Il y avait, dit-il, vingt-cinq mormons à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor) quand il a débarqué des Etats-Unis en octobre 2010. Ils étaient le même nombre quelques semaines plus tard lorsqu’il a quitté les pavés briochins. Aujourd’hui affecté à Paris, Nicolas Hujtyn, un grand gars de 20 ans venu du Missouri, ne s’en émeut pas. Cet envoyé de l’Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours, estime avoir rempli sa mission : “Partager le message.” En l’occurrence, assurer à ses interlocuteurs que “l’Eglise de Jésus-Christ a été rétablie sur Terre” grâce au fondateur-prophète de son Eglise, un adolescent mystique né dans le Vermont (Etats-Unis) en 1805.
Flanqué de Brookx Andrus, 20 ans, son alter ego en costume noir, Nicolas s’y emploie d’un bon pas dans les rues. “La plupart des gens sont polis, mais ils n’ont juste pas le temps de parler de Jésus-Christ”, reconnaissent les deux garçons, qui font partie des 300 missionnaires présents en France.

Entre les “athées” et les “pressés”, rares sont les passants qui acceptent de discuter des mérites comparés de leur foi et de celle des mormons. “Je suis un peu croyante, mais pas assez pour commencer une discussion avec vous”, leur lance Gabrielle, une jeune fille de 20 ans, qui ajoute en aparté : “Ils font un peu secte, non ?” Un soupçon récurrent, qui laisse les deux Américains de marbre. La très scrupuleuse Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) ne le reprend pas à son compte.

Méconnus en France en dépit de leur prosélytisme aux effets incertains, les mormons sont ces dernières semaines sortis de leur relatif anonymat. Grâce à Mitt Romney, certes, le favori des primaires républicaines pour la présidentielle américaine, qui fut, entre 1966 et 1968, missionnaire à Brest, au Havre et à Bordeaux. Mais aussi parce que l’année 2012 pourrait être en France celle de leur “visibilité”. Après treize ans de recherches et de déconvenues, l’Eglise vient d’acquérir un terrain au Chesnay (Yvelines), pour y construire le premier temple mormon du pays, un imposant bâtiment sans fioritures.

Cet investissement de 80 millions d’euros pour une communauté de 35 000 personnes, dont les effectifs n’augmentent que de quelques dizaines d’individus par an, peut surprendre, alors que, selon les responsables de l’Eglise, le potentiel de croissance se trouve en Asie et en Amérique latine. “Cette décision participe d’une campagne de construction de temples au niveau mondial, précise Christian Euvrard, directeur de l’institut de formation de l’Eglise. Notre président-prophète (Thomas Monson, un Américain de 85 ans) souhaite que les temples viennent aux fidèles et pas l’inverse.” Financée par la dîme des 14 millions de fidèles à travers le monde et les revenus tirés de ses propriétés foncières, l’Eglise peut se le permettre.

Mais cette implantation sur des terres très catholiques, à deux pas du château de Versailles, a suscité un début de polémique. Une pétition qui aurait recueilli près de 4 000 signatures circule sur Internet pour demander “une consultation publique” sur ce projet, susceptible de “modifier la ville et ses environs”, et qui, selon ses détracteurs, “ne correspond pas à un besoin”. Contestant le permis de construire accordé par le maire (UMP) et sur fond de bataille politique, un de ses adjoints a même démissionné.

Dans la tradition mormone, le temple, interdit d’accès aux non-membres, sert principalement à la célébration des mariages et à l’accueil des retraites spirituelles. Aujourd’hui, les mormons français désirant se marier religieusement doivent se rendre en Allemagne ou en Angleterre. “Sinon, ils y viennent une à deux fois par an. Il ne s’y déroule ni grande fête ni grand rassemblement”, explique Dominique Calmels, responsable de la communication de l’Eglise, qui s’efforce d’apaiser les craintes.

A ses yeux, le temple constitue un besoin pour les 30 % de pratiquants réguliers, parmi lesquels plusieurs centaines d’Américains. Le reste du temps, l’office dominical se déroule dans des lieux de culte dépouillés du moindre ornement liturgique, situés dans des bâtiments sans signes distinctifs. C’est le cas à Malakoff (Hauts-de-Seine), où se retrouvent chaque dimanche des familles américaines, françaises et d’origine africaine sur leur trente-et-un pour trois heures de formation et une célébration du plus grand classicisme.

Auparavant non-croyants issus de familles catholiques, M. Calmels et sa femme Françoise participent en ce dimanche de janvier à la “Sainte Cène” de Malakoff, où alternent le français et l’anglais. Le couple fait partie de ces convertis des années 1970, séduits par “une Eglise qui ne met pas de prêtre entre Dieu et le croyant”, – chaque homme ayant accès à “la prêtrise” -, dont les interdits sont des “paroles de sagesse” et les règles des “conseils pour tous les aspects de la vie, de la santé à la gestion financière”.

Par une succession de “révélations”, le fondateur et ses successeurs répondent aux questions surgies au fil des décennies. En 1978, une révélation a inspiré au président de l’époque “d’accorder la prêtrise aux hommes de couleur”. Aussi, s’ils reconnaissent une lecture littérale des Ecritures, les mormons mettent en avant leur “pragmatisme” pour récuser le qualificatif de “fondamentalistes”.

http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/01/21/les-mormons-vont-ouvrir-leur-premier-temple-en-france_1632736_3224.html

Source :Le Monde
par Stéphanie Le Bars