C’est un procès fondamental pour la liberté d’expression qui s’est tenu jeudi dernier à Strasbourg. Il était intenté par les médecins anthroposophes contre Grégoire Perra, principal pourfendeur de cette doctrine. L’enjeu nous concerne tous : c’est le droit à critiquer des médecines ésotériques sans être traîné en justice.

Ce n’est pas un procès très médiatisé. À part ­Charlie, aucun média national présent pour en témoigner, et dans la salle, pas plus d’une dizaine de personnes. À droite, les accusateurs : le Conseil natio­nal professionnel des médecins à expertise particulière – section médecine anthroposophique. Un nom ultrapompeux qui ne représente – comme le soulignera l’avocat de la défense – qu’une simple association et non un organisme officiel, comme on pourrait le croire. Au premier rang, en guise de soutien, trois de ses membres ayant dépassé le cap de la retraite, dont le Dr Robert Kempenich, qui enseigne la médecine anthroposophique à l’université de Strasbourg.

Celui qu’on va juger s’appelle Grégoire Perra. Ce quinquagénaire est aujourd’hui prof de philo en lycée. Il est attaqué en diffamation pour avoir publié sur son blog, le 7 octobre 2018, un texte intitulé « Mon expérience de la médecine anthroposophique ». Et il sait de quoi il parle, puisqu’il a été placé par ses parents dans une école Steiner étant gosse, et qu’il a lui-même enseigné l’anthroposophie, avant de prendre ses distances avec cette doctrine, dont il est, depuis, l’un des plus ardents pourfendeurs. Une poignée de sympathisants sont venus le soutenir, dont des membres de l’Association pour la science et la transmission de l’esprit critique.

Il n’est pas exagéré de dire que Grégoire Perra est victime d’un acharnement judiciaire : ce simple texte publié sur son blog lui a valu pas moins de trois procès, intentés par différentes associations anthroposophiques. Il a gagné les deux premiers, et attend le verdict en appel pour le troisième. Aujourd’hui, donc, va pour le quatrième. L’enjeu n’est pas de dire si la médecine anthroposophique est efficace ou pas, car les magistrats ne sont ni scientifiques ni médecins, mais si les critiques de Grégoire Perra relèvent ou non de la diffamation. En fait, la manœuvre est très subtile, car bien qu’il ne s’agisse pas d’un procès à proprement parler scientifique, les enjeux scientifiques sont partout en filigrane.

En pratique, ce procès se limitera à une joute d’avocats. Les hostilités sont déclenchées par l’accusation, avec Me Grégory Thuan dit Dieudonné. Il commence par dénoncer le manque de mesure de Grégoire Perra, dont le « texte truffé d’injures publiques » qualifie la médecine anthroposophique de « tromperie » et d’« aliénation mentale », et ses « praticiens » d’« êtres immoraux » qui « pratiquent le vampirisme spirituel ». Même si ce ne sont pas forcément les mots exacts de l’ex-anthroposophe, il faut admettre que l’esprit n’en est pas très éloigné. L’avocat est donc catégorique : les « propos méprisants et dégradants » de Grégoire Perra sont exempts de bonne foi et seulement animés par la « haine tenace qu’il a contre l’anthroposophie ».

source : Antonio Fischetti · ·

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