C’est un drôle de journal, Zoo, en hommage à Charlie Hebdo, qu’on a découvert mercredi. En mauvais papier, seize pages, pas d’ours, pas d’édito… Mais des articles non signés, et des dessins de Tignous, Charb, Luz, Perth, Wolinski, et Vuillemin. La seule chose qu’on apprend sur ce journal, c’est qu’il est «Edité par l’Association PHPC, 75543 Paris cedex 11», dont on ne trouve nulle trace. Que son numéro de commission paritaire, qui donne accès au statut d’entreprise de presse, et donc à des avantages fiscaux et postaux, est «en cours». Et que son directeur de la publication est un certain «Y. Dole» («des jeunes» avons-nous envie de rajouter).

Et puis, ce jeudi, un communiqué et un article des Inrocks dévoilent l’affaire: le journal est une «escroquerie». Dans un texte envoyé à l’AFP, Eric Martin, ex-rédacteur en chef de Zoo, qui a cessé de paraître en 2000, écrit ceci: «Les anciens collaborateurs de Zoo (Berth, Faujour, Martin, Vuillemin) tiennent à informer les familles des victimes qu’ils déclinent toute responsabilité dans l’édition de ce journal reprenant notamment des interviews de Wolinski et de Charb qui n’ont jamais été commandées ni publiées par la rédaction de Zoo. Ils demandent aussi aux éventuels acheteurs de ne pas s’abonner à cette publication qui se révèle être une escroquerie et se réservent le droit de poursuites judiciaires envers le charognard qui a édité cet étron.»

Le journal, sous-titré «Tous des bêtes» comme l’original, coûte 3 euros, et joue sur l’association avec Charlie Hebdo. «Je suis Charlie & Zoo, Hommage à Wolinski, Charb, Tignous», peut-on lire sur la couv’, qui publie plein pot un dessin de Tignous. Qui n’a d’ailleurs pas grand-chose à voir avec les récents événements: il représente le pape dans sa Papamobile, entouré de ses fidèles, avec cette manchette:«1 million de mouches devant une cloche à fromage».

«COMME UN HOMMAGE, PAS COMME UN ÉTRON»

Joint par Libération, Jean-Claude Moccand, qui se présente comme le«responsable des relations presse» de ce vrai-faux Zoo, semble avoir conçu la grande majorité du journal et refuse de donner d’autres noms de l’équipe. Après avoir affirmé que «pas mal de monde» avait travaillé à ce numéro, quelques minutes plus tard, ils ne sont plus que «trois ou quatre personnes, tout le monde est très polyvalent, mais n’a pas forcément envie que son nom apparaisse». De fait, aucun article n’est signé, aucune photo n’a son crédit. Et le journal aurait «un petit tirage de seulement 100 000 exemplaires», selon un mot glissé dans le journal nous incitant «à le faire connaître».

«On s’est dit qu’il serait intéressant de relancer Zoo: ça doit être vu comme un hommage et non comme un “étron”, avance Jean-Claude Moccant. Je ne veux pas rentrer dans la polémique. On voulait faire quelque chose de positif, de sympa, de rigolo, pas quelque chose de négatif.» Il affirme «avoir les droits sur le titre». Quant à contacter l’ancienne équipe et les dessinateurs ou leurs ayants droit: «On aurait peut-être dû, on comptait le faire.» Selon lui, Zoo ne renaît pas que pour un seul numéro, mais «on espère bien faire un numéro deux, un numéro trois…»

«ENTRE LES MAILLES DU FILET»

«C’est un truc qui a été fait très rapidement, avec un matériau qui existait, qu’on avait déjà, affirme-t-il. On avait des choses qui dormaient, des textes, des dessins. C’est pas un coup de fric. C’est ridicule de dire des trucs pareils! C’est pas une escroquerie, les gens ne sont pas lésés. C’est un très mauvais procès.»

Quand on lui demande qui distribue Zoo, Moccant hésite un peu puis répond«Presstalis». Pourtant, dans le journal, il est écrit «MLP», pour Messageries Lyonnaises de presse, qui d’ailleurs distribuent Charlie Hebdo en kiosque.«C’est passé entre les mailles du filet, reconnaît-on aux messageries. Quand MLP s’en est rendu compte, il était trop tard. Et puis, les messageries n’ont pas vocation à censurer un titre! Mais il y a visiblement une ribambelle de choses pas légales avec ce journal.»

Autre curieux détail: la publication de plusieurs encarts de Reporters sans Frontières (RSF): «La liberté d’expression n’a pas de religion», «Ils veulent nous réduire au silence. Ils n’auront obtenu qu’une minute». L’ONG tombe des nues:«Nous allons mener l’enquête, dans la mesure où notre identité est fortement présente», répond RSF.

«C’EST LAMENTABLE»

Le rédacteur en chef du vrai Zoo, Eric Martin est «effaré». Il a «une petite idée de qui est derrière ça, mais veu[t] d’abord en parler à un avocat». Il va déposer une demande de référé dès vendredi pour «bloquer la distribution» du journal. «Jamais personne de notre équipe n’aurait fait un truc pareil, pour se faire de l’argent sur le dos des dessinateurs, sur le dos de Charlie… On ne fait pas un journal sans prévenir les auteurs, les dessinateurs, sans les payer. Et puis, vis-à-vis des familles en deuil, c’est lamentable».

Journal satirique créé en juillet 1997 grâce à l’argent de plusieurs magazines pornos, Zoo a collectionné les provocations et les procès, jusqu’à sa fermeture en 2000. Son éditeur de l’époque dément également tout lien avec le journal en kiosque depuis mercredi.

Le meilleur pour la fin: à l’avant-dernière page, le journal propose de s’abonner:«Soutenez Zoo» («25 euros au lieu de 36 euros»!). Outre nom, prénom, adresse, e-mail, le formulaire demande, carrément, votre numéro de carte bancaire, sa date d’expiration, et, soyons fous, le cryptogramme.

source :

http://ecrans.liberation.fr/ecrans/2015/01/29/apres-charlie-hebdo-les-rapaces-d-un-drole-de-zoo_1191565

par Isabelle HANNE