Religion. Samedi, la Marche pour Jésus a rassemblé ce courant protestant très militant.

CATHERINE COROLLER

QUOTIDIEN : lundi 26 mai 2008

«Ça décape, hein ?» lance l’homme avec un grand sourire. Le bruit est effectivement infernal. «On parle toujours du “petit” Jésus mais Dieu, c’est la puissance» , hurle-t-il. Samedi à Paris. Dans un déluge de décibels, la 19e Marche pour Jésus vient de quitter la place de la République pour celle de la Nation. Un premier camion emportant un prédicateur et des musiciens, sono à fond, enfile le boulevard Voltaire, suivi d’un groupe de danseurs du Centre de formation artistique chrétien Psalmodia, vêtus d’un pantalon de treillis et d’un tee-shirt blanc. «Cet après-midi, vous voyez des milliers de personnes qui marchent et chantent joyeusement dans les rues de Paris. Savez-vous pourquoi ?» interroge le tract distribué aux passants. Réponse : pour proclamer leur foi urbi et orbi.

Finie l’époque des catacombes. Les religions ne se cachent plus. Elles entendent exister au grand jour. Créée en 1991 par des «chrétiens de toutes dénominations» appartenant majoritairement à la mouvance protestante évangélique, la Marche pour Jésus rassemble chaque année quelques milliers de fidèles, noirs pour la plupart.

Retape. Le cortège a à peine quitté République qu’il s’arrête. Le pasteur, juché sur le camion de tête, bénit «M. Sarkozy, les membres du gouvernement, le maire de Paris». Certaines banderoles affichent cette même tonalité patriotique : «France, nous prions pour toi.»

Sur les trottoirs, les fidèles évangélisent les badauds. Distribuant des tracts au son d’un vibrant «Jésus vous aime», entrant dans les magasins pour porter la bonne parole à des commerçants éberlués. Un homme propose à une passante sceptique de lui donner son numéro de portable pour qu’elle l’appelle si elle décidait enfin d’ouvrir son cœur à Dieu.

Yolande et Colette, 59 et 65 ans, se présentent comme des «missionnaires». Enfants, elles ont eu une éducation catholique, mais ont entendu un jour «l’appel de Dieu» et se sont converties au protestantisme évangélique. Depuis, elles font de la retape. «Mais ça n’est pas nous qui convertissons, c’est le Seigneur qui touche les cœurs.» Au-dessus de deux grosses cylindrées, un calicot : «Association des motards évangéliques.» Edy est l’un de ses membres. D’«origine catholique» , blanc, il a été militaire pendant vingt-cinq ans. Aujourd’hui, il est musicien professionnel, membre de la très sérieuse Eglise réformée de France, mais participe également à des «groupes de louanges» .

Sectes. Aux côtés des 66 églises membres de l’association Marche pour Jésus, les fidèles de l’église évangélique Charisma sont présents en nombre. Leurs revendications sont plus politiques. Ils sont venus avec des panneaux sur lesquels on peut lire : «Nous voulons des temples», «Athées en voie de disparition», «Pour la liberté de croire» , «Laïcité, la cité pour tous».

Les protestants évangéliques se plaignent d’être maltraités. Par les médias qui en font des agents des sectes américaines accusées de vouloir conquérir le monde . Et par les municipalités qui leur refusent les lieux de culte qu’elles accordent désormais aux musulmans.

Pour François Célier, pasteur et écrivain, chargé de la communication de la Marche pour Jésus, le climat est toutefois en train d’évoluer :«On peut plus facilement exprimer sa foi.» Les prises de position de Nicolas Sarkozy sur la place du religieux y ont-elles contribué ? «Il a libéré la parole», confirme-t-il. Mais qu’est-ce que ces protestants évangéliques ont à dire ? «Nous sommes très attachés aux valeurs de la famille, et contre l’avortement», résume Dominique Leuliet, président de la Marche pour Jésus. Pour lui, les religions doivent «sortir des lieux de culte et impacter toutes les sphères de la société». Autre position typiquement évangélique : «Il y a de grandes probabilités créationnistes», avance François Célier. En résumé, contrairement à ce qu’a montré Darwin, l’homme ne descendrait pas du singe.

Shofar. Ces militants affichent d’autres sympathies. Avant le départ de la manifestation, on avait aperçu dans la foule des petits drapeaux israéliens. Le départ du cortège a été donné au son du shofar, corne de bélier utilisée dans la tradition juive pour appeler les fidèles à des cérémonies ou au combat. Au passage du cortège apparaît soudain un petit groupe arborant des grands drapeaux hébreux. Ce sont les juifs messianiques. Pour eux, Jésus était le Messie attendu par le peuple juif. Officiellement toutefois, la Marche pour Jésus ne roule pas pour Israël. Si 54 % des protestants évangéliques américains soutiennent l’Etat hébreu, leurs homologues français sont plus pudiques. François Célier est pourtant vice-président de la très droitiste Union des patrons et professionnels juifs de France (UPJF) et membre directeur de France-Israël. Fabienne Petit, co-organisatrice de la Marche pour Jésus, qui sonnait gaillardement du shofar, affiche aussi ses sympathies pour l’Etat d’Israël et était présente, hier, aux cérémonies du 60e anniversaire de l’Etat hébreu.

www.liberation.fr