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La médecine anthroposophique et son médicament phare contre le cancer, le Viscum album fermenté, reposent sur les indications ésotériques de Rudolf Steiner formulées il y a 100 ans. Un courant influent qui serait suivi par près de 350 médecins en France.

STEINER. L’anthroposophie est un courant de pensée très controversé inventé par l’Autrichien Rudolf Steiner au début du 20ème siècle. Mélange d’ésotérisme, d’occultisme et de spiritualité, ce mouvement aujourd’hui toujours très vif, a donné naissance à des activités diverses telles que l’agriculture biodynamique, les écoles Steiner-Waldorf et la médecine anthroposophique. Cette dernière repose sur des concepts énoncés il y a 100 ans. Elle est au coeur d’un scandale, impliquant le laboratoire suisse Weleda et relatif à la vente en France d’un médicament contre le cancer non autorisé, l’extrait de gui fermenté ou Viscum album. Pour bien comprendre les fondements de cette pratique il faut revenir sur la conception anthroposophique de la Terre et de l’être humain :

L’anthroposophie et la croyance en… la réincarnation

Pour l’anthroposophie, le “système solaire” se réincarnerait. Il se serait d’ailleurs déjà réincarné quatre fois au cours des millions d’années qui nous ont précédé. La première fois, il s’appelait l’Ancienne Saturne, puis il est devenu l’Ancien Soleil, puis l’Ancienne Lune et enfin la Terre. À chacune de ces incarnations, l’homme aurait aussi évolué, acquérant à chaque étape un “corps” spécifique : d’abord son “corps physique”, puis son “corps éthérique” associé au végétal, suivi de son “corps astral” associé à l’animal et enfin son “Moi”, sa conscience, sur notre Terre. Selon cette vision karmique de l’anthroposophie, trois incarnations sont encore prévues pour les temps futurs.

ASTRAL. Pour bien appréhender la vision du cancer dans cette pratique, il faut s’attarder sur les particularités de ce que le médecine anthroposophique considère comme le corps “éthérique” et le corps “astral”. Le premier, associé au végétal, serait synonyme de prolifération anarchique de la vie. Il se répand partout, sans contrôle… Le deuxième, de nature animale, serait au contraire une sorte de régulateur qui viendrait encadrer et contenir les forces de vie du corps éthérique. L’analogie est alors aisée: le corps éthérique ressemblerait à une tumeur qui prolifère si elle n’est plus contrôlée par le corps astral.

Le gui n’aurait pas subi de “réincarnation terrestre” (sic)

Selon les explications que donnent Rudolf Steiner, notamment dans l’ouvrage “Médicaments et médecine à l’image de l’homme”, le gui serait dès lors une plante efficace pour lutter contre le cancer. La plante serait en effet une sorte d’être hybride, à la fois végétal et animal, cumulant les états physique, éthérique et astral mais qui n’aurait pas subi son incarnation terrestre. Or, c’est justement sur Terre qu’auraient sévi, selon les anthroposophes, les forces du mal, Lucifer et Ahriman, affaiblissant lourdement le corps astral des humains. Sans les forces du corps astral, plus moyen de contrôler le corps éthérique et donc la prolifération cancéreuse. C’est là qu’intervient le gui. N’ayant pas subi son incarnation terrestre et les influences funestes de Lucifer en particulier, son corps astral serait “pur”. Pour Rudolf Steiner, il faudrait capter les forces mystérieuses via l’extrait de ce végétal, le Viscum album, afin de soigner les malades.

Sur ces fondements occultes, la médecine anthroposophique, à travers de nombreuses recherches dans le monde, s’efforce donc depuis un siècle de démontrer que le gui est un remède potentiel contre le cancer. Dès 1917, le Dr Ita Wegman, médecin anthroposophe installée en Suisse, reprend les indications de Rudolph Steiner pour produire un premier médicament à base d’extrait de gui, appelé Iscar. Il deviendra plus tard Iscador, autre nom commercial, encore utilisé aujourd’hui dans différents pays.

Ampoules injectables d’extrait de gui fermenté (Viscum album) commercialisé par les laboratoires Weleda.

