Réunis à Lourdes, les évêques de France ont dû se confronter à la question des abus sexuels commis par des prêtres et leur attitude face aux victimes. Mis en cause pour sa gestion de deux affaires anciennes, le cardinal Barbarin s’est alors expliqué.
De son côté, le Vatican a réagi par la voix de son porte-parole pour inciter à attendre les résultats de l’enquête en cours et mettre en garde contre une instrumentalisation médiatique de l’audience demandée au pape par les victimes de l’association la Parole libérée.
« Je veux dire avec la plus grande force que jamais, jamais, jamais je n’ai couvert le moindre acte de pédophilie. » Le visage grave, le cardinal Philippe Barbarin fait face aux micros et aux caméras. « Couvrir, cela veut dire ‘tu savais, et tu as laissé faire’. Cela jamais. Mais ça ne veut pas dire que je ne me suis pas trompé », continue l’archevêque de Lyon, regrettant à demi-mot d’avoir fait confiance au P. Bernard Preynat, accusé d’agressions sexuelles sur mineurs, quand il l’a interrogé en 2006 sur des faits remontant à 1991. « J’ai demandé si, oui ou non, depuis 1991, il s’était passé la moindre chose ? Il m’a dit ’jamais, jamais parce que j’ai été tellement ébouillanté par les horreurs que j’avais faites que plus jamais’. On peut me reprocher de l’avoir cru. »
{{A lire : Notre dossier : L’Eglise face à la pédophilie}}
Dès son ouverture, l’Assemblée plénière des évêques de France, qui se tient depuis le 15 mars à Lourdes et devait porter sur des thèmes comme le rapport des évêques aux réseaux sociaux ou l’islam, a été rattrapée par l’affaire Preynat et ses effets sur le cardinal Philippe Barbarin.
Les portes de cette assemblée à huis clos se sont même ouvertes pour une conférence de presse organisée à la dernière minute, permettant au primat des Gaules de s’expliquer. D’autant plus que sont sorties, la veille, de nouvelles accusations d’agression sexuelle visant un autre prêtre lyonnais il y a vingt-six ans (lire plus bas).
{{Une maladresse qui en dit beaucoup}}
« Dieu merci, les faits sont prescrits », a lâché le cardinal, avant d’être repris par un journaliste et de se corriger. Mais cette maladresse en dit beaucoup sur l’attitude d’une partie de l’épiscopat, alors même que Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille et président de la Conférence des évêques de France, avait, dans son discours d’ouverture (1), fait de « la vérité pour les victimes » la priorité des évêques.
Cet accueil et cette écoute des victimes sont sans doute le point sur lequel doivent le plus progresser des évêques vivant dans la hantise de voir resurgir, dans leur diocèse, une ancienne affaire. « Ce qui est arrivé au cardinal Barbarin peut nous arriver à tous », glisse l’un d’eux.
« D’une manière ou d’une autre, on peut tous être confrontés à cela », ajoute un autre. « Les évêques sont très pris par une multitude de sollicitations, et ils n’ont pas forcément la disponibilité pour accueillir et écouter les victimes », reconnaît Mgr Jacques Blaquart qui, dans son diocèse d’Orléans, a mis en place une cellule d’écoute et d’accueil avec des professionnels. « C’est une aide pour les victimes mais aussi pour nous, pour discerner ce qui est possible de faire », explique-t-il.
{{Un numéro vert ou un service d’accueil national}}
Devant l’assemblée hier, Mgr Blaquart a proposé la mise en place d’une telle commission au niveau national. Une proposition soutenue par plusieurs pairs. « Nous sommes une majorité à vouloir quelque chose de ce genre, que ce soit un numéro vert, comme cela se passe dans certains pays, ou un service d’accueil et d’écoute », avance un autre évêque. Tout en reconnaissant qu’il y a peut-être des obstacles juridiques, notamment en ce qui concerne la confidentialité voulue par certaines victimes, que l’Église ne pourra pas forcément assurer face à d’éventuelles demandes de la justice.
« En quinze ans, l’Église a réalisé un énorme travail sur ces questions », rappelle Mgr Stanislas Lalanne, évêque de Pontoise, qui était porte-parole puis secrétaire général de l’épiscopat au début des années 2000 et de l’affaire Pican, du nom de l’évêque de Bayeux condamné alors à trois mois de prison avec sursis pour « non-dénonciation de crime » et « non-dénonciation d’atteinte sexuelle sur mineurs de 15 ans » en rapport avec un des prêtres coupable de viols sur mineurs.
« Il y a eu une prise de conscience des évêques sur ces crimes sexuels et leurs conséquences durables pour les victimes », souligne l’évêque de Pontoise qui, lors des deux dernières assemblées plénières, en mars et novembre 2015, a sensibilisé de nouveau ses confrères à ces questions : 80 % des évêques ne l’étaient pas en effet en 2000.
{{« Le problème aujourd’hui, ce sont les faits anciens »}}
« Sur les faits récents, nous sommes clairs et déterminés : nous incitons victimes et familles à porter plainte, nous poussons les prêtres à aller s’expliquer devant la police et, s’ils refusent, nous signalons nous-mêmes les faits, résume-t-il. Le problème aujourd’hui, ce sont les faits anciens, ceux que nous ne connaissons pas quand nous arrivons dans un diocèse, quand des adultes ne souhaitent pas parler, mais veulent une reconnaissance de l’Église : c’est une question que nous devons entendre. »
{{A lire : Hollywood se penche sur la pédophilie dans l’Église}}
Une question d’autant plus compliquée que, dans bien des cas, les faits peuvent être prescrits. Un sujet auquel le cardinal Barbarin est confronté. « Il y a la prescription juridique. Mais il n’y a pas de prescription morale. Peut-on aller au-delà de la prescription canonique ? C’est possible dans l’Église », explique-t-il, rappelant les normes sur le sujet édictées en 2010 sous le pontificat de Benoît XVI. « D’ailleurs, il vaut mieux ne pas se poser la question de la prescription : c’est une question juridique à laisser aux juges. Nous devons nous soucier d’écouter les victimes », affirme un évêque.
« Ce que veulent les victimes, c’est d’abord être écoutées », souligne un autre évêque qui suivait déjà ces questions en 2000 au moment de l’affaire Pican. « Cela a été un choc pour l’Église, mais dont il est finalement sorti du bien : il y a eu un vrai travail sur ces questions. Espérons que, cette fois encore, il pourra sortir du bien de cette crise. »
————————–
{{Une nouvelle plainte déposée}}
Un haut responsable du ministère de l’intérieur a adressé au parquet de Lyon en février un courrier qui vaut plainte à l’encontre du cardinal Philippe Barbarin. Il lui reproche de ne pas avoir suspendu un prêtre de son diocèse, le P. Jérôme B., contre lequel il avait porté plainte en 2009 pour agressions sexuelles, pour des faits commis au début des années 1990, alors que lui-même avait 16-17 ans.
Pour un mineur de plus de 15 ans, les atteintes sexuelles peuvent déboucher sur une condamnation dès lors que l’agresseur a autorité de par sa fonction, mais la plainte avait été classée sans suite pour cause de prescription.
Sur ce nouveau volet, le parquet vient d’ordonner l’ouverture d’une enquête préliminaire sans retenir, pour l’heure, aucune qualification spécifique. Le plaignant devrait être entendu prochainement par les enquêteurs.
source : Lacroix.com par Nicolas Senèze (à Lourdes)
http://www.la-croix.com/Religion/Les-eveques-de-France-a-nouveau-face-a-la-pedophilie-2016-03-15-1200746877?&PMID=2297c7554f0dc2f0deed282f8953dea5