologue, décrit étape après étape, l’arrivée des convertis, ou catéchumènes, et la place centrale de leurs accompagnateurs dont la mission est « d’être un guide » pour « témoigner d’une vie chrétienne » et « montrer l’exemple ». « Le temps long du catéchuménat, voire du néophytat, précise Corinne Valasik, permet tout d’abord de sélectionner les nouveaux catholiques, de les intégrer dans un habitus commun » car l’enjeu reste de les intégrer dans une communauté qui bénéficie de ses nouvelles forces.

Attrait pour l’islam antérieur à l’islam de France

A l’opposé du parcours catholique, la conversion chez les protestants évangéliques minore la place des institutions ecclésiales « celles-ci apparaissant comme inessentielles au salut et à la vie spirituelle », explique Philippe Gonzales. Le sociologue détaille par le menu le site connaitredieu.com. Sous la forme d’une « lettre d’amour », le parcours file la métaphore filiale en passant de l’étape « l’histoire de Dieu, du monde et de toi » jusqu’au sacrifice de Jésus et à la prière de conversion. Philippe Gonzales inscrit cette quête de conversions de masse, donc de « réveil spirituel », dans l’histoire des prédicateurs du XVIIIème siècle et pointe le risque de la théocratie : « S’il subvertit les anciens rapports entre Église et Etat, l’idéal revivaliste réinscrit la conversion dans une vision politique du monde et caresse l’espoir d’un ordre fondé sur la religion. »

Enfin, l’article de Franck Frégosi, directeur de recherche au CNRS, dresse les portraits de plusieurs convertis à l’islam, hommes et femmes, loin des profils des engagés sur le front syrien du djihad. L’auteur rappelle que l’attrait pour l’islam est un phénomène antérieur à l’arrivée des premiers immigrés musulmans. Ainsi Ismaÿl Urbain (1881-1884), Guyanais, interprète militaire et haut fonctionnaire du ministère de la Guerre considère sa conversion comme un moyen de rapprocher l’Occident et l’Orient. Quant à Isabelle Eberhardt (1877-1904), “aventurière” et romancière, elle se passionne pour la culture arabe et se fait initier à la confrérie Qâdiriyya. Malgré son opposition à la politique française au Maroc, elle se lie d’amitié avec le maréchal Lyautey. En 2014, Franck Frégosi affirme au sujet de convertis à l’islam : « une part non négligeable, quoique difficilement quantifiable, opte pour une prudente discrétion ».

A leur façon, les convertis éprouvent leur liberté de conscience. Ce dossier de la revue Esprit, riche en exemples concrets, éclaire un phénomène spirituel trans-confessionnel et contemporain.

source : Fait-Religieux.com
Les convertis, avenir de la religion
Linda Caille |

http://fait-religieux.com/culture/livres/2014/05/15/les-convertis-avenir-de-la-religion