OCCULTES. Même si l’anthroposophie ne peut renier ses origines, ses adeptes restent discrets sur les composantes occultes et ésotériques de leur pratique. En public ou dans leurs écrits, ils usent de périphrases et de sous entendus pour éviter de tenir des propos difficiles à entendre par des non-initiés. Par exemple, les termes “corps physique”, “corps éthérique”, “corps astral” sont désormais remplacés par les termes plus neutres de “niveau corporel”, “niveau biologique” et “niveau psychologique”. Autre exemple, dans le livre “Viscum album et cancer”, du médecin anthroposophe Robert Kempenich, très impliqué dans l’enseignement de la médecine anthroposophique à l’université de Strasbourg, de nombreuses allusions sont faites à l’histoire de la Terre, de l’humanité et du gui sans utiliser clairement la rhétorique steinerienne.

Un traitement assez loin de la médecine

Interrogé, le médecin botte en touche : “…en ce qui concerne la pratique quotidienne et l’enseignement de la médecine anthroposophique, je me fonde  sur les aspects scientifiquement éprouvés (Recherche fondamentale et clinique).” Pourtant, le livre cite régulièrement la pensée de Rudolf Steiner, évoquant ainsi la nature plante-animal du gui “libéré de l’ensemble des lois terrestres, dont la pesanteur“, ou orienté “entre la terre et le zenith cosmique“. Des propos de nature peu scientifique dans un livre sur le traitement du cancer tout comme les propriétés attribuées à la plante : “(…) c’est précisément en retenant cette énergie en lui qu’il (le gui) devient thérapeutique.” peut-on lire également. De quelle énergie s’agit-il ? Nous n’obtiendrons pas de réponse. Mieux, sur le site de l’Association pour la Recherche et l’Enseignement en Médecine Anthroposophique (AREMA) consacré à la recherche et à la formation médicale et dont le Dr Robert Kempenich est le président, est conseillé une multitude de livres de référence, peu en phase avec la médecine éprouvée. On y trouve en autres, 15 ouvrages de Rudolf Steiner parmi les plus occultes sur la médecine anthroposophique, ainsi que les livres d’autres auteurs contemporains comme “Médecine Anthroposophique” de Victor Bott aux éditions Triades, dont la teneur ne relève pas de l’information scientifique éprouvée.

La “médecine” anthroposophique enseignée à l’université

HÔPITAL. Selon l’AREMA, il y aurait 350 médecins anthroposophes en France et 4000 à 5000 qui prescriraient des médicaments anthroposophiques. Cette conception de la médecine est promue au sein même de l’enseignement supérieur, notamment à l’université de Strasbourg où sont dispensées quatre formations de médecine anthroposophique.

La médecine anthroposophique est aussi représentée au centre hospitalier universitaire d’Angers, où le médecin Vanessa Belloeil était jusqu’en décembre 2018, chef du Centre Flora Tristan, le service de gynécologie de l’hôpital. Lors d’une conférence publique sur la médecine anthroposophique qu’elle a donné le 26 février à Angers, elle y expliquait notamment que l’humain, influencé selon elle par les planètes, devait utiliser les métaux auxquelles elles seraient associées pour se soigner. Et de préciser : “On va être influencé par ça pour choisir nos remèdes (…) Nous utilisons les métaux dans quasiment chaque prescription. Par exemple, le fer va amener le courage, le courage de guérir !” Impossible d’en savoir plus sur les effets du fer et des planètes. Après avoir refusé de nous répondre, Vanessa Belloeil a fini par nous adresser un message indiquant qu’elle ne pratiquait la médecine anthroposophique que dans le cadre de son activité libérale. Nous disposons pourtant de nombreux documents qui suggèrent le contraire. Si la gynécologue a démissionné en décembre de son poste de chef de service au CHU d’Angers, elle y conserve une consultation en gynécologie. Elle s’investit désormais dans une formation de médecine anthroposophique sur l’île de Ré. 

source : Par Olivier Hertel le 14.05.2019 à 19h38

https://www.sciencesetavenir.fr/sante/les-fondements-de-l-anthroposophie-et-du-viscum-album_133576