Les sectes évangélistes foisonnent dans la Grande Ile
 
Antananarivo : de notre envoyé spécial Tanguy Berthemet [21 juillet 2005] Le Figaro
 
De loin, le grand bâtiment de tôle et de béton beige ressemble à un hangar à avions, à un quelconque entrepôt portuaire. Il n’y a que l’immense croix barrant la façade qui permet de reconnaître le temple de Jesosy Mamonjy (Jésus le Sauveur), un culte évangéliste. En ce dimanche pluvieux et frais, des milliers de fidèles, engoncés dans des anoraks élimés, convergent vers les dizaines de portes de cette «église», plantée au bord d’une des grandes avenues d’Antananarivo. Josepha, une main gantée serrée sur un petit chapelet de plastique, trotte vers l’entrée en marmonnant une prière. Comme la plupart des 200 000 adeptes que revendique Jesosy dans la Grande Ile, Josepha est une ancienne fidèle de l’Eglise réformée. «Je suis venue ici où on enseigne la vraie Bible, on aime Jésus», glisse-t-elle avant de s’engouffrer dans l’«église». C’est un «petit» dimanche. On ne compte ce matin-là que 7 000 personnes, priant, ferventes, les paumes tournées vers le ciel ou à genoux, la tête posée sur le banc. Les grands jours, le culte est suivi par plus de 20 000 fidèles.
 
 Derrière l’autel, aux allures de scène de meeting politique, le révérend Ratafy tonne les bras grands ouverts et menace les pécheurs de toutes sortes de sanctions divines. Dans un coin, deux policiers, des «RG» locaux, surveillent l’assistance. Depuis la mort du pasteur Daoud, un Américain fondateur de l’Eglise, ses successeurs se livrent à de sourdes luttes de pouvoir, par procès et commandos musclés interposés. Au coeur de ces négociations : l’accès au denier du culte. Les fidèles sont généreux et les «aides» venues de l’étranger, en particulier des Etats-Unis, abondantes.
 
A Antananarivo, personne ne s’étonne de la richesse ni des dimensions gigantesques de ces lieux de prière. «L’argent est la raison d’être de ces sectes, explique Richard Andriamanjato, pasteur calviniste et ancien président de l’Assemblée nationale. Elles imposent la dîme à leurs membres puis elles se servent de ces sommes pour se développer en offrant aux miséreux à manger, des vêtements ou des soins.» Arrivées dans la foulée de l’ouverture démocratique du début des années 90, ces associations cultuelles se font de plus en plus pressantes, profitant de la perte de pouvoir d’achat qui depuis deux ans accable les plus faibles. Nul n’a tenté de les recenser. Mais on estime que plus d’un quart des habitants d’Antananarivo adhère à l’une ou à l’autre de ses sectes.
 
 Au centre de la capitale, le bas quartier de Manarintsoa-Isotry offre un terreau fertile aux prêcheurs de tous les horizons. Ici, on est pauvre. Une large majorité des habitants vit avec moins d’un dollar par jour. Les services publics n’existent quasiment pas. Pas plus que la sécurité. «Les Malgaches ont toujours été très croyants. Il est donc facile de leur imposer Dieu comme dernier recours», rappelle Solo-Raharinjanary, doyen de la faculté d’Antananarivo. En quelques années, les rues de ce quartier, des allées boueuses bordées de cabanes en planches, de rares maisons rongées d’humidité peuplées de gamins loqueteux, se sont emplis d’église, de temples et de maisons de Jésus en tous genres. Les Messagers du Christ, les Lecteurs de la Bible ou les Témoins de Jéhovah côtoient les grandes et les petites obédiences américaines des mormons ou de la Winner’s Chapel. Tous prélèvent leur écot et possèdent leurs «ONG» qui suppléent à peine aux carences de l’Etat. Rien de choquant pour Jane Rambelonarosoa, présidente du quartier. «Prier le Seigneur est la vraie solution aux problèmes car lui seul peut nous aider.» Longtemps pieuse catholique, elle a rejoint il y a deux ans la communauté des kibanguistes, l’«Eglise de Jésus-Christ sur terre et de son envoyé spécial Simon Kibanga». Depuis, elle vit avec ses 5 enfants et une vingtaine d’autres familles autour du temple et du représentant local de cette secte, un ancien syndicaliste et militant d’extrême gauche. «Nous travaillons tous ensemble comme le demande le pasteur et nous partageons tout.»
 
 Pour endiguer la perte de ses fidèles, la puissante Fédération des Eglises de Madagascar (FFKM), qui regroupe les catholiques, les protestants, les anglicans et les luthériens, a réagi. A son tour, elle a multiplié ses écoles et ses associations caritatives. Avec un succès limité et attendu aux yeux de Désiré Ramakavelo, un ancien ministre de la Défense. L’homme, longtemps proche du président Marc Ravalomanana, se dit aujourd’hui «opposant modéré» : «Ceux qui imaginent que la prolifération de sectes n’est liée qu’à la pauvreté se trompent. C’est aussi un signe du manque de confiance dans les Eglises traditionnelles car elles sont trop proches du pouvoir.» Le président ne cache être proche de la FFKM qui l’a soutenu lors de son arrivée au pouvoir en 2002. Une alliance qui, après trois ans de pouvoir, n’a fait que se renforcer. Au début de l’année, Marc Ravalomanana a ainsi été réélu vice-président laïc de l’Eglise réformée. Il n’a pas hésité non plus à prêter, via la Banque mondiale, 900 millions de francs malgaches (environ 85 000 €) à la FFKM pour organiser son congrès. En mars dernier, dans un discours, Marc Ravalomanana a même appelé à la mise en place d’une «théocratie» dans la Grande Ile. «Les grandes Eglises ne peuvent plus être le centre des contestations sociales qu’elles étaient. Les croyants se tournent donc vers d’autres cultes qui pourraient finir par incarner une forme d’opposition», assure Lucile Rabearimanana, professeur d’histoire politique à l’université d’Antananarivo.
 
 Reste que, pour l’heure, la majorité des nouvelles «croyances» se gardent bien de revendiquer un pouvoir temporel. La chute de l’Eglise universelle du royaume de Dieu leur a servi d’avertissement. En février dernier, ce puissant courant religieux, d’origine brésilienne, a brutalement été fermé et 34 pasteurs étrangers expulsés. Officiellement, le décret sanctionnait un blasphème, l’autodafé de plusieurs bibles par un religieux de l’ordre quelques jours auparavant. Une raison qui fait sourire un haut fonctionnaire malgache. «Tout le monde sait qu’en fait le plus grand péché de cette secte est de s’être trop clairement rapproché de l’opposition et de l’ancien président Ratsiraka.»