Le 20 novembre 1989, la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) était adoptée par l’ONU. Depuis, 193 États l’ont dûment ratifiée. Soit tous les États, sauf la Somalie et les États-Unis (lire p. 20). «Grâce à cette Convention, et pour la première fois dans l’histoire, l’enfant est reconnu comme sujet de droit et un être humain à part entière, par tous les États de la planète», souligne Alessandra Aula, présidente du Bureau international catholique de l’enfance (BICE), qui a été l’un de ses premiers défenseurs.
Certes, cette convention ne vient pas de nulle part. Elle s’enracine dans un courant de pensée qui, de Jean-Jacques Rousseau à Françoise Dolto, considère l’enfant comme une personne, douée d’une sensibilité, d’une parole, d’une pensée… Les deux guerres mondiales ont par ailleurs réveillé la conscience que l’enfant est un être vulnérable, et qu’il faut adapter les droits de l’homme à sa hauteur.
Dès 1924, la déclaration de Genève dispose que «l’humanité doit donner à l’enfant ce qu’elle a de meilleur», puis en 1959, la Déclaration des droits de l’enfant en pose les grands principes. Mais elle n’impose rien aux États. En 1979, la décision est prise de rédiger un texte juridiquement «contraignant». «Sa rédaction prendra une dizaine d’années et débouchera sur un texte plus ambitieux que le mandat initial, se souvient le magistrat Jean-Pierre Rosenczveig, l’un de ses plus ardents promoteurs (1). Un texte qui bouleverse la vision qu’on a de l’enfant : il n’est plus un objet fragile, propriété de sa famille, mais une personne et un citoyen, qui peut être acteur de ses droits. Il en donne aussi une vision globale, abordant sa filiation, ses liens avec ses parents, ses droits à la culture, à l’éducation, à la liberté d’expression, de religion…»
Pour surveiller sa mise en œuvre, la CIDE a institué à l’ONU un Comité des droits de l’enfant, particulièrement exigeant envers les Occidentaux chargés de montrer l’exemple. Vingt-cinq ans plus tard, où en est-on ? En bon élève, la France – comme d’autres pays – a mis progressivement son droit en harmonie avec la convention. Plusieurs articles du code civil ont été réécrits, avec pour centre de gravité «l’intérêt supérieur de l’enfant». Son droit «d’entretenir des relations personnelles avec ses deux parents» (art. 9-3) a abouti dès 1993 à la loi sur la double responsabilité parentale. «Mais il a fallu trois lois (la dernière date du 5 mars 2007) – et plusieurs rappels du comité –, déplore Jean-Pierre Rosenczveig, pour que l’enfant puisse être entendu en justice. Et son droit de connaître ses origines dépend encore du bon vouloir de ses parents.»
La CIDE a permis aussi d’améliorer la protection de l’enfance, avec dès les années 1990 la création d’observatoires de l’enfance en danger et une attention accrue aux abus sexuels sur mineurs. Mais «l’affaire Marina» a révélé que nos politiques de prévention étaient encore insuffisantes. On s’est efforcé aussi de donner davantage la parole aux enfants : dans les années 1990, des conseils municipaux d’enfants ont été créés, par exemple. Mais l’enthousiasme des débuts s’est un peu émoussé. Le Comité des droits de l’enfant s’est dit également préoccupé par le durcissement de la justice des mineurs (lire p. 16). Un congrès mondial sur ce sujet est prévu en janvier 2015.
Globalement, en vingt-cinq ans, «on a fait trois pas en avant, deux pas en arrière», résume Jean-Pierre Rosenczveig, qui a posté sur son blog, avec Dominique Youf en janvier dernier, un rapport intitulé «De nouveaux droits pour les enfants ? Oui, dans l’intérêt des adultes et de la société».
Les pays émergents, culturellement plus éloignés de l’esprit de la CIDE, ont connu aussi des avancées législatives. Y compris les pays d’Afrique qui ont adopté des textes comme la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant. «Mais le défi principal reste son application sur le terrain», souligne Alessandra Aula.
L’Unicef dresse aussi un bilan contrasté. «Les droits de l’enfant ont été universellement reconnus. Néanmoins, le monde est-il devenu meilleur pour tous les enfants ? La réponse est indéniablement “oui, mais”», résume Mathilde Bienvenu, spécialiste de la protection de l’enfance à l’Unicef (à New York). En vingt-cinq ans, la mortalité infantile a diminué de 50 %. Un enfant a aussi plus de chances d’avoir accès à l’éducation primaire qu’en 1989. Le travail des enfants a régressé, l’extrême pauvreté aussi.
«Des progrès ont donc été accomplis. Mais tous les enfants du monde n’en ont pas également profité, nuance-t-elle. Beaucoup trop d’enfants sont encore considérés comme propriété des adultes, victimes d’abus et de négligences. Des millions d’enfants sont encore privés de services essentiels, comme l’accès aux soins ou à l’éducation (lire «Repères» p. 18).» Et ils sont devenus les premières victimes des conflits armés.
«Nous vivons une époque ambivalente, y compris dans ce domaine, analyse Hatem Kotrane, professeur de droit à Tunis, et l’un des plus anciens membres du Comité des droits de l’enfant. Aucune époque n’a donné à ses enfants autant de droits et d’attention, mais aucune époque non plus ne les a exposés à autant de risques : enfants objets de trafics, exploités économiquement, ou enfants étrangers demandeurs d’asile, traités par certains États de façon contraire aux normes internationales.» À l’occasion de cet anniversaire, il voudrait «interpeller les États, surtout les plus riches, pour qu’ils mettent en œuvre les engagements qu’ils ont pris».
En ratifiant la CIDE en 1990, mais aussi en adhérant en l’an 2000 aux Objectifs du millénaire pour le développement, «ils ont reconnu qu’ils avaient des devoirs envers tous les enfants du monde, pas simplement leurs concitoyens, rappelle-t-il. Or les enfants sont-ils vraiment la finalité des politiques ? Sont-ils prioritaires dans les budgets des États ?» Ces questions valent effectivement d’être posées.
AU SERVICE DU BIEN-ETRE DES MINEURS
La Convention internationale des droits de l’enfant a été complétée par trois protocoles facultatifs : les deux premiers, adoptés en 2000, concernent «la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants» et «l’implication d’enfants dans les conflits armés». Le troisième, adopté en 2011, permet à tout enfant (ou à son représentant) de déposer une communication devant le Comité des droits de l’enfant. Il sera ratifié par la France le 20 novembre.
Le Comité des droits de l’enfant, institué par la CIDE (art. 43), composé de «18 experts de haute moralité», se réunit chaque année au siège de l’ONU.
Les États signataires doivent lui remettre tous les cinq ans «des rapports sur les mesures qu’ils auront adoptées» et sur «les progrès réalisés» (art. 44). Le Comité émet en retour des «avis».
25 pays européens et 15 pays d’Amérique se sont dotés d’un «défenseur des enfants» (d’appellation variable), qui contrôle la mise en œuvre de la CIDE et peut recevoir des plaintes.
De très nombreuses associations défendent les droits des enfants. Elles sont regroupées en France au sein du Cofrade (Conseil français des associations pour les droits de l’enfant). Site : www.cofrade.fr
{{source : la croix.com par Christine Legrand}}
(1) Jean-Pierre Rosenczveig est l’ex-président du tribunal pour enfants de Bobigny, fondateur et président du mouvement Défense des enfants international (DEI-France), créateur du Conseil français des associations pour le droit des enfants (Cofrade). Site : www.rosenczveig.com/