CLICANOO.COM | Publié le 10 mai 2009

La triple évasion de Juliano Verbard restera à coup sûr dans l’histoire de la Réunion. D’abord parce que, dans notre île, c’est la première fois que des détenus parviennent à s’échapper par hélicoptère. Ensuite parce que, singularité de l’événement, il a été organisé par des membres d’une secte.

Comme on le voit en métropole, les évasions par hélicoptère appartiennent au milieu du grand banditisme. Mais il suffisait de se trouver hier au Palais de Justice de Champ-Fleuri pour réaliser que les membres du commando et leurs soutiens n’ont strictement rien à voir avec la catégorie suprême des voyous. Sans faire référence à son aspect physique, comment en effet raisonnablement classer Jean-René Gens comme un malfaiteur appartenant au grand banditisme ? L’enquête, les auditions, les témoignages, tout confirme qu’il faut rattacher cette affaire aux pires dérives d’un mouvement sectaire. Si l’on parle de commando, reconnaissons que ses membres n’obéissaient pas comme des militaires mais plutôt comme des disciplines devenus fanatiques.

{{“Je suis malheureux sans mon frère”}}

Embarqués dans l’hélicoptère, Juliano Verbard et les siens étaient prêts à mourir. On en veut pour preuve les menaces de Jean-René Gens de tout faire sauter avec la bouteille d’essence. Petit, sec, muet, cet ancien postier s’est transfiguré en plaçant une arme sur la tempe du pilote d’hélicoptère. Et que signifie la présence d’un sachet de “mort-aux-rats” dans un sac appartenant aux braqueurs tombé dans la cour de la prison ? Les investigations des gendarmes montreront peut-être que les fugitifs étaient tous prêts à se suicider en cas d’échec. La mort plutôt que la séparation, telle semble bien être la toile de fond de cette évasion Comment l’être humain bascule-t-il dans de telles dérives ? Comment l’endoctrinement peut-il aboutir à cette forme quasi suicidaire du passage à l’acte ? C’est aux spécialistes des sectes de répondre. Une chose est sûre, la triple évasion de Juliano Verbard, de Jean-Fabrice Michel et d’Alexin Jusmy Michel ne répond à aucune autre logique que celle de la dévotion totale au gourou de la secte “Coeur douloureux et immaculé de Marie”. Les investigations des gendarmes de la Section de recherches indiquent que les préparatifs de cette triple évasion ont démarré en décembre dernier. On pourrait dire aussi que l’incarcération de Juliano Verbard et de Jean-Fabrice Michel en août 2007 portait en elle les germes de cette prise d’assaut héliportée de la prison. On en veut pour preuve le projet avorté de mars 2008. Comment cette idée aussi folle a-t-elle pu naître dans l’esprit des membres de la secte ? Pour le comprendre, il faut savoir que dès leur incarcération, Juliano Verbard et Jean-Fabrice Michel ont envoyé presque tous les jours des courriers à leurs proches leur indiquant qu’il n’était pas possible qu’ils vivent l’un sans l’autre. “Je suis malheureux sans mon frère”, n’a cessé d’écrire Jean-Fabrice Michel. Répétées, martelées, ces phrases lancinantes, ces appels de détresse ont produit leur effet. Le fonctionnement de la secte était tel que les membres en liberté ne pouvaient pas ne pas intervenir pour libérer ceux qui étaient enfermés. Car tous sont convaincus depuis des années que Juliano Verbard et ses codétenus sont victimes d’un sombre complot judiciaire.

{{Graziella Michel au cœur de l’organisation}}

Symbole de cette détermination à toute épreuve, Graziella Michel, la sœur de Jean-Fabrice, a joué un rôle pivot. L’enquête montre qu’elle est l’une des principales organisatrices de l’évasion. Celle qui allait au parloir et qui faisait le lien entre les membres détenus et ceux qui étaient libres. Mère d’enfants en bas-âge, Graziella Michel a assumé cette fonction en sachant pertinemment que son époux, Yohan Daleton, ne serait pas dans l’hélicoptère. Entre le gourou et le père de ses enfants, elle a donc choisi. C’est elle aussi qui a mis en place et animé les réunions de préparation au projet à partir de décembre dernier. La mécanique s’est ensuite accélérée dans les quinze derniers jours avec les locations de maisons et d’appartement comme lieu de cache, les locations de véhicules et les achats d’armes.

{{Ils suivaient les recherches à la télé}}

Autre personnage symbole, Pierre-Rodolphe Cadet. Il n’était pas prévu qu’il soit intégré au groupe. Tout simplement parce qu’il était incarcéré à la prison du Port pour un autre braquage. Libéré une semaine plus tôt, ce jeune homme de 26 ans a naturellement rejoint la secte. Et en apprenant ce qui se préparait, il a exigé de faire partie du commando. Comme l’a relevé la vice-procureure Danielle Braud, sa détermination a failli provoquer le crash de l’appareil. À cause de lui et de sa bagarre avec le mécanicien, le pilote a dû lâcher les commandes quelques instants. Moins actif dans cette prise d’otage, Guillaume Maillot n’est pas le moins fanatique. Les membres les plus influents de la secte l’ont menacé de l’envoyer en Enfer s’il n’acceptait pas la mission libératrice. Le très pieux Guillaume Maillot a obéi. Dans cette répartition des rôles, il ne faut pas oublier comment cette emprise sectaire s’est aussi traduite par un engagement moral et financier. Des investigations font apparaître que Marie Cadet, la mère de Pierre-Rodolphe, a versé 6 500 euros à la secte. Notamment pour payer les locations. Et une autre femme du réseau Verbard a, fin septembre, ordonné le transfert de son compte de 7 500 euros vers les caisses de “Coeur douloureux et immaculé de Marie”. Une partie de cet argent a été retrouvée par les gendarmes durant leurs multiples perquisitions. Dans cette logique de la dévotion et de l’aveuglement, les membres de la secte ont été capables sans aucun problème, après le succès de l’opération, de vivre durant dix jours repliés sur eux-mêmes dans un studio du Moufia. On sait maintenant qu’ils suivaient de près les recherches des gendarmes par le biais des journaux et de la télé. En attendant que l’étau se desserre pour changer de cache. Comme si la traque menée par les gendarmes renforçait chaque jour leur conviction de servir et de protéger ce maître persécuté et innocent.

Jérôme Talpin