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Aux Etats-Unis, les opposants à la théorie de l’évolution gagnent du terrain en liant ce débat à celui du réchauffement climatique.

The New York Times /18.03.2010

Leslie Kaufman

Dans le Kentucky, un projet de loi présenté récemment veut inciter les professeurs des écoles à discuter “des points forts et des points faibles de théories scientifiques [comme] l’évolution, les origines de la vie, le réchauffement climatique et le clonage humain”. Ce texte, actuellement en cours d’examen, s’inspire d’initiatives encore plus radicales cherchant à fusionner ces questions.

L’an dernier, le Texas Board of Education a officiellement demandé aux enseignants de présenter tous les aspects du débat sur la théorie de l’évolution et le réchauffement climatique. En 2009, l’Oklahoma a présenté un projet de loi similaire, mais le texte n’est pas entré en vigueur. Dans le Dakota du Sud, une résolution appelant à un “enseignement impartial sur le réchauffement climatique dans les écoles publiques” a été adoptée au début du mois de mars. “Le dioxyde de carbone n’est pas un agent polluant mais une substance hautement profitable à toute la vie végétale”, affirment les auteurs de cette résolution.

Cette volonté de rattacher le débat sur la théorie de l’évolution à celui du réchauffement climatique fait partie d’une stratégie juridique. Les tribunaux américains ont en effet jugé que, en ne ciblant que la théorie de l’évolution, ses opposants violaient le principe de séparation de l’Eglise et de l’Etat. En incluant le réchauffement climatique comme objet de débat en classe, les opposants à la théorie de l’évolution peuvent donc arguer qu’ils ne font que militer pour la liberté d’enseignement. Ces groupes profitent aussi du scepticisme croissant de l’opinion pu­blique à l’égard du ré­chauf­fement climatique, notamment parmi les responsables politiques con­servateurs qui s’opposent à la limitation des émissions de gaz à effet de serre.

Les chrétiens évangéliques ne nient pas tous la réalité du réchauffement. Il existe même un mouvement écologique évangélique affirmant que, Dieu ayant créé la Terre, les hommes ont le devoir de la protéger. Il ne fait toutefois guère de doute que les discours des climatosceptiques ont plus de succès chez les conservateurs, notamment chrétiens. Une étude publiée en oc­tobre par le Pew Research Center for the People and the Press, un think tank américain, a révélé que les protestants évangéliques blancs constituaient le groupe le plus méfiant vis-à-vis des “preuves concrètes” liant le réchauffement climatique aux activités hu­maines. Parmi eux, seuls 23 % reconnaissaient la réalité de cette corrélation, tandis qu’ils sont 36 % dans l’ensemble de la population américaine.

Le révérend Jim Ball, directeur des programmes sur le climat de l’Evangelical Environmental Network, ré­seau de chrétiens acceptant l’interprétation scientifique du réchauffement climatique, explique que, pour bon nombre de détracteurs de celui-ci, “c’est faire preuve d’une terrible arrogance que de croire que des êtres humains puissent dérégler l’œuvre de Dieu”. “Ces gens ont déjà le sentiment que les scientifiques s’en prennent à leur foi et les considèrent comme des imbéciles, poursuit-il, ils sont donc d’autant plus réceptifs aux arguments des sceptiques.”

Tim Moore, représentant républicain du Kentucky et auteur du projet de loi sur l’enseignement des théories scientifiques à l’école, explique que sa décision n’a pas été motivée par des raisons religieuses, mais par ce qu’il considérait comme une distorsion du savoir scientifique. “On enseigne à nos enfants ces théories comme s’il s’agissait de faits avérés, déclare-t-il. Sur le réchauffement climatique, en particulier, il existe une opinion politiquement correcte qui domine dans les milieux enseignants et qui est très différente de la vérité scientifique.”

James Marston, directeur du bu­reau régional du Texas pour le Fonds de défense environnemental (EDF), ne cache pas son malaise. Le Texas est un Etat important doté d’un appareil décisionnel centralisé. Son verdict sur les programmes d’enseignement pourrait donc affecter le contenu des livres scolaires bien au-delà des limites de l’Etat. “Si un manuel ne consacre pas suffisamment d’importance aux arguments des climatosceptiques ou ne dit pas que la communauté scientifique est divisée sur le sujet, même si ce n’est pas vraiment le cas, il pourrait très bien être refusé, déclare Marston. C’est très inquiétant quand on pense aux futurs enseignements que vont recevoir les enfants de notre pays.”