Près de trente ans après l’excommunication de son fondateur Mgr Lefebvre, la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX), emblème contesté du traditionalisme catholique, semble proche d’une réintégration dans l’Eglise romaine. Mais loin de susciter la ferveur, le processus précipite une crise interne.
Peu suspect de sympathies intégristes mais attentif aux « périphéries », y compris celles de son Eglise, le pape François mène depuis des mois une politique des petits pas vers le mouvement lefebvriste et son supérieur général, Mgr Bernard Fellay.
La reconnaissance canonique pourrait prendre la forme d’une « prélature personnelle », qui ferait dépendre la FSSPX directement du pape, hors du contrôle des évêques.
A quel horizon ? « Nous n’avons aucune indication. Le dialogue se poursuit, sans agenda », répond prudemment à l’AFP l’abbé Alain Lorans, porte-parole du district de France de la Fraternité.
Aucun signe de fébrilité ne perce les murs épais de l’église parisienne Saint-Nicolas du Chardonnet, occupée illégalement depuis quarante ans par les intégristes. Proches de la FSSPX ou simples amoureux de la liturgie en latin y assistent pieusement à la « messe de toujours », le prêtre tourné vers l’autel abondamment encensé. Et pourtant, jeudi, le district de France a annoncé que sept doyens (prêtres responsables de lieux) critiques face au processus de rapprochement, dont celui de Saint-Nicolas, étaient « déchargés de leurs fonctions ».
Fondée en 1970 par Marcel Lefebvre (1905-1991), la FSSPX avait rapidement pris ses distances avec le Saint-Siège, refusant de « suivre la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante » née selon elle du concile Vatican II (1962-1965). La rupture est consommée quand Mgr Lefebvre consacre en 1988 quatre évêques sans l’autorisation de Jean-Paul II, un geste frappé d’excommunication.
Eviter la marginalisation
Bien dotés en lieux de culte, les lefebvristes pèsent cependant peu dans l’Eglise, avec environ 600 prêtres dont plus d’un quart en France, sur 400.000 dans le monde.
Ils n’ont pas le monopole de la messe ancienne en latin, et d’autres traditionalistes sont déjà en communion avec Rome dans des communautés « Ecclesia Dei » plus modestes. Le « motu proprio » (lettre apostolique) de Benoît XVI permettant en 2007 aux prêtres de célébrer librement avec les vieux missels a accru le phénomène.
Au risque d’une marginalisation de la FSSPX ? Olivier Landron le pense. « Son positionnement devient de plus en plus difficile à tenir à la suite des concessions faites par Rome sur le plan liturgique. Mgr Fellay, qui est un pragmatique, n’a pas 36 options en dehors du rapprochement, sauf à se +sectariser+ », analyse cet historien.
Ancien de la FSSPX revenu dans le giron romain, l’abbé Guillaume de Tanoüarn voit un intérêt personnel, pour le supérieur de la Fraternité, à conclure rapidement un accord. Le prélat suisse arrivera en 2018 au terme d’un deuxième mandat de douze ans, or « sa politique d’ouverture à Rome est minoritaire » au sein de la FSSPX, estime-t-il. « Il n’est pas sûr d’être réélu. Si on lui érige une prélature, il sera prélat à vie. C’est une forme de coup d’Etat qui ne dit pas son nom. »
Mgr Fellay tente de rassurer ceux qui pourraient vouloir quitter la FSSPX pour rejoindre d’autres groupes indépendants. « Il y a une condition sine qua non » à la réunification, « c’est que nous pouvons rester tels que nous sommes », a-t-il prévenu. Donc continuer à adresser des « reproches graves » au Vatican sur l’oecuménisme, la liberté religieuse, etc.
Vent debout, l’association de lutte contre les dérives sectaires Avref s’inquiète de la reconnaissance attendue d’une FSSPX à laquelle elle a consacré un « livre noir ». « Il y a là quelque chose d’irresponsable. Des victimes s’adressent à nous sur des dossiers d’abus sexuels, la façon dont leurs écoles (une cinquantaine en France) sont tenues… Un cléricalisme très fort fait que les familles sont sous le joug des prêtres », dit son président Aymeri Suarez-Pazos.
Le chantier d’une réunification « est encore devant nous », tempère une source proche de l’épiscopat, qui ne cache pas que « les évêques ne sont pas tous spontanément disposés » au rapprochement, car le passé a été « violent »: « Il va falloir retisser des liens de confiance ».
11/05/2017
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