Un traumatisme. »C’est ainsi que la famille T a vécu sa garde à vue au commissariat d’Ajaccio qui a abouti il y a trois semaines sur des mises en examen pour « enlèvement et séquestration ». À la fin du mois d’août, J, D. et leur fils J.T, résidant à Salon-de-Provence, emmenaient de force leur fille M., âgée de 24 ans avec eux en Corse.

Pour s’assurer qu’elle soit bien du voyage, elle sera un temps menottée. Un calmant lui sera même administré pendant la traversée Nice-Bastia. Et un fauteuil roulant sera utilisé pour la transporter… Le compagnon signalera la disparition dans les Bouches-du-Rhône. « Alors que nous étions en vacances en Corse, nous avons été appelés par un enquêteur d’Aubagne qui nous a demandé de nous présenter à la gendarmerie d’Ajaccio ; nous avons fini au commissariat », détaillaient hier les époux T.

“Le corps de M. mais pas son cerveau”

Mais devant les policiers, la fille porte plainte contre ses parents. Et tout bascule. « Elle a été le plus souvent libre, elle était heureuse avec nous et nous lui avions juste coupé le portable », poursuivent-ils, non sans faire part de leur inquiétude. Les raisons de cet enlèvement ?

« Soustraire la jeune femme à une secte, ou à une société secrète », explique leur avocate, Me Fabienne Boixel-Sanna.

Pourquoi la Corse ?« Des associations de lutte contre les sectes nous avaient conseillé de lui faire faire un break d’au moins un mois et demi en la coupant de cet environnement néfaste, c’est pourquoi nous avions pris une location à Cargèse où elle avait des souvenirs d’enfance, relate D.T., la voix serrée, c’était notre dernière chance. »

Avec son mari, la mère s’est livrée pendant trois années à un véritable travail d’investigation. Au point d’affirmer que leur fille est sous l’emprise du culte antoiniste, une secte référencée dans le rapport parlementaire portant le numéro 2 468. Celle-ci comporterait de 500 à 2 000 adeptes et un temple à Marseille. La famille T. estime que le compagnon de leur fille, un mécanicien avec qui elle vit depuis 4 ans à Trets, près d’Aubagne, fait partie des Antoinistes, de même que ses parents. « C’est comme si c’était le corps de M., mais pas son cerveau, elle est devenue une autre personne et la secte profite de sa générosité pour lui prendre son argent et refuse qu’elle se soigne », résume D.T..

Du côté de l’instruction qui désormais est entre les mains de la juge ajaccienne Hélène Gerhards, rien de nouveau.

« Pour l’heure, aucun lien n’a été établi avec cette secte », affirme le procureur d’Ajaccio, Thomas Pison. Les parents avaient-ils le droit d’enlever leur fille majeure ? La question relève plus du droit que de la morale. Le père, la mère et le fils sont désormais face à leur désespoir. « Nous nous en remettons à la justice », s’étrangle J.T.qui estime avoir « accompli son devoir » en allant chercher sa fille.

« Docteur de l’âme »

Avec son épouse, ils reviennent sur une escalade qui a précipité leur enfant « dans les bras des Antoinistes ». Cette famille atypique, fusionnelle, qui a fait le tour du monde, certifie que M. est «fragile ».

« Ma fille avait rencontré ce jeune homme il y a quatre ans et était partie environ un an après avec lui dans le sud de la France, vers Auriol en quittant l’Espagne où nous vivions alors », relate D. T. Lors d’une visite chez les parents du compagnon de sa fille, elle voit pour la première fois le grand tableau d’un barbu. Le père Antoine auréolé des symboles du gourou. « Cela m’a inquiété car ces gens prônaient le bio mais refusaient aussi les soins, assurant qu’il fallait se soigner par l’énergie de la pensée : j’ai eu l’intuition qu’ils faisaient partie d’un mouvement sectaire », confie la mère, la gorge nouée, serrant une lettre de sa fille. « M. a ensuite été victime d’une pneumopathie aiguë car elle vivait dans des conditions précaires ; elle a refusé les antibiotiques, la mère de son compagnon lui avait donné des sachets d’herbe : il a fallu que je force ma fille en faisant venir une infirmière qui la piquait tous les jours », poursuit-elle. Les choses se compliquent, quelques mois plus tard quand la fille doit subir une opération pour des kystes mal placés. « La famille de son copain l’a conduite chez un docteur de l’âme à Hyères, puis un guérisseur, nous l’avons une nouvelle fois soignée grâce à l’aide de notre médecin de famille », complète D. T.qui a relevé également que des dons étaient effectués par sa fille à des particuliers. « Elle est retournée avec eux, est déprimée, manipulée et coupée de la plupart de ses amis, elle est professeur de danse, mais ne danse même plus, elle a perdu la joie de vivre : que pouvons-nous faire ? », interrogent les parents. Pas sûr que la justice seule ait une réponse.
Source : Nice-Matin
le samedi 24 septembre 2011