Le Dauphiné Libéré, 3 mai 2008

{{La thématique du “développement personnel” est au coeur d’une montée en puissance de pratiques particulièrement inquiétantes…}}

Sur l’inépuisable marché de l’obscurantisme, les sectes conquièrent des parts tous les jours. De l’église de Scientologie aux micro-associations locales, toutes surfent sur les mouvements en vogue. La thématique du “développement personnel” est ainsi au coeur d’une montée en puissance de pratiques particulièrement inquiétantes inspirées pour la plupart du New Age.

Selon nos informations, des dizaines d’associations suspectées de dérives sectaires par les pouvoirs publics sont créées chaque année en Rhône-Alpes, et cela en toute légalité…

“Nous sommes confrontés à un développement exponentiel des micro-structures qui exploitent les domaines de la thérapie individuelle pour prendre le contrôle de personnes en souffrance ou tout simplement mal dans leur peau”, confirme Isabelle Ferrari, de l’ADFI (Association de défense des familles et de l’individu victimes de sectes)Savoie-Isère.

{{Des drames familiaux}}

Le développement de pratiques fumeuses, à mi-chemin entre charlatanisme et escroquerie, pourrait prêter à sourire si ces activités ne faisaient pas exploser chaque jour des familles entières. Car le processus de désocialisation des victimes est soigneusement rodé : en s’appuyant sur des méthodes connues – hypnose, sophrologie, psychothérapie – et d’autres plus obscures (psychogénéalogie, décodage biologique des êtres vivants (sic), massages énergétiques, gestalthérapie, cristallothérapie, etc.), certains thérapeutes auto-proclamés instaurent une relation de domination amicale très forte avec les “patients” et suivent deux objectifs majeurs : les convaincre que leurs difficultés proviennent de leur entourage et de traumatismes infligés dans le passé. Le cas dit “des faux souvenirs induits”, détaillé dans le dernier rapport de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), est terrifiant : “Le syndrome du faux souvenir est le fait de praticiens ramenant systématiquement toutes les difficultés de la personne à des souvenirs occultés souvent depuis la prime enfance, de maltraitances tels l’abus sexuel (viol, inceste) dans l’entourage familial”, détaille le rapport de la Miviludes. “Nous nous trouvons régulièrement confrontés à des personnes dont le conjoint a annoncé solennellement au cours d’une réunion de famille qu’il avait été violé par ses parents. Son psychothérapeute auto-proclamé l’avait convaincu de rompre définitivement avec son milieu familial”, explique-t-on à l’ADFI. Familles laminées du jour au lendemain, enfants confiés à la DDASS, suicides de parents accusés à tort et parfois placés en garde à vue : la sinistre mécanique sectaire produit son lot de désespoir.

Selon un autre spécialiste rhônalpin des dérives sectaires, l’objectif principal des gourous est bien entendu financier. De fausses psychothérapies coûteuses en stages de développement personnel dirigés par des “coachs” plutôt intéressés, de séances “anti-stress” en stages de formation fantaisistes, le patient y laisse ses revenus, ses économies et, à l’occasion, celles de ses proches : jamais sans doute, “l’accomplissement de soi” n’a fait autant de dégâts !

{{De curieux cours de rattrapage}}

“Des micro-structures organisées en associations ont investi les secteurs de la santé, de l’éducation et de la formation. Elles sont parfois des émanations de grandes sectes et elles gangrènent littéralement le milieu associatif. Elles mettent à profit liberté d’association et d’expression pour se constituer en entité organisée ; dans un second temps, elles orientent leur action sur le domaine très à la mode de l’accomplissement de soi pour parvenir à leur but, qui est la prise de contrôle psychologique et financière”, résume un très bon connaisseur du phénomène.

Le phénomène est à ce point alarmant que des responsables de l’éducation nationale mettent régulièrement en garde les parents d’élèves, comme cela s’est produit à Voiron (Isère) récemment, contre un organisme proposant des sessions de rattrapage à l’adresse des élèves en difficulté, et qui était en fait une “filiale” de secte très connue.

Plus largement, le secteur de la formation est devenu ces dernières années un vecteur de prosélytisme privilégié : certaines grandes administrations et de très honorables sociétés privées proposent régulièrement et en toute bonne foi à leurs salariés des stages organisés par des prestataires dont les véritables objectifs sont sujets à caution.

Denis MASLIAH

Paru dans l’édition 38H du 03/05/2008