Les «fake news», que la commission d’enrichissement de la langue propose de renommer «infox» en bon français, font l’objet d’un projet de loi en discussion à l’Assemblée. Mais au-delà du seul domaine politique, ces fausses nouvelles contaminent notre vie quotidienne, en particulier la santé où, à force de brouiller les pistes entre fausses peurs et vrais risques, elles peuvent avoir de graves conséquences.
En anglais, le terme ne désigne pas un article faux, au sens d’inexact, mais plutôt un faux article, une publication qui se fait passer pour un article de presse sans en être un. C’est le moyen préféré des pros de l’intox pour générer des revenus publicitaires, et plus la «fake news» est grossière et alarmiste, plus elle est lue, partagée et rémunératrice. Le site Santéplusmag s’est ainsi fait une spécialité de ces fausses informations suffisamment racoleuses pour doper l’audience.
Plus grave, certains chercheurs n’hésitent pas à enfreindre les règles scientifiques par pur intérêt: idéologique, pour défendre une cause ; de carrière, en vertu du fameux diktat «publish or perish» (publier ou mourir) ; financier, pour cautionner une association, un groupe industriel, une administration, un groupe de pression ; intellectuel, pour conforter ses propres publications tout en les sachant contestables.
C’est devenu d’autant plus facile que des éditeurs peu scrupuleux lancent sur le Web des revues prétendument scientifiques en accès libre qui, sous un nom à consonance scientifique, valident ces études bidon moyennant finances, au risque de créer la confusion avec les revues sérieuses. La recherche est aujourd’hui prise à son propre piège de course à la publication ; c’est à elle de réfléchir aux moyens de mettre un terme à des dérives qui risquent d’entacher pour longtemps l’expertise scientifique.
Véritables prédateurs
Les faussaires ont trouvé l’outil idéal de diffusion massive. Conçues pour capter notre attention, des plateformes comme Google, Facebook et Twitter se nourrissent de ces contenus en «prêt à partager» pour créer des communautés en rassemblant des personnes qui ne se reconnaissent plus dans le système. Dans la santé, profitant du climat de défiance qui s’est installé entre le public et le corps médical, de véritables prédateurs manipulent ainsi les plus vulnérables. D’après l’INCa (Institut national du cancer), 60 % des personnes traitées pour un cancer prennent des remèdes naturels en plus de leurs traitements. Et les 10 millions de malades chroniques, qui supportent mal des traitements contraignants à vie, sont des proies de choix pour des recettes alternatives et autres médecines parallèles.
Endiguer ces réseaux dans un système libre et ouvert par définition est illusoire. L’information n’est plus l’apanage des journalistes professionnels. Aujourd’hui, n’importe qui peut produire le contenu qu’il veut et s’arranger pour le faire référencer en tête des moteurs de recherche, loin devant les sites vitrines institutionnels que les internautes ne croiseront jamais en naviguant sur Internet. C’est aux experts et aux autorités sanitaires de s’approprier davantage les outils numériques pour contrer la désinformation en répondant réellement aux peurs et attentes du public.
L’internaute qui va le mieux relayer les «fake news» ne se soucie pas de la fiabilité des sources et relaie le plus souvent des liens sur Twitter sur la foi du titre et de l’image, sans même avoir lu l’article. Pour les jeunes et les catégories les moins éduquées de la population, c’est la satisfaction de propager un contenu qui fera réagir son audience, et plus c’est gros, mieux ça prend. Mais, entre diffuser une étude affirmant que «le mojito est bon pour la santé» et relayer les thèses anti-vaccinales au risque de déclencher une épidémie de rougeole, maladie mortelle qui aurait dû être éradiquée, l’ignorance n’est pas seule en cause.
Nous pouvons tous être manipulés, et les plus éduqués n’échappent pas aux «fake news», au point d’être souvent les premiers à relayer les discours de défiance envers la science. Prenant systématiquement le contre-pied du système, ils soutiennent les lanceurs d’alerte contre les institutions, se mobilisent contre les recommandations sanitaires au nom de leur liberté individuelle en refusant par exemple de se faire vacciner, contestent toute vérité scientifique par relativisme de principe quitte à confondre corrélation et causalité, comme dans le cas du vaccin hépatite B accusé de causer la maladie malgré toutes les études démontrant le contraire. Et de la dérive thérapeutique à la dérive sectaire… sur les 3000 signalements de dérives sectaires enregistrés chaque année par la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), 40 % ont un lien direct avec la santé!
La désinformation a toujours existé ; elle prospère d’autant plus que l’information est un objet de consommation prêt à jeter. La résistance à l’intox exige un effort citoyen pour apprendre à retrouver l’esprit critique à travers la rhétorique et la dialectique. Il est urgent de réhabiliter dès le plus jeune âge l’éducation à ces matières, plus que jamais d’actualité dans cette nouvelle agora qu’est devenu le Web.
*Caroline Faillet est spécialiste du décodage de l’influence numérique (Bolero) et auteure de «Décoder l’info. Comment décrypter les fake news». Éditions Bréal, octobre 2018