Les étranges nuits du « saint élu »
En Ariège, le gourou présumé d’une « secte » est accusé par cinq femmes dont deux mineures de « viols » et d’abus de faiblesse ». Lui crie au complot.
« M. Le Dinh, quand le Christ est venu vous ‘visiter’, que vous a-t-il dit exactement? », Jacques Richiardi, le facétieux président de la cour d’assises de l’Ariège, paraît parfois un peu terre à terre. Mais en présence d’un homme présenté comme le gourou d’une communauté « mystique chrétienne » et accusé par cinq femmes dont deux mineures de « viols », d’agressions sexuelles » et d’abus de faiblesse » entre 1997 et 2007, le magistrat a décidé hier d’aller traquer la vérité au fin fond de la galaxie.
« Il y a eu un rayonnement, une lumière de sagesse, j’ai été envahi d’amour », a expliqué Robert Le Dinh, 51 ans, impeccable avec son élégante chemise mauve et son petit foulard noué autour du cou. « Il m’a parlé, il m’a dit: ‘Tu es le saint élu.' » « Et ça veut dire quoi? » a demandé, trivialement, Me Daniel Picotin, l’un des avocats des parties civiles. « Je ne suis pas supérieur au pape, ni à personne, je suis différent, c’est un grand mystère », a ajouté l’accusé. Le public du petit palais de justice de Foix semblait d’accord avec lui.
Avant d’être le « saint élu », Robert Le Dinh, dit « Tang », a d’abord été le fils d’un ouvrier vietnamien de Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), père de six enfants. Passionné d’arts martiaux et fasciné par son maître de kung-fu, il envisage de devenir moine bouddhiste. Mais avec son CAP de cuisinier, il s’improvise médium et magnétiseur à Agen. « C’est vrai, j’ai des flashes, des prémonitions, je vois des choses dans le ciel. Je n’ai pas peur de le dire, reconnaît-il de sa voix grave. Mais les gens venaient pour des bricoles, des choses qui ne m’appelaient pas. »
Le président Richiardi lui fait remarquer que son frère le traite d’affabulateur » et évoque des disputes d’une grande violence avec son père. « J’ai toujours cherché la voix de la sagesse et de la douceur », rétorque Robert Le Dinh, un peu dur de la feuille.
« J’avais une sexualité libre et débridée »
Ayant entendu « l’appel du social et de l’humanitaire », il organise en 1982 à Agen un rassemblement pour la paix et le désarmement prétendument parrainé par Yves Montand et Françoise Hardy. « Habité » par le Christ alors qu’il n’a que 23 ans, il fonde des associations caritatives et ce beau parleur un peu fumeux agrège autour de lui un petit groupe d’une vingtaine de fidèles. Ceux-ci s’installent ensemble dans une maison du Lot-et-Garonne, puis en Ariège à partir de 2005. « Il y avait beaucoup de jeunes », remarque le président, feignant de s’étonner. « Les personnes venaient à moi librement, je ne les forçais pas », répond-il. « Je ne regardais pas si elles étaient fragiles. »
Sans emploi, Robert Le Dinh se lève tard, fume la pipe en sculptant et en peignant avant de dispenser son « enseignement » durant des nuits entières à ses fidèles harassés après leur journée de travail. « Je leur disais comment être un bon chrétien », résume benoîtement l’accusé. Les repentis de la communauté évoquent, eux, ces terribles « séances de positionnement » où ils devaient se justifier devant leurs pairs. L’homme qui se présentait comme le « troisième Messie », ou « le grand monarque », les menaçait de la « loi du retour », principe selon lequel toute mauvaise action génère une catastrophe ou un malheur pour soi ou sa famille. « Ce n’était pas un monologue, mais un dialogue », se défend-il. « On pouvait mal le vivre. »
Selon d’anciens « adeptes », il aurait imposé des rapports sexuels assortis de pratiques déviantes à plusieurs femmes chargées de recueillir durant la nuit ou au petit matin ses « rêves prémonitoires » et procédé à des attouchements sur deux de leurs filles alors âgées d’une dizaine d’années. « C’est vrai, j’avais une sexualité libre et débridée, mais je n’ai jamais forcé ni contraint quiconque », se justifie ce père de six enfants qui jure n’avoir jamais abusé de mineures. « Au contraire, elles bataillaient pour m’avoir et elles étaient jalouses de ma compagne. »
230.000 euros provenant des dons de ses adeptes
Les fidèles étaient aussi priés de financer la communauté soit par le fruit de leur travail, soit par des collectes d’argent. Au besoin, ils retapaient les maisons et faisaient la cuisine. « On mettait tout en commun, on s’entraidait », soutient Robert Le Dinh.
En passant ses comptes au peigne fin, les gendarmes ont quand même découvert que « saint élu » avait perçu 230.000 euros provenant des dons de ses adeptes entre 2005 et 2007. « Vous aimiez rouler en Mustang et en 4×4 et jouer tous les jours au Quinté », a rappelé Me Daniel Picotin, étonné par cet attachement aux biens matériels.
Aujourd’hui, Robert Le Dinh, qui a déjà passé deux ans en détention provisoire, se dit victime d’un complot ourdi par un couple d’anciens adeptes, un douanier et une greffière, qui l’ont dénoncé en 2007. « Les accusateurs mentent », assure sans détour Me Philippe Le Bonjour, l’un de ses avocats. « Toutes les personnes avaient une vie sociale et professionnelle, elles avaient le libre choix de rester ou de partir », plaide-t-il.
Déjà condamné à deux ans et demi de prison en 1987 à Agen pour « escroquerie », « abus de confiance » et « extorsion de fonds », il encourt vingt ans de réclusion criminelle. « Il a une personnalité narcissique », conclut l’expert psychiatre qui exclut toute pathologie délirante et discerne « une construction perverse où se retrouveraient l’homosexualité, le voyeurisme, l’exhibitionnisme, éléments d’un sadisme moral à travers des situations de pouvoir et d’emprise ». Verdict le 18 septembre.
JDD / | 11 Septembre 2